Supermarchés, dégagez de l’Afrique ! Les systèmes alimentaires du continent se débrouillent très bien sans eux

, par Grain

Les systèmes alimentaires d’Afrique sont l’ultime frontière pour les multinationales et la grande distribution alimentaire. La plupart des Africains continuent de consommer un régime sain à base d’aliments traditionnels produits par des millions de petits producteurs, d’un bout à l’autre du continent. Mais la situation est en train de changer peu à peu, tandis que la grande distribution alimentaire mondiale adopte de nouvelles stratégies pour renforcer sa présence sur le continent, sous l’impulsion brutale de certaines chaînes de supermarchés multinationales. La subsistance de millions de petits vendeurs et de producteurs locaux est remise en cause ; la santé des populations et la diversité des cultures alimentaires traditionnelles sont elles aussi en danger. Les gouvernements africains ne font que favoriser l’expansion des supermarchés, mais les petits vendeurs, les agriculteurs et les consommateurs urbains s’unissent pour défendre leurs systèmes alimentaires locaux.

On est en juillet 2018 et les petits vendeurs du marché de Gueule-Tapée, un marché très animé de Dakar, au Sénégal, sont furieux : ils viennent d’apprendre que le maire du quartier a l’intention de démolir leur marché pour construire un centre commercial de quatre étages à la place. Pour ne rien arranger, une partie du centre serait, selon les médias, occupée par Auchan, le géant français de la distribution.

« Il va passer sur nos cadavres, mais cela ne passera pas, » déclare Mbaye Ndiaye, le président du comité de gestion du marché [1]. Les vendeurs de Gueule-Tapée organisent rapidement un sit-in ; chaque vendeur arbore un tee-shirt rouge portant le slogan « Auchan dégage ! ».

Le slogan « Auchan dégage ! » est repris en réalité d’un autre groupe de vendeurs qui, quelques semaines plus tôt, a lancé une campagne au marché Castor, dans un autre quartier de Dakar. Ils ne pouvaient plus supporter la façon dont Auchan détournait leurs clients, en vendant certains produits alimentaires à des prix impossiblement bas.

« À Auchan ils vendent même des tas de Daakhaar (gingembre) et presque la quasi-totalité des autres épices en détail. Ce qui fait que nous ne voyons plus de clients dans nos marchés. Les clients du marché Castor ont tous été détournés par Auchan. À ce rythme, ce ne sont pas les commerçants sénégalais qui vont faire faillite, mais les marchés et après, l’économie du pays, » déplore Leyti Sène, secrétaire général du collectif Auchan dégage nouvellement formé [2].

« Nous sommes prêts à nous battre, » affirme Mohamed Moustapha Leye, un autre membre du collectif Auchan dégage. « Il en va de notre survie. Même les mamans qui vendaient de petites choses au détail n’ont plus de clients. » [3]

Un commerçant sénégalais de Gueule Tapée inquiet pour son activité. Photo : Dave Design

Auchan n’est pas la première ni la seule chaîne de supermarché à essayer de s’implanter en Afrique de l’Ouest. Mais la stratégie qu’il tente d’appliquer est nouvelle. Les autres distributeurs étrangers présents dans la région, comme Carrefour et Casino, ont concentré leurs efforts sur l’importation d’aliments de luxe à destination d’une riche élite qui ne constitue pas plus de 5 à 10 % de la population. Ils se sont installés dans les quartiers plus aisés, en proposant une sélection d’articles et de prix qui reflète la stratégie de leurs magasins européens. Ces distributeurs ont réussi à saisir une partie de la part de marché des petits vendeurs dans les villes africaines, mais le pourcentage est toujours resté peu important.

« Nous ne sommes pas élitistes mais très qualitatifs, » explique Gilles Blin, directeur du secteur alimentaire pour Mercure International, en contrat d’affiliation avec Casino pour les opérations de distribution en Afrique. « Nous répondons aux attentes des classes moyennes et supérieures qui souhaitent trouver dans nos magasins les mêmes produits qu’en France. » [4]

La stratégie d’Auchan est très différente : au Sénégal, l’entreprise a établi 25 supermarchés et magasins de proximité discount dans le pays, ciblant les quartiers populaires urbains que les autres distributeurs étrangers ont évités. Auchan s’attaque ouvertement aux clients actuellement desservis par les petits vendeurs locaux de produits alimentaires. L’entreprise compte sur le volume des ventes, et non sur les marges, pour réaliser ses bénéfices.

« Notre vœu est de proposer des magasins modernes, propres, climatisés, garantissant la sécurité alimentaire et offrant des prix au moins comparables à ceux que l’on peut trouver sur le marché, » indique Laurent Leclerc, le PDG des filiales d’Auchan au Sénégal. « Si l’on arrive à faire cela, on obtiendra tous les clients du Sénégal ! » [5]

L’expansion d’Auchan se poursuit déjà dans les pays voisins, la Mauritanie et le Ghana, sur la base de la même stratégie et a fait des émules chez les autres distributeurs étrangers. Casino a ainsi récemment commencé à déployer ses propres magasins discount au Sénégal, via sa chaîne Leader Price.

Mais l’agressivité de la politique d’Auchan a provoqué un retour de manivelle. Les petits vendeurs sont les premiers à ressentir les effets et ce sont eux qui ont lancé les protestations, ce qui a rapidement convergé vers un rejet beaucoup plus large de la prise de contrôle du système alimentaire du pays par les entreprises étrangères. (...)

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