Sport et ECSI, des enjeux communs ?

Introduction

Du côté de l’ECSI n°44 - juillet 2024

, par ritimo , DUVAL Virginie

« Créé par les pauvres, volé par les riches »

Banderole des supporters du Club africain de Tunis lors d’une rencontre contre le PSG en 2017, citée par M. Correia dans son Histoire populaire du football [1]

Par Fritz Lewy — Warwick Digital Collection, Archives of the Trades Union Congress ; Archive folder : Sports - Workers, Barcelona Olympiad, 1936, Document reference : 292/808.91/4/1 ; Document title : Olimpiada Popular, Barcelona, 1936 (poster) ; Issuing organisation : Olimpiada Popular de Barcelona. Comité organitzador ; Language : Spanish, French, German, English, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=146691872

Quelques jours avant la cérémonie d’ouverture des JO de Paris, certain·es continuent d’annoncer des « jeux olympiques populaires » [2] alors que d’autres dénoncent « le nettoyage social » [3] qui accompagne l’organisation de cet événement.

Si les impacts sociaux et environnementaux de ce type de manifestation mondiale sont documentés [4], sa dimension populaire semble réduite à la massification et aux espaces de fête (surveillés) [5] qui se tiendront en parallèle. De fait, la notion de « sport populaire » est largement passée aux oubliettes avec la montée en puissance d’un marché du sport, glorifiant les prouesses individuelles.
Thierry Terret, professeur d’histoire des sports, interrogé sur la naissance du sport moderne, explique [6] :

« deux modèles différents naissent en Grande Bretagne, fin 18e- début 19e, dans un contexte protestant et victorien qui a conduit à codifier et à institutionnaliser le rapport au corps. Les membres de la gentry agricole ont pris l’habitude de se confronter entre eux, soit directement soit indirectement par l’intermédiaire de leurs laquais. Ces derniers finiront par se vendre aux plus offrants, donnant progressivement naissance à un marché professionnel. Mais le sport amateur moderne va naître un peu plus tard, dans les années 1820-1850, toujours en Grande-Bretagne, mais cette fois dans les grandes écoles suite à un mouvement de réforme. Les activités physiques traditionnelles de ces écoles sont canalisées et utilisées à des fins éducatives. C’est la naissance du sport comme instrument de maîtrise du corps et comme discipline. Le sport acquiert une dimension pédagogique. Les étudiants qui sont passés par ces grandes écoles vont prolonger leur pratique sportive au-delà de leurs études et fonder un sport amateur qu’on peut qualifier de bourgeois. Dès les années 1860-1870, le modèle anglais va se diffuser en Europe continentale et en Amérique du Nord. Mais le modèle ne s’imposera pas sans résistances ni sans adaptations locales. En France, par exemple, la culture de la gymnastique — héritage patriotique traversé de considérations solidaristes et populaires — va résister à ce modèle ».

Fabien Archambault, historien des cultures sportives et politiques, complète [7] :

« Il y a cette idée, notamment dans l’industrie automobile, que le sport est un moyen de discipliner les ouvriers, de leur apprendre le sens de l’autorité et de la hiérarchie. (...) Le sport est le produit d’une société, la société bourgeoise anglaise, et on a l’idée que l’ouvrier ne doit pas faire de sport. Les grandes associations de la sociale-démocratie allemande valorisent d’abord la gymnastique, activité physique qui permet de fortifier le corps des ouvriers. Il y a donc cette utilisation explicite par le patronat du sport en général, et du foot en particulier, comme moyen d’encadrement des travailleurs, et du côté des ouvriers, une grande méfiance pour une pratique culturelle considérée comme une pratique bourgeoise. »

Malgré les résistances et la recherche d’autres façons de faire du sport (olympiades populaires de Barcelone en 1936, expérimentation des « républiques des sports » dans les années 1960, clubs omnisports...), le sport moderne, après s’être imposé, avec le soutien des industriels, à toutes les classes sociales, « triomphera » également à l’échelle mondiale aux dépens des pratiques des pays colonisés [8].

Si le sport, dans sa dimension compétitive, est un « fait social total », la représentation du monde qu’il propose, ses impacts, peuvent-ils être sujets d’ECSI ?
A contrario, une approche populaire, émancipatrice pourrait-elle faire de l’activité sportive, un outil d’ECSI ?