Par Luiz Zarref et Marcelo Durão, du Mouvement des Travailleurs Sans Terre (MST).
Ce texte a initialement été publié en portugais sur le site officiel du Sommet des Peuples de Rio+20, Cupula dos Povos, et il a été traduit par Fernanda Grégoire, traductrice bénévole pour rinoceros.
Brève analyse politique de l’évolution du capital
La crise structurelle actuelle du capital a des répercussions profondes sur les économies centrales (USA, Europe et Japon). Cependant, cette crise ne remet pas automatiquement en cause le système capitaliste, qui reconfigure ses mécanismes d’accumulation. Un des axes de cette reconfiguration est la propagation du capital vers les économies périphériques émergentes, en se concentrant principalement sur les pays connus comme BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). De grands projets de structuration de ce capital sont en cours dans ces pays, et ils définiront également les formes sous lesquelles l’accumulation capitaliste aura lieu dans d’autres pays périphériques.
Les anciens mécanismes d’industrialisation, l’exploitation de la plus-value urbaine et l’avancement de agrobusiness seront au centre de cette expansion du capital dans ces pays. Cependant, il y a un élément commun à ces pays qui ne sera pas écarté lors de cette nouvelle phase : les zones naturelles et les territoires des paysans. La lecture de Via Campesina de Rio+20 et les dernières disputes dans les conventions sur la biodiversité (CDB) et les changements climatiques (UNFCCC) montrent que le capital s’organise dans le but de s’approprier ces territoires et transformer la nature en une série de marchandises.
Au Brésil, par exemple, nous avons près de 220 millions d’hectares en Unités de Conservation et Terres Indigènes. Si l’on ajoute les zones des communautés traditionnelles, les communautés quilombolas et paysannes qui possèdent d’importantes zones conservées, nous arrivons à près d’un quart de tout le territoire national où le capital n’a pas encore de mécanismes d’accumulation. Cette réalité se répète dans la plus grande partie des pays du Sud et de l’Asie, ce qui représente un versant potentiel de l’expansion du capital en crise.
Il n’est pas possible de penser qu’avec l’actuel niveau de voracité et de crise du capital, cette immensité de territoire soit délaissée. Il y a de nombreuses possibilités d’exploitation de ces zones naturelles préservées. En premier lieu, elles pourront réalimenter le capital financier, au moyen du marché du carbone ou de la biodiversité, négociés et spéculés dans les bourses de valeurs. Mais lors d’une étape postérieure, ces dernières pourront entrer sur ces territoires (une fois que ces derniers seront commercialisés) pour réaliser une accumulation primitive sous plusieurs formes : vol des savoirs-traditionnelles associé à la biodiversité de ces zones, vol de minéraux et bois, etc.
C’est ce nouveau versant de l’expansion du capital qu’on appelle communément le Capitalisme Vert. Pour Via Campesina, malgré la qualification « vert », nous parlons bien du même capitalisme de toujours, avec le même besoin de générer du bénéfice à partir de la plus-value et de l’accumulation primitive. C’est le même capital qui exploite le pétrole, les minéraux, qui développe les industries automobiles, pharmaceutiques et tant d’autres. Mais c’est un versant du capital qui cherche à tromper la planète, à un moment où la crise environnementale est menaçante, de par son hégémonie. C’est un versant qui se dit éthique, préoccupé par la planète, mais, au final, ce n’est qu’une façade pour le même capitalisme.
Lorsque nous observons les conventions environnementales de l’ONU, on peut identifier une stratégie bien définie de règlementations de ce nouveau versant d’expansion du capitalisme. On peut clairement identifier les fondations de la thèse capitaliste qui sera défendue lors de Rio+20.
Les conventions de l’ONU et leur soumission au projet politique du capitall
Les conventions environnementales ne sont jamais parvenues à un consensus consistant. Cependant, Rio 92 a permis quelques avancées importantes, en mettant la question environnementale dans la relation société-Etat. Des questions importantes comme le Principe de Précaution ont été définies, et trois conventions, qui restent en vigueur aujourd’hui ont été créés : Désertification, Diversité Biologique (CDB) et Changements Climatiques (UNFCCC). Les trois devraient créer une gouvernance globale sur l’environnement, et répondre en même temps aux les atteintes à l’environnement qui auraient lieu au fil des années.
Convention sur les Changements Climatiques
Le rôle principal de cette convention a été la définition, par les pays, d’objectifs de réduction de gaz à effet de serre (GEE). Malgré la pression des mouvements et de nombreuses organisations, les instruments pour cette réduction ont été volontairement définis de façon vague et avec une soumission progressive au marché. A partir du Protocole de Kyoto (1997), des mécanismes importants ont été créés, pour l’entrée du marché dans cet espace, comme les Mécanismes de Développement Propre (MDL) et la Séquestration du Carbone.
Malgré l’échec de ces fausses solutions, l’intérêt du capital s’est de plus en plus consolidé dans les conventions suivantes. Dans les deux dernières conventions (Copenhague et Cancun), nous avons assisté à l’impérialisme des propositions du capital et à la défaite de tout l’agenda populaire, qui était synthétisé dans la proposition bolivienne des droits de la Mère-Terre. Les deux conventions n’ont pas débattue sur les changements climatiques, elles ont surtout servi de grandes foires internationales du capitalisme vert.
Le capital a de nombreux instruments pour transformer les changements climatiques en un versant de plus grande accumulation. L’investissement massif dans de nouvelles sources d’énergie, comme l’éolien, la géothermie, l’hydro-électrique, renforce des multinationales comme Siemens et General Electrics et abandonne le débat sur le destination des actuels 15 Tera Watts produits annuellement, qui en réalité alimentent aujourd’hui des industries prédatrices de commodities. Le développement d’organisme génétiquement modifiées (OGM) résistantes aux changements du climat, comme la sécheresse ou une pluie plus intense. La création d’un fond international pour le climat, rattaché à la Banque Mondiale, qui endettera les pays à partir de leur obligation de mettre en place de fausses solutions.
Pendant ce temps, l’instrument principal qui est en cours d’élaboration est la Réduction des Emissions dues à la Déforestation et à la Dégradation (REDD). Ce mécanisme vise à transformer les forêts en des zones de compensation de la pollution d’autres pays, en payant des valeurs par tonne de carbone qui sont censés être "séquestrés" par les forêts. Ne serait-ce que l’idée doit être rejetée, car il est absurde de laisser les forêts nettoyer la saleté produite par le Nord, et nous savons que ces tonnes ne serviront qu’à donner une certaine légitimité à une augmentation voilée des émissions. Mais le principal problème de cet instrument réside dans la possibilité d’appropriation de territoires des peuples de la forêt et des campagnes, puisque les entreprises qui paient pour la REDD auront un droit contractuel sur la « séquestration du carbone », c’est-à-dire, toute la biomasse qui s’y trouve.
Convention sur la Diversité Biologique
Historiquement, cette convention a été un espace tourné vers les directives de la société. D’importantes régulations et interdictions de technologies transgéniques (comme le Terminator et les arbres transgéniques) ont été acquises dans la CDB. Cependant, dans les quatre dernières années, une forte soumission de la CDB aux entreprises est apparue, et elle a connu son point fort lors de la dernière convention, l’année dernière, à Nagoya, au Japon.
A la demande du G7, un économiste de la direction des marchés futurs de la Deutsche Bank a défendu une étude appelée The Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB) (« L’économie des écosystèmes et biodiversité »). En bref, cet instrument monétise toutes les relations entre les écosystèmes, de la beauté des paysages à la pollinisation des abeilles. A partir de la standardisation de cette méthodologie, il est possible de transformer toute la nature en marchandise, bien au-delà de la séquestration du carbone.
Plusieurs réunions ont eu lieu dans de nombreux pays du monde pour créer des règlementations nationales pour la consolidation de ce mécanisme. Il tire parti des directives traditionnelles des paysans et des peuples de la forêt, qui, historiquement, ont exigé le paiement pour l’utilisation durable qu’ils font de la biodiversité, et pose un écran de fumée appelé Paiement de Services Environnementaux, qui ne répond pas aux directives populaires, mais plutôt à la marchandisation de la nature.
Rio+20 : la thèse capitaliste prend le dessus sur la nature des peuples
Face à l’avancée orchestrée du capitalisme dans la CDB et la UNFCCC (et la négligence de la convention sur la désertification, où il n’a pas encore été possible d’extraire des mécanismes pour l’accumulation capitaliste), il y a une volonté claire, lors de Rio+20, conférence qui célèbrera les 20 ans de Rio 92 et qui réunira toutes les conventions sur l’environnement. La proposition est de rassembler les initiatives vaincues dans chacune des conventions parallèles et de montrer au monde la synthèse des fausses solutions : l’économie verte
Avec le discours selon lequel la crise climatique et environnementale est urgente et les Etats lents, corrompus et obsolètes, le capitalisme cherche à tromper le monde et consolider ce nouveau versant de son expansion. Le dernier document présenté par le PNUMA pour Rio+20 est scandaleux. Il considère que le « chemin du développement doit maintenir, améliorer et, lorsque cela est possible, reconstruire le capital naturel comme un bien économique critique ». Et il va plus loin : « une économie verte, avec le temps, croît plus rapidement que l’économie marron, en même temps qu’elle maintient et restaure le capital naturel […]. Un scénario d’investissement vert de 2% du PIB mondial permet une croissance à longue durée entre 2011-2050 ». C’est-à-dire, en plus de défendre l’idée que cette économie verte doit servir pour la continuité de l’accumulation capitaliste, il défend que 98% du PIB reste attaché au système traditionnel d’accumulation capitaliste qui entraîne notre planète à l’effondrement. Par conséquent, notre lecture confirme que ces solutions sont fausses pour les peuples et pour la planète, mais réelles pour un capitalisme en crise.
Pour finir, le rattachement de Rio+20 aux intérêts du marché devient plus clair encore quand le texte défend la relation de cette Conférence avec l’OMC : « les négociations actuelles du Cycle de Doha de l’Organisation Mondiale du Commerce offrent l’opportunité de promouvoir une économie verte. Une conclusion bien réussie de ces négociations pourrait contribuer à la transition vers une économie verte ». Les propositions qui se seront défendues l’année prochaine, lors de Rio+20, sont donc en opposition nette avec les changements réels et nécessaires qui doivent se produire dans les rapports de production, et elles s’opposent à l’idée de souveraineté des peuples. Au marché, ton donne tout.
L’importance de l’articulation de la société civile organisée
A partir de cette lecture publique, Via Campesina cherche à s’organiser avec les groupes politiques qui ont une vision anticapitaliste, et opposée à la financiarisation de la nature. Il est important de faire front commun avec les organisations paysannes et urbaines et démontrer que les vraies solutions à la crise environnementale seront trouvées auprès de l’agriculture paysanne, de la réforme agraire et urbaine et de la justice sociale
Il ne sera pas simple de questionner le greenwashing du capitalisme lors de Rio+20. Comme tous les grands évènements, Rio+20 sera entourée par un dispositif de répression très important, qui sera en entrainement à Rio de Janeiro pour se préparer à la Coupe du Monde (2014) et aux Jeux Olympiques (2016). Il y aura également une publicité massive qui cherchera à associer l’économie dite verte à la lutte contre la faim et la pauvreté. Divers dispositifs de l’Etat seront donc en place pour avancer dans la construction de l’hégémonie de ce nouveau versant.
C’est pour cela que les mouvements et organisations populaires doivent chercher une stratégie commune pour i) dénoncer le maquillage vert du capitalisme et de ses nouveaux instruments, comme REDD, Biologie Synthétique ; ii) débattre avec la société sur les causes réelles de la crise environnementale, liées aux autres facettes de la crise structurelle du capital (financière, alimentaire, énergétique, etc.) ; iii) réaffirmer les vraies solutions à la crise : agriculture paysanne, agro-écologie, économie solidaire, souveraineté énergétique.
A partir de cette analyse, selon laquelle le capitalisme vert avancera justement dans les pays où les paysans et les peuples de la forêt sont encore chez eux, dans leurs territoires, nous avons la conviction qu’il faut bloquer immédiatement ce versant du capital. Contre la globalisation du capitalisme, qui veut dévorer notre nature et voler nos territoires, nous devons globaliser notre lutte. Nous devons donner un message clair au monde contre les fausses solutions, en défendant la Terre-Mère, l’agriculture paysanne et la souveraineté des peuples,
GLOBALISONS LA LUTTE, GLOBALISONS L’ESPOIR