Sheinbaum présidente : un triomphe à contre-courant en Amérique latine

, par Nueva sociedad , GONZÁLEZ Cecilia

Claudia Sheinbaum sera la première femme présidente du Mexique. Scientifique et issue des luttes étudiantes, elle devra relever le défi de poursuivre le processus lancé par Andrés Manuel Lopez Obrador tout en se montrant capable d’autonomie politique. Non seulement sa victoire électorale renforce la gauche, mais elle entérine la crise du Parti révolutionnaire institutionnel, la force politique jusque-là hégémonique dans le pays. Ritimo résume ici en français le long article en espagnol paru sur le site de Nueva Sociedad.

Début de campagne électorale pour la candidate Claudia Sheinbaum dans la ville de Mexico, mars 2024.

Dans un contexte d’avancée des extrêmes droites dans le sous-continent, la victoire de Claudia Sheinbaum, avec presque 60 % des voix, renforce les positions de la gauche latino-américaine – en contradiction avec les analyses qui avançaient que la pandémie de Covid-19 avait usé la légitimité des partis au pouvoir.

Si l’accession d’une femme au pouvoir dans un pays marqué par le sexisme est un fait marquant, cela n’est évidemment pas une garantie pour les avancées féministes, notamment car les positions de Sheinbaum sont souvent en tension ou en contradiction avec les mouvements de femmes mexicaines.

Le triomphe de Sheinbaum marque surtout la débâcle du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui a gouverné le Mexique pendant 70 ans, en crise à tel point qu’il serait au bord de l’extinction. Ses alliances avec d’anciens rivaux sont le signe qu’il ne tient que par son opposition virulente et classiste à Lopez Obrador, agitant la menace communiste et le glissement vers une crise à la vénézuelienne.

Si Lopez Obrador venait du PRI avant de s’en écarter pour devenir président en 2018 avec le parti Morena, Sheinbaum a une toute autre trajectoire : militante de gauche depuis ses débuts, elle représente un renouvellement en termes de genre mais également de génération politique.

Elle reprendra les manettes du pays en position de force : la popularité record de Lopez Obrador, avoisinant les 60 % ; des comptes publics positif ; un peso fort et des conditions salariales en voie d’amélioration ; le taux de pauvreté en baisse et toute une série de programmes sociaux en cours. Une partie de la victoire de Sheinbaum s’explique par sa promesse de poursuivre cette « quatrième transformation », présentée comme un fait historique similaire à la guerre d’indépendance ou la révolution de 1910. À l’annonce des résultats, Lopez Obrador a réitéré son « affection et respect » à Sheinbaum, qui à son tour le qualifie d’« homme exceptionnel qui a transformé notre pays pour le meilleur », reflet d’une collaboration politique qui dure depuis 24 ans.

Cependant, Sheinbaum hérite également de dossiers plus négatifs, notamment l’incessante violence qui dévaste le pays – ce qui, avec la réparation pour les familles des victimes, devrait être un sujet tout à fait prioritaire : plus de 30 candidat·es ont été assassiné·es au cours de cette campagne électorale. En réaction à la situation tragique des presque 100 000 disparu·es dans l’indifférence générale de la classe politique, de nombreux·ses militant·es ont écrit leurs noms sur les bulletins de vote. La défiance des organisations de droits humains et de familles de victimes vis-à-vis de la nouvelle présidente est plus qu’évidente, du fait de ses liens avec certains hauts fonctionnaire des forces armées qui minimisent et justifient les disparitions forcées.

Sur le plan des relations internationales, cette victoire de la gauche mexicaine vient contredire la fausse idée d’une inexorable extrême droitisation du sous-continent. Pour contrer l’accolade de l’Argentin Javier Milei et du Salvadorien Nayib Bukele du 1er juin, on a vu se réunir, lors du triomphe électoral de Sheinbaum, le Brésilien Lula da Silva, le Colombien Petro, le Bolivien Arce et le Chilien Boric – un groupe que viendra renforcer la Mexicaine.

Évidemment, en tant que femme, Sheinbaum fait face à l’accusation de n’être que la « marionnette » de l’ex-président Un défi central sera donc pour elle de démontrer son autonomie politique sans faire preuve de déloyauté. Dans cette bataille, elle pourra cependant s’appuyer sur Clara Brugada, maire de Mexico depuis le 2 juin 2024, féministe issue des luttes territoriales et qui succéderait à Sheinbaum comme candidate pour les élections de 2030.

Voir l’article complet en espagnol sur le site de Nueva Sociedad