Agrocarburants, les choix aventureux de l’agrobusiness

Sénégal : un pari de grande ampleur

, par CITIM

Avec la Nouvelle orientation de la Politique agricole de juillet 2007, le Sénégal a élaboré un « Programme spécial Biocarburants » dont la première phase porte sur la période 2007-2012. Ce programme, sous tutelle du ministère du Développement rural et de l’Agriculture, entre dans le cadre du Plan REVA (Retour vers l’agriculture) et tourne essentiellement autour du Jatropha curcas, “pourghère” en français et « tabanani » en wolof.

Une plante énergétique miracle

L’objectif affiché par ce programme titanesque est d’aboutir à l’autosuffisance énergétique du pays en produisant 1,2 milliard de litres d’huile brute de Jatropha curcas. Les besoins énergétiques actuels de type diesel ont été estimés à un total de 1 100 milliards de litres, répartis comme suit : gasoil (50 %), gaz butane (27 %), diesel oil (21 %) et pétrole lampant (1 à 2 %).

Pour le lancement du programme, les semences proviennent de trois pays différents : Sénégal, Mali et Inde. Selon les initiateurs, l’espèce "tabanani", qui a une durée de vie de cinq ans environ, est peu exigeante en eau et déjà présente au Sénégal à l’état naturel : elle est utilisée dans le monde rural pour créer des haies vives, ainsi qu’en pharmacopée. Ainsi, le programme va favoriser des plantations massives sous différentes formes : haies vives en bordure des maisons et des routes, et délimitation de parcelles de cultures dans les zones du centre, de l’est et du sud du pays.

Conflits d’usage et fragilité de l’écosystème

On devrait s’attendre à ce que tout l’espace libre soit occupé par le tabanani. Certainement cela aura des conséquences dans l’équilibre de l’écosystème, une modification de l’occupation des terres et éventuellement une réorganisation du zonage du terroir en milieu rural. Déjà, le centre du pays est l’une des zones où la récurrence des conflits liés à l’occupation et à l’usage des terres pose le plus problème. En effet, bassin arachidier depuis la colonisation, il connaît de plus en plus de conflits fonciers liés à l’âpre compétition entre agriculteurs, éleveurs et promoteurs immobiliers, alors qu’il s’agit d’une zone où l’urbanisation est en pleine expansion. Vouloir développer la culture de tabanani dans des écosystèmes déjà fragiles comporte des risques environnementaux majeurs et peut augmenter la vulnérabilité des paysans dont la plupart dépendent de l’exploitation des ressources naturelles.

Jatropha/Tabanani : la panacée ?

Ce qui est remarquable, pour le cas du Sénégal, c’est que les initiatives n’insistent pas beaucoup sur le rapport entre la promotion des agrocarburants et la lutte contre l’effet de serre, comme c’est le cas dans nombre de débats en France et ailleurs dans le monde. Selon l’Etat sénégalais, les agrocarburants devraient permettre une diversification des cultures, une baisse de la facture pétrolière, une indépendance énergétique, une autosuffisance en diesel à partir de 2012 par la satisfaction des besoins grâce au biodiesel issu du tabanani et d’autres espèces, une production de bioéthanol à partir de cultures comme la canne à sucre, une production de bioélectricité à partir de centrales fonctionnant à l’huile brute de Jatropha, une création de métiers agricoles et d’emplois suffisamment rémunérateurs, une accélération de la modernisation agricole, la création d’un environnement du monde rural attractif et attrayant, une amélioration de la balance commerciale et de celle des paiements, une amélioration de l’environnement, et une réduction de la pauvreté et de la disparité entre le monde rural et le monde urbain !