État des lieux du contexte numérique pour les défenseurs des droits humains dans 10 pays africains

Sécurité numérique au Togo

, par AEDH, ritimo, Tournons La Page , DUVAL Virginie, POURCHIER Mathieu

Contexte politique

Le 22 février 2020, Faure Gnassingbé a été élu pour son quatrième mandat malgré la contestation des résultats par l’opposition. Le Togo est ainsi dirigé par la même famille depuis 1967.
En février 2020, juste avant les élections, l’accès aux réseaux sociaux (Facebook, Telegram, WhatsApp) est interrompu. Déjà en janvier, l’opérateur Togocom avait vu ses activités s’interrompre.

Selon le rapport 2020 de Freedom House, « la liberté de la presse est garantie par la constitution, mais peu défendue en pratique. L’impunité de ceux qui commettent des crimes contre les journalistes encourage les mécanismes d’auto-censure ». « La police a eu recours à la violence et l’intimidation pour décourager la couverture médiatique des manifestations de l’opposition depuis 2017. Les autorités ont coupé les réseaux mobiles et internet pendant les manifestations.
(...) Les citoyens peuvent s’exprimer librement dans des conversations privées, mais ils peuvent être arrêtés pour « incitation » ou pour avoir critiqué le gouvernement auprès de journalistes ou d’organisations de défense des droits humains. En 2018, l’assemblée nationale a adopté une loi « cybersécurité » qui criminalise la publication de fausses informations ou qui porte atteinte à la moralité publique, elle pourrait porter atteinte à la liberté d’expression en ligne. La loi a aussi accordé des pouvoirs plus importants à la police pour mener des activités de surveillance électronique ».

Le Ministère des Postes, de l’Économie Numérique et des Innovations Technologiques a lancé une politique sectorielle 2018-2022 sur l’économie numérique avec notamment comme objectif que « toutes les structures chargées de la cybersécurité, cybercriminalité et gestion des données à caractère personnel sont opérationnelles, dotées de moyens suffisants et sont des références en Afrique. »

Certains membres de la société civile ont participé une formation organisée par Waxi et appuyée par OSIWA à Accra sur la cybercriminalité. Mais il y a eu, selon TLP Togo, un problème de barrière linguistique donc la traduction n’a pas été très bonne, notamment des documents. Au Togo, un atelier a été organisé en 2018 sur la cybersécurité dans le cadre de la journée mondiale des droits des consommateurs, le gouvernement a envoyé quelqu’un participer à la formation.

Selon TLP Togo, la ligue des consommateurs du Togo, Internet society Togo (promotion de l’internet libre) ou encore l’Association Togolaise des Consommateurs (ATC) travaillent sur la cybercriminalité.
L’ATC interpelle régulièrement les opérateurs sur la qualité du réseau telecom.

Contexte légal

La Loi 2017-07 relative aux transactions électroniques, rédigée sous l’initiative de l’Autorité de Réglementation du secteur des Communications, « fixe les règles générales régissant toute transaction électronique, toute transaction de quelque nature que ce soit, prenant la forme d’un message électronique. »

Le 6 décembre 2018, le parlement vote la Loi N°2018-2016 sur la cybersécurité et la lutte contre la cybercriminalité ayant pour but d’ « assurer une prise en charge efficace et effective de la cybersécurité sur tout le territoire ». Selon François Patuel, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International, « c’est une loi qui concerne les dispositions liberticides sur l’ensemble des communications qui peuvent se faire par le biais d’une nouvelle technologie.
Ce texte criminalise la diffusion de fausses nouvelles, la diffusion d’images, d’écrits contraires aux bonnes mœurs ou la diffusion ou la mise à disposition d’autrui de données de nature à troubler l’ordre, la sécurité publique ou la dignité humaine. Cette loi donne, entre autres, aux forces de police des pouvoirs supplémentaires, notamment en matière de surveillance en dehors de tout contrôle juridictionnel, avec des peines de prison qui peuvent aller de deux à trois ans.
C’est quelque chose qui est extrêmement inquiétant et qui pourrait être utilisé pour cibler les défenseurs des droits humains ou les journalistes ou les lanceurs d’alerte, qui ,par exemple, démontraient l’usage de la force dans les manifestations au Togo ou qui seraient critiques à l’égard des autorités ». En effet, l’article 28 de cette loi punit de « six mois à deux ans de prison d’emprisonnement et d’une amende de deux millions à dix millions de francs CFA ou de l’une des deux peines » la diffusion de « données de natures à troubler l’ordre ou la sécurité publique […] ». Sans pour autant définir ce qu’est troubler l’ordre ou la sécurité publique.

Le texte prévoit notamment la création de l’Agence Nationale de la Cybersécurité (ANCY) placée sous la tutelle du ministère chargé de la sécurité et du ministère chargé de l’économie numérique. Selon l’article 6 de la loi, elle a pour but de concourir « à la définition et à la mise en œuvre de la politique et des orientations stratégiques en termes de cybersécurité ». Un Fonds de souveraineté numérique est également créé afin de financer « des stratégies nationales de cybersécurité et [appuyer] les actions de l’Agence Nationale de Cybersécurité ».

Le 9 octobre 2019, le gouvernement togolais a ratifié la Convention de l’Union Africaine sur la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel.

Le 29 octobre 2019, l’assemblée nationale vote la Loi N° 2019-014 relative à la protection des données à caractère personnel qui a pour objet de « réglementer la collecte, le traitement, la transmission, le stockage, l’usage et la protection des données à caractère personnel » et « garantit que tout traitement des données à caractère personnel, sous quelque forme que ce soit, ne porte atteinte aux libertés et aux droits fondamentaux des personnes physiques ».

Contexte « technologique/industriel »

Dans son rapport du 4e trimestre 2019, l’ARCEP note qu’il y a désormais 43608 abonnements à la téléphonie fixe, 6 239 183 abonnements à la téléphonie mobile (taux de pénétration : 81,91%) et 4 671 179 abonnements « à la data mobile » (taux de pénétration internet mobile : 61,32%, mais taux de pénétration internet haut débit mobile : 43,61 %). Le nombre d’abonnements à l’internet fixe est de 31 889 (taux de pénétration : 0,42%).

Le marché de la téléphonie mobile se répartit entre Togo Telecom (48,6%) et Togo Cellulaire (51,4%). Seuls Togocel et Moov Togo proposent la 3G et la 4G.
Le marché de l’internet mobile se répartit entre Togo cellulaire, Moov Togo, Togocel.
Le marché de l’internet fixe se répartit entre Togo Telecom, CAFE Informatique, Téolis et GVA.
Pour élargir le taux de couverture internet, le gouvernement togolais a lancé en 2018 un programme de « hotspots wifi publics ».
Le programme a démarré à Lomé. « Il devrait se poursuivre dans villes d’Aného, de Tsévié, de Kpalimé, d’Atakpamé, de Sokodé, de Kara et de Dapaong, selon Togo Matin ».

Togo Telecom est l’opérateur historique togolais, il est depuis 2017 une des filiales de TogoCom avec Togo Cellulaire. 51 % du capital de TogoCom est acheté en 2019 par un conglomérat malgache, Axian. En novembre 2020, Axian annonce avoir lancé le réseau 5G au Togo. Selon Axian, l’engagement avait été pris en novembre 2019 pour « répondre aux objectifs du plan national de développement » et « faire du Togo le hub digital de la sous-région ». « A ce jour, les services 3G et 4G couvrent respectivement 96% et 65% de la population Togolaise et 4,5 millions d’abonnés (+9% sur un an) utilisent le réseau. L’ambition de TOGOCOM est de faire encore mieux avec un effort continu sur le déploiement du réseau et une amélioration de la qualité de services. » Selon Jeune Afrique, « l’année 2019 aura été celle de l’ancrage d’Axian en Afrique de l’Ouest. Un mois seulement après avoir officiellement lancé la marque Free au Sénégal – grâce à l’opérateur Tigo Sénégal, qu’il a repris en 2018 à Millicom avec ses partenaires Yérim Sow et Xavier Niel –, Hassanein Hiridjee, patron du conglomérat malgache, a finalisé en novembre 2019 l’acquisition, via le consortium Agou Holding, créé avec son partenaire minoritaire Emerging Capital Partners (ECP), de 51 % de Togocom, l’opérateur public togolais (mobile, fixe, internet). L’État a conservé 49 % de l’entreprise, qui a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires d’environ 183 millions d’euros.
Cette opération a permis à l’entreprise publique, qui emploie 1 400 collaborateurs, d’être valorisée à 320 millions d’euros.
Du côté d’Axian, elle lui permet de renforcer son ancrage ouest-africain, dans la perspective de futures synergies avec ses activités dans l’énergie ».

Moov Togo, devenu en février 2021 « Moov Africa Togo », est « issu du groupe international Maroc Telecom ». En même temps qu’elle fait évoluer sa marque, l’entreprise « présente dans onze pays africains, annonce le renforcement d’ici juin 2021, de la bande passante pour une connexion fiable et accessible. »

GVA est la filiale togolaise du « groupe Vivendi Africa ». Présente depuis mars 2018, elle couvre essentiellement Lomé, et propose un accès internet à très haut débit, via une box.

En août 2020, un appel est lancé sur les réseaux sociaux pour une journée de boycott des opérateurs telecoms : « un dimanche sans appel téléphonique et sans connexion mobile. C’est l’appel lancé par l’activiste Anani Sossou sur les réseaux sociaux. Il s’agit pour lui de contraindre les deux opérateurs télécoms Togocom et Moov-Togo à revoir le « coût de communication au Togo qui est le plus élevé dans la sous-région, l’un des plus élevés d’Afrique et une certaine médiocrité au niveau du réseau ».

Fin 2018, la construction d’un data center, « Carrier Hotel » , est lancée à Lomé. « La construction d’un Carrier Hotel par le Togo s’inscrit dans le cadre du Programme Régional Ouest-Africain de Développement des Infrastructures de Communications (WARCIP) dans lequel le Togo s’est engagé depuis 2014 ». Le projet qui devrait se terminer fin 2020 a été financé par la banque mondiale. « Selon le Ministère de Postes et de l’Économie Numérique, le projet prévoit l’acquisition en gros de la bande passante internationale. Ceci devrait donner au Togo une alternative au point d’atterrissement du câble sous-marin WACS et permettre aux opérateurs d’offrir des services internet à bas prix. »

Lors de l’entrée en fonction du nouveau comité de direction de l’ARCEP le 9 juin 2020, la presse titre « Togo : des « gendarmes » désormais derrière les opérateurs telecom » : « Les membres du comité de direction de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (ARCEP) prennent officiellement fonction. Leur mission, jouer les « gendarmes » derrière les opérateurs de télécommunication. Les membres de ce comité de direction ne sont autres que le Colonel Cossi Sogoyou, le Commissaire divisionnaire Messan Awoh Dedji, et Djahlin Broom (…). Les membres du comité de direction de l’ARCEP, il faut le préciser, sont proposés par le ministre chargé de la communication électronique, le ministre chargé de la sécurité, le ministre chargé de la défense, la chambre du commerce et l’Assemblée nationale. »

Le Togo fait partie des pays cités dans les rapports sur le malware Pegasus (qui permet de surveiller les activités d’un téléphone portable, via WhatsApp notamment). Le Togo est également cité parmi les cibles de l’opération de désinformation en amont d’élections par des faux comptes sur Facebook et Instagram gérés par l’entreprise israélienne, Groupe Archimède.

En 2021, le Togo lance « un nouvel organisme opérationnel, avec pour mission la protection du cyberespace togolais ». « L’organisme baptisé Computer Emergency Response Team (CERT.tg) - en français Centre national de réponse aux incidents de cybersécurité au Togo - résulte de la collaboration entre l’expert européen de la cybersécurité, Asseco Group, et le gouvernement togolais. (…) Le CERT.tg sera dirigé par Cyber Defense Africa (CDA), une joint-venture créée par les deux entités partenaires, et sous l’égide de l’Agence nationale de la cybersécurité, rappelle Togo First. »

Points d’attention pour la protection numérique des défenseurs des droits humains

  • Coupures internet
  • Piratage du matériel informatique
  • Surveillance des réseaux sociaux
  • Désinformation