État des lieux du contexte numérique pour les défenseurs des droits humains dans 10 pays africains

Sécurité numérique au Niger

, par AEDH, ritimo, Tournons La Page , DUVAL Virginie, POURCHIER Mathieu

Contexte politique

Un premier forum pour la gouvernance de l’internet s’est déroulé au Niger en 2013 à la suite des différents Sommet Mondiaux de la Société de l’Information (SMSI) des Nations Unies. Selon le salarié de la coalition internationale, basé au Niger, c’est le seul des pays où TLP est implanté où il est très difficile de trouver les textes de loi sur internet.

Après deux mandats, le président Mahamadou Issoufou laissera sa place lors des élections présidentielles de février 2021.

Un scandale de corruption a éclaté au Ministère de la Défense Nationale en février 2020, un audit ayant révélé que des centaines de milliards de francs auraient été détournés depuis 2011.

Ce scandale a conduit à une mobilisation citoyenne et à de nombreuses arrestations.

En mars 2020, plusieurs « organisations de la société civile demandent aux autorités de mettre un terme au harcèlement des défenseurs des droits humains ». « Les signataires soulignent leurs préoccupations face à la montée croissante de la répression de la société civile au Niger et l’instrumentalisation des risques liés à la pandémie du COVID-19 pour asphyxier l’espace civique en ligne et hors ligne – notamment les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association, et de participation politique garantis par les obligations internationales et par la Constitution du Niger ».

Il existe dans le pays au moins une association de blogueurs (Association des Blogueurs pour une citoyenneté active ABCA), qui organise des activités autour des outils numériques. La présidente de l’association, Samira Sabou, journaliste, est poursuivie en justice, en 2020, pour un post facebook.

Contexte légal

En 2017 est créée l’Agence Nationale pour la Société de l’Information (ANSI), cette dernière a pour objectif « la mise en oeuvre opérationnelle de la stratégie nationale d’accès universel aux TIC ainsi que les programmes et projets de développement des TIC sur toute l’étendue du territoire national ». Parmi ses projets : l’e-gouvernement, les villages intelligents, la cité de l’innovation et la protection du numérique.

L’année suivante est créée par la Loi N°2018-47 du 12 juillet 2018 l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et de la Poste (ARCEP), une Autorité Administrative indépendante, rattachée au Cabinet du Premier Ministre. « L’ARCEP a parmi ses principales missions de « veiller à l’application stricte des textes législatifs et réglementaires ; Protéger les intérêts de l’Etat, des utilisateurs et des opérateur... » C’est également l’ARCEP qui observe la pénétration des télécoms dans le pays.

La Loi 2019-33 du 3 juillet 2019 portant répression de la cybercriminalité au Niger est la première d’une série de lois sur les questions numériques au Niger. Son article 31 punit la « diffusion de données de nature à troubler l’ordre public ou à porter atteinte à la dignité humaine » d’une « d’une peine d’emprisonnement de six mois à trois ans et d’un million à cinq millions de francs CFA d’amende ». Selon la magistrate Gogé Maimouna, « La preuve en matière de cybercriminalité est : tout écrit sous forme électronique, il est admis comme preuve au même titre que l’écrit sur support papier dès lors que l’auteur est identifié et le contenu de l’écrit n’a subi aucune dénaturation ».

En précisant que : « la preuve électronique peut servir au pénal, elle peut servir au civil ». « Tout ce que vous mettez sur les réseaux sociaux ; en cas de procès, le juge peut demander à la partie qui porte plainte contre vous d’apporter ces publications. On va vous poursuivre sur la base de ces écrits ». « Avant l’adoption de la loi sur la cybercriminalité au Niger, on ne comptait que deux formes de preuves, celle écrite sur papier et celle orale. Cependant, une troisième forme de preuve est intervenue en matière de cybercriminalité qui inclut tous les types d’envois effectués sur les moyens de communication comme les réseaux sociaux a expliqué Mme Gogé Maimouna Gazibo. Les accusations et insultes portées à l’endroit d’une personne sur les réseaux sociaux peuvent conduire en prison selon la magistrate. »

Selon Amnesty, « une dizaine de personnes ont été arrêtées entre les mois de mars et avril de cette année sous le coup de l’article 31 de cette loi adoptée en 2019 (…) Parmi les cas d’arrestations arbitraires sur le fondement de cette loi documentés par l’organisation figure celui de Amina Maiga. Elle a été arrêtée et déférée le 29 avril à la suite de l’interception d’une conversation privée sur WhatsApp où elle critiquait la gestion de la pandémie de COVID-19 par le gouvernement. Elle a été condamnée le 7 mai à trois mois de prison avec sursis et 20 000 CFA d’amende pour trouble à l’ordre public. » Les ONG africaines de défense des droits humains ont dénoncé en 2020, devant le conseil des droits de l’homme de l’ONU :
« Selon le gouvernement, l’objectif de la loi est de réglementer l’utilisation des technologies numériques. Le gouvernement a fait valoir que la loi est nécessaire pour contrer les comportements abusifs observés dans l’utilisation des technologies numériques qui constituent une menace pour l’État. Cependant, depuis son adoption, la loi a été utilisée pour cibler les DDH et les journalistes qui expriment simplement des préoccupations sur des questions touchant les citoyens, comme la corruption ou les violations des droits de l’homme ». « Le 10 juin 2020, la journaliste et blogueuse Samira Sabou a été arrêtée et accusée de « diffamation par voie électronique » après avoir publié sur Facebook des informations sur les conclusions d’un audit qui a révélé un détournement de fonds dans l’achat de matériel militaire par le ministre de la Défense. Elle a été arrêtée après que le fils du président du Niger ait déposé une plainte pour diffamation contre elle et a été inculpée en vertu de la loi de 2019 sur les cyber-crimes. Le 28 juillet 2020, elle a été acquittée par la Haute Cour, qui a jugé que l’infraction dont elle était accusée ne pouvait être établie ».

Le 29 mai 2020 est adopté la loi 2020-19 portant sur l’interception de certaines communications émises par voie électronique au Niger. Son article 2 prévoit que « peuvent être autorisées par décision du Président de la République […] les interceptions de communication émises par voie électronique ayant pour objet la recherche de renseignements suivants : atteinte à la sûreté de l’État et à l’unité nationale, atteinte à la défense nationale et à l’intégrité territoriale, prévention et lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée, et prévention de toute forme d’ingérence étrangère et intelligence avec l’ennemi ». Selon Benbere, « l’article 11 spécifie que les enregistrements liés à l’interception sont détruits sur l’ordre du président et expirent un mois après que l’ordre d’intercepter les communications soit donné, et les rapports d’enquête sur l’exploitation de l’interception rédigés. L’article 12 peut cependant permettre la sauvegarde prolongée des enregistrements de l’interception pour une durée indéterminée, spécifiant que « les transcriptions d’interceptions doivent être détruites dès que leur conservation n’est plus indispensable à la réalisation des fins mentionnés à l’article 2 [atteinte à la sûreté d’État, etc.] » et « il est dressé procès-verbal de « l’opération de destruction ».
Les ONG dénoncent une loi qui « rend légale l’interception des communications », « sans protection appropriées ni mécanismes de contrôle »
Selon l’opposition, « la loi risque d’être utilisée pour régler des comptes politiques », « avec cette loi les nigériens n’auront ni vie privée, ni vie professionnelle, elle est en désaccord avec la démocratie et tous les traités et conventions internationaux auxquels le Niger est partie ». Devant le comité des droits de l’homme de l’ONU, les ONG se sont inquiétées : « il est à craindre que les représentants du comité mis en place pour diriger l’interception des communications, la Commission de surveillance de l’interception des communications, soient tous nommés par des membres du cabinet présidentiel. La loi exige également que les fournisseurs de services, les opérateurs de réseaux et les fonctionnaires du gouvernement coopèrent aux opérations visant à intercepter les communications ».

En juin 2020, « le gouvernement nigérien a adopté le projet de décret portant sur l’identification des acheteurs et utilisateurs de services de téléphonie mobile et d’internetouverts au public. Ce projet a pour objectif d’intégrer de nouveaux acteurs tels que les gérants de cybercafé ou de wifi public et de prendre en compte la protection des données à caractère personnel. Il vise également à amener les abonnés, les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès à l’internet à s’acquitter de leur obligation d’identification ».

Lors de la présentation de la loi sur la cybercriminalité, en juillet 2020, dans un séminaire du Conseil de l’Europe, il est précisé que dans l’écosystème de cette loi, on trouve, outre le Conseil Supérieur de la Communication, l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques, l’Autorité de Régulation de Micro finance, une « Autorité de Protection Données personnelles ». Instituée par la la Loi n°2017 -28 du 03 mai 2017 relative à la protection des données à caractère personnel, elle « est chargée de veiller à ce que le traitement et l’usage des données à caractère personnel ne portent pas atteinte aux libertés publiques ou ne comportent pas de menace à la vie privée des citoyens, en particulier dans l’utilisation des technologies de l’information et de la communication ». On apprend aussi que, parmi les projets du gouvernement nigérien, il y a la création d’un « laboratoire d’investigation électronique » (2021), d’un « système de surveillance et de contrôle des services de télécommunication », d’un « programme d’identification pour l’inclusion sociale ».

La Haute Autorité de Protection des Données à caractère Personnel (HAPDP) est officiellement mise en route en juillet 2020. Lors de la cérémonie de lancement, sa présidente, « Mme Sanady Tchimaden Hadatan, a rappelé le contexte dans lequel cette institution a vu le jour, celui de la protection des droits de l’homme en général et de la vie privée en particulier à travers la protection des données à caractère personnel. La vie privée est exposée de nos jours avec la prolifération des données et la HAPDP a pour mission la protection de ces données qui ont un caractère personnel. Pour la bonne conduite des activités de la HAPDP, la collaboration avec les citoyens est nécessaire. A cet égard, a-t-elle indiqué, il est important que chaque citoyen soit conscient de ses droits sur les données et qu’il ne doit pas hésiter à les exercer auprès des responsables de traitement.

Le Niger est partie prenante du programme « OCWAR-C », un programme co-financé par l’Union européenne et la Cédéao pour « améliorer la cybersécurité et lutter contre la cybercriminalité ».
« Plus spécifiquement, OCWAR-C visera à améliorer la résilience et la robustesse des infrastructures de l’information ; la capacité des parties prenantes en charge de la lutte contre la cybercriminalité ». En janvier 2021, le parlement de la Cédéao adopte un nouveau document sur la stratégie régionale de cybersécurité (préparé par son Comité technique régional, CTR).

Contexte “technologique/industriel”

En 2013, le gouvernement nigérien adopte une « politique nationale en matière de télécommunication et des technologies de l’information et de la communication ».

Le projet prévoit le développement d’une dorsale transsaharienne à fibre optique (DTS). Le projet DTS est financé par l’État nigérien et la banque africaine de développement (accord obtenu en 2016). « Le DTS devra couvrir un tracé de 1.510 km de fibre optique entre le Tchad et le Niger, puis reliera ce dernier à l’Algérie et le Nigéria avec des interconnexions avec le Burkina Faso et le Bénin ». Selon la banque africaine de développement, cela devrait permettre de « doubler le taux de pénétration des services internet, qui devrait passer de 15 à 30% au Niger, une fois le DTS opérationnel.

En 2019, les premières études sur le projet DTS sont présentées par le ministère des postes et télécommunications : elles ont pour sujet, notamment, « l’implémentation d’un système intégré de gestion de l’identification électronique des personnes (SIGIEP) et la mise en place d’un centre de données ».
Il était prévu que le tronçon nigérien de la DTS soit réalisé en 2020. Cependant, lors d’un conseil des ministres de décembre 2020, le ministre des postes et télécommunications annonce « l’attribution d’un marché public passé par appel d’offres international pour les travaux de mise en oeuvre des infrastructures optiques de la dorsale transsaharienne à fibre optique, composante du Niger au Groupement CGPS SA-LORYNE SA/Burkina Faso, avec un délai d’exécution de quatorze (14) mois. »
La mise en place de « SIGIEP » est une priorité de la banque africaine de développement qui souhaite lutter contre les inégalités et la non possession de documents d’identité par les plus pauvres.
Un SIGIEP devrait permettre « une base de données nationale d’état civil comportant un identifiant électronique de la personne à des fins de gestion interne des opérations d’état civil mais aussi à des fins d’intégration avec des autres participants aux processus d’identification et d’authentification de la personne, et devant également permettre des études et analyses sur la population ». Le centre de données (« datacentre ») sera situé à Niamey.

En novembre 2020, le chantier d’interconnexion par fibre optique du Tchad au Niger est lancé. Le projet, qui n’est qu’une partie de la dorsale transsaharienne à fibre optique, devrait s’achever vers 2024.

En décembre 2020, le gouvernement annonce que « l’Agence nationale pour la société de l’information (ANSI) du Niger va connecter près de 2 111 villages aux services de téléphonie mobile et d’internet à haut débit ». Le « Projet villages intelligents pour la croissance est l’inclusion numérique » (PVI) devrait durer six ans. « Dans le cadre du PVI, les villages cibles bénéficieront d’infrastructures numériques, de campagnes d’éducation numérique et financière, de la modernisation des moyens de paiement des coopératives d’agriculteurs et d’éleveurs pour développer les transactions dématérialisées, de la création de plateformes de données pour les agriculteurs et les éleveurs. »

Le programme « villages intelligents » entre dans le cadre du programme stratégique Niger 2.0, a été initié par IbrahimaGuimba-Saidou, « Ministre Conseiller Spécial du Président de la République » à la tête de l’Agence Nationale pour la Société de l’Information (ANSI). « Le lancement du premier ‘’village intelligent’’ a eu lieu le 28 juin 2018 à Fachi, une commune enclavée dans le Sahara dans le département de Bilma (extrême Nord-Est, plus de 1 000 km de la capital Niamey) ».

Le 6 mars 2020, un communiqué officiel du gouvernement rendu public au terme du Conseil des ministres explique que l’entreprise suisse MGI communications SA a été retenue par le gouvernement nigérien pour la « mise en place d’un système de surveillance et de contrôle des services de télécommunications » dans le pays.

Au printemps 2020, les opérations devant permettre la création d’un fichier biométrique électoral (suite à l’audit de 2015 de l’OIF et la Cédéao) sont lancées. C’est l’entreprise néerlandaise « de sécurité numérique », Gemalto qui en est chargée (comme en Guinée, au Bénin, Burkina Faso et Gabon). En septembre 2020, le fichier est remis à la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), il compte 7 446 556 électeurs.

Dans son rapport d’observatoire des télécommunications au 2e trimestre 2020, l’ARCEP note qu’il y a 116 886 abonnés à la téléphonie fixe (99 % chez Niger Telecoms, seulement 218 chez Orange). On compte, par contre, près de 11 millions d’abonnés à la téléphonie mobile.

L’opérateur principal est Airtel (presque 50%) ; suivi de Moov puis Orange et Niger Telecoms. Enfin, l’agence note qu’il y a désormais 5 934 182 abonnés à internet. Les fournisseurs étant les mêmes que les opérateurs mobile. En octobre 2018, les frais d’itinérance entre pays du G5 Sahel sont supprimés (« les frais d’itinérance sont encourus lorsque les usagers utilisent leur téléphone mobile en dehors de la zone de couverture de leur fournisseur »).

Selon la société de conseil australienne, BuddeComm, spécialisée dans le développement des télécommunications, malgré le développement de la DTS, « les investissements des opérateurs (de telecom) ont chuté de façon spectaculaire depuis 2015. Orange Niger n’a réalisé aucun investissement significatif en 2019, l’entreprise ayant quitté le marché. Après des années de difficultés financières, l’opérateur public de téléphonie fixe Sonitel a fusionné avec son unité mobile, SahelCom, fin 2016 pour former une nouvelle entité, Niger Telecom. La société issue de la fusion a obtenu une licence globale de télécommunications en novembre 2017 et vise à développer une plus grande efficacité grâce au partage des ressources et des infrastructures ».

En novembre 2019, Orange Niger S.A est effectivement vendu à Zamani Com S.A.S (Les services de l’entreprise continueront d’être commercialisés sous la marque Orange pendant une période de transition), l’ARCEP note des investissements en progression en 2020, au point qu’Orange peut couvrir 84,74 % de la population (70,92 % pour Airtel ; 56 % pour Moov et 37,66 % pour Niger Telecoms). Le taux de pénétration reste néanmoins très bas. En juillet 2019, Airtel est le 1er opérateur à lancer la 4G à Niamey.

Points d’attention pour la protection numérique des défenseurs des droits humains

  • Surveillance des réseaux sociaux
  • Condamnation en lien avec les publications sur les réseaux sociaux
  • Développement de « villes intelligentes » (et multiplication des moyens de surveillance)
  • Développement de la biométrie (et multiplication des moyens de surveillance)