Salut le réseau !
Le week-end dernier, c’était l’Assemblée Générale de ritimo. Un temps incroyable d’échanges formels et informels, de débats et de rires, de conversations et de réflexions (encore un grand merci à RTM pour l’organisation). Ça a également été l’occasion pour moi de faire part à certain·es d’entre vous de mon départ pour le Pérou pour les six prochains mois — retour le 9 décembre.
Mais tu quittes ritimo ? m’a-t-on demandé. Que nenni. Depuis le Pérou, je reste à temps partiel sur mon poste. Mais à temps partiel seulement car en parallèle du travail sur le prochain Passerelle (qui portera sur la question décoloniale) et du suivi des dossiers thématiques DPH (à retrouver dans la rubrique "S’informer" du site ritimo), je me suis lancée cette année dans une thèse en Anthropologie sociale et Ethnologie à l’EHESS. Le sujet : "Des haciendas à l’extractivisme sexué : échange économico-sexuel et colonialité au sud des Andes péruviennes". Genre, rapports sociaux de sexe, industries extractives, peuples autochtones, justice environnementale, colonialité... Voilà des sujets qui intéressent bien des membres dans le réseau. Alors, pendant l’AG, a émergé l’idée de vous faire part, au fur et à mesure de ces 6 mois, de ce que je vois, ce que j’entends, sur quoi je travaille, quelles sont mes réflexions et analyses, etc. C’est donc à ça que sera dédiée cette rubrique de la Navette internet de ritimo.
Premier épisode : arrivée à Lima, et plan de voyage.
Me voici installée à Lima pour deux semaines, le temps de (re)prendre mes marques dans le pays. Pour celleux qui ne le sauraient pas encore, j’ai vécu 7 ans au Pérou entre 2011 et 2017 : le pays ne m’est pas étranger, j’ai d’ailleurs pris la nationalité péruvienne en 2016. Mais les temps changent, le contexte évolue, et tout le monde avec. Installée chez une amie péruvienne activiste des droits des femmes et des peuples autochtones, je reprends donc mes marques. Et j’en profiterai pour commencer à faire des entretiens pour mon premier travail de terrain à La Oroya.
La Oroya est historiquement le premier centre minier et métallurgique du Pérou. Depuis 1922, le complexe métallurgique développe des activités industrielles massives, et la pollution liée à ces activités n’a pas tardé à se faire sentir. Aujourd’hui, c’est devenu un cas emblématique des problèmes de santé environnementale : il est de notoriété publique que les enfants naissent avec du plomb dans le sang. La problématique ne date pas d’hier, or l’État péruvien ne fait jusqu’à présent pas grand chose pour garantir le droit à la santé environnementale. Dans ce cadre, l’Association Interaméricaine de Droits Environnemental (AIDA) a décidé de porter ce cas emblématique devant la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, lui demandant d’émettre un jugement contraignant qui soit à même d’obliger l’Etat péruvien à remédier aux passifs environnementaux et à garantir le droit à la santé et à un environnement sain. Dans ce cadre, AIDA a fait appel à moi pour produire un rapport d’experte (peritaje) sur les impacts différenciés entre les femmes et les hommes des conséquences de la pollution environnementale liée aux industries extractives. AIDA avait eu accès, via la Plateforme des Personnes Affectées par les Métaux Lourds (plateforme nationale) à la publication de la recherche que j’avais dirigée en 2017 pour l’ONG Derechos Humanos Sin Fronteras à Cusco. Cette publication, intitulée "Mujeres, Mineria y Salud Mental" — Femmes, activité minière et santé mentale — explorait, décrivait et analysait les impacts psycho-émotionnels des activités minières sur les femmes des communautés avoisinant le projet minier Tintaya Antapaccay. Intéressée par cette démarche, AIDA a donc fait appel à moi pour produire ce rapport d’experte, qui se veut un plaidoyer à intégrer de façon sérieuse la perspective de genre dans la recherche de justice et réparation pour les personnes impactées par les conséquences sociales et environnementales négatives des activités extractives.
Le mois de juillet sera donc dédié à ce travail de terrain à La Oroya. Entretiens avec des travailleur·ses des ONG, avec le personnel médical et éducatif, avec des fonctionnaires d’État local, des représentations d’organisations sociales, de syndicats, de l’entreprise minière-métallurgique, des membres des communautés paysannes avoisinantes... Pour évaluer comment la situation de pollution environnementale affecte différemment les hommes et les femmes, du fait des rôles et des positions sociales différentes qu’ils et elles assument dans cette société.
Début août, j’irai visiter Ayacucho, une ville du centre-sud des Andes péruviennes, dans le cadre d’un colloque international sur les violences d’État depuis les deux décennies de guerre interne entre le mouvement terroriste maoïste Sentier Lumineux et l’Etat (voir le dossier dédié sur le site de ritimo) jusqu’aux récents assassinats de Bryan et Inti au cours des manifestations contre le coup d’État parlementaire de novembre 2020 (voir le zoom d’actualité rédigé par la MPP d’Angoulême). Il est fort symbolique que ce colloque ait lieu à Ayacucho, car cette ville a été le point de départ des activités du Sentier Lumineux, et une des régions les plus touchées par la violence de ce conflit armé interne.
Puis, je descendrai vers la ville de Cusco pour le mois d’août. L’idée étant d’aller consulter les archives sur la Réforme Agraire (pour les intéressé·es par le sujet [et hispanophones] je recommande vivement le documentaire "La Revolucion y la Tierra"), la bibliothèque du Centre Bartholomé de las Casa, etc. Puis, le 25 août, je devrai me présenter devant l’Assemblée de la communauté de la province de Chumbivilcas (région Cusco) dans laquelle je passerai plusieurs mois.
Une amie médecin de Cusco travaille dans cette communauté depuis le mois d’octobre et a déjà pré-négocié ma présence de la communauté. Par communauté, j’entends le mode d’organisation sociale, économique et politique dans les régions rurales des Andes. Souvent organisées par réseaux de parenté (nommés ayllu), les communautés andines sont des unités sociales et territoriales de regroupements de familles. Chaque communauté a un président et un bureau (junta directiva), élu·es par l’Assemblée mensuelle qui est l’instance suprême. Au sein des communautés, on pratique encore généralement les mécanismes d’entraide et de réciprocité qui assure la survie dans l’économie agraire : l’ayni, des services mutuels basés sur la confiance et la réciprocité (aujourd’hui je t’aide à travailler ton champ, demain tu m’aides à travailler le mien) ; le troc de biens ; la faena (travail collectif pour les gros oeuvres et infrastructures collectives, comme l’entretien des canalisations d’irrigation, etc.)...
Les communautés andines parlent Quechua — une langue parlée dans les Andes que j’étudie depuis septembre 2018 à l’INALCO. Dans le cadre de ma thèse, j’ai l’intention de pouvoir faire des entretiens en quechua — l’objectif principal de ce travail de terrain sera de consolider ma maîtrise du quechua afin de réaliser les entretiens qui seront le matériau de ma recherche doctorale en 2023, en quechua. De plus, l’entrée sur le terrain sous ces conditions est plus que favorable : en tant qu’étrangère, blanche et très éduquée, je ne viens pas pour leur expliquer la vie. Au contraire, je viens pour apprendre d’elles et eux : ils et elles ont des connaissances valorisables qu’il m’intéresse d’apprendre. Dans un contexte très marqué par le racisme contre les paysan·nes quechuaphones, cette entrée en relation est très importante, et marque un certain respect et une désir de réciprocité et d’horizontalité dans les rapports.
Les mois de septembre, octobre jusqu’à mi-novembre seront donc des mois dédiés à m’imprégner de la langue, des formes de vie et de relations sociales, de prise de contacts, d’explication des raisons de ma présence dans ces communautés.
Je serai de retour dans la ville de Cusco le 25 novembre pour la Journée Internationale de Lutte contre les Violences faites aux Femmes. En effet, pendant ma période de vie à Cusco, j’ai co-fondé un collectif féministe, Género Rebelde, qui reste une référence sur la scène socio-politique cusquénienne. Le contexte est difficile pour les féministes péruviennes : la vague de conservatisme liée notamment à l’essor des cultes évangéliques (voir le zoom d’actualité de ritimo sur le sujet) impact fortement les luttes pour la dépénalisation de l’avortement en cas de viol, pour l’éducation sexuelle intégrale, pour l’accès à la pilule du lendemain, pour le droit à l’autoidentification des personnes trans, etc.
Enfin, se profile un voyage chez les Shipibo, dans l’Amazonie nord, un territoire qui résiste depuis deux décennies face aux incursions des entreprises pétrolières et des mafias de trafic de bois.
Voilà pour le plan de voyage pour les six prochains mois au Pérou.
Vous avez des questions ? Des demandes de précisions ? Des centres d’intérêt particuliers ? N’hésitez pas à m’écrire : c.weill@ritimo.org