Villes contre multinationales

S’attaquer à la dette depuis le bas

Le municipalisme face au carcan de la finance

, par ÁLVAREZ Yago

Les « municipalités de changement » élues en 2015 en Espagne, nées d’une révolte contre l’austérité, ne pouvaient manquer de s’attaquer au problème de la dette. Puisant dans l’expérience de la société civile, elles ont cherché à développer des démarches comme les « audits citoyens » de la dette, mais se sont heurtées au pouvoir de la finance.

Quelque 300 000 familles expulsées, d’énormes coupes budgétaires dans les services publics, une modification de la Constitution, et des réformes légales qui ont reconcentré le pouvoir au profit tant de Madrid que de Bruxelles et au détriment de la souveraineté des citoyens : tous ces événements subis par l’Espagne ces dernières années ont un point commun. Ce point commun, c’est la dette comme outil de domination.

La dette : de quoi parle-t-on, exactement ?

La difficulté à répondre à cette question explique probablement la difficulté qu’a rencontré le mouvement espagnol contre la dette à élargir cette lutte si importante, et à rassembler les forces nécessaires pour la mener au niveau de toute la société. La dette est le principal instrument d’assujettissement et de domination aux mains de ceux qui exercent et contrôlent le pouvoir, aujourd’hui comme à travers toute l’histoire. Mais ce n’est pas seulement cela : c’est aussi un soubassement moraliste qui a imprégné toutes les étapes de l’évolution anthropologique de l’être humain et de ses sociétés, pilier fondamental de la pérennité d’un statu quo favorable à ceux qui occupaient les échelons les plus élevés de ces structures sociales. Pas grand-chose n’a changé de ce point de vue. Le mantra social selon lequel « il faut payer ses dettes », si ancré dans l’imaginaire collectif, ainsi que la mise au pilori de celui ou celle qui ne remplirait pas cette « obligation » comme si c’était un « péché », restent vivaces dans les normes et la culture éthique de notre société actuelle.

Face à l’essor de l’athéisme et au déclin des croyances religieuses qui, très souvent, servaient à intimider la personne endettée, de nouveaux dieux ont été créés. Sous l’égide du capitalisme, ces nouvelles divinités se chargent désormais d’imposer la loi de la dette, de pair avec les autres commandements sacrés de la même foi dévastatrice, comme le libre-échange ou le refus de l’intervention de l’État dans l’économie – c’est-à-dire le refus que des décisions démocratiques puissent mettre des limites à cette religion. Tout de noir vêtus, les prêtres du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale ou de l’Organisation mondiale du commerce se chargent d’imposer l’orthodoxie et de punir les païens qui oseraient la contredire. Le système financier international, bras armé de cette religion, s’occupe de capter de nouveaux fidèles en les piégeant dans sa toile : le crédit.

Mais cette Église perd aussi des adeptes. Et parmi ces profanes est en train de se tisser un réseau dans le monde entier, bien décidé à faire face au système de la dette et à ses conséquences, et à s’attaquer à ceux qui la contrôlent et l’utilisent comme outil de spoliation et de domination. Ce mouvement mondial évolue et se transforme en fonction du lieu et des contextes de chaque lutte, mais il a un dénominateur commun : le refus des dettes illégitimes, construites sur le dos des citoyens pour le profit de quelques-uns.

Avec plus de 20 ans d’expérience militante, le mouvement espagnol contre la dette s’est positionné parmi les plus solides et les plus développés du monde, surfant sur la vague du mouvement social des Indignés/15M (né en 2011) et des candidatures municipalistes citoyennes (nouvelles plateformes politiques issues de la société civile).

Un million de personnes contre la dette

Le dimanche 12 mars 2000, alors que José María Aznar, candidat de la droite espagnole, obtenait la majorité absolue au Parlement, une autre facette de la démocratie se dessinait dans les rues de plus 500 villes à travers le pays, dans les urnes et sur des bouts de papier qui posaient trois questions. La première était : « Souhaitez-vous que le Gouvernement espagnol annule totalement la dette extérieure que les pays pauvres ont envers lui ? »

Il s’agissait de la Consultation sociale pour l’abolition de la dette extérieure, un moment clé de la lutte contre la dette en Espagne. Plus de 20 000 volontaires au sein de quelque 1400 collectifs ont coordonné cet acte de désobéissance civile, qui visait à attirer l’attention sur cette question urgente par le biais de la démocratie directe.

Cette consultation a eu un autre résultat, plus durable : la création du premier mouvement social contre la dette en Espagne. Le Réseau citoyen pour l’abolition de la dette extérieure (RCADE), né en l’an 2000, regroupe différentes composantes militantes dans le but de travailler de façon coordonnée. En 2005, il devient la campagne « Qui doit à qui ? », laquelle élargit le débat et développe une vision allant bien au-delà de l’aspect strictement économique. Commencent alors à être travaillés et discutés les termes de dette historique, écologique, sociale et, un peu plus tard, de dette de genre. Si aujourd’hui, les mouvements sociaux et les partis politiques espagnols utilisent spontanément ces notions de « dette écologique » ou « dette de genre » (la dette historique que la société entretient envers les femmes, qui reproduisent la vie), c’est de toute évidence grâce au travail des mouvements contre la dette de cette époque et des années qui ont suivi.

De créanciers à débiteurs

Le contexte économique et social de la bulle immobilière et financière, qui élevait les salaires et réduisait le chômage de manière artificielle, a été un facteur de démobilisation pour la grande majorité des mouvements sociaux de cette époque. Et ce, jusqu’à ce que la bulle éclate et que, comme par le passé, le poids de la dette retombe sur les épaules de ceux d’en bas, et qu’on vienne à la rescousse de ceux d’en haut. La dette s’est à nouveau transformée en un outil de domination, mais cette fois contre nous-mêmes. Des milliers de personnes étaient expulsées de chez elles par les banques faute de pouvoir rembourser leurs prêts. L’Espagne a vu sa dette extérieure exploser de 40 % à 100 % du PIB, avec les coupes budgétaires pour les services publics que cela implique, pour assainir et sauver ces mêmes banques. Un parfum de contestation et de révolte flottait à nouveau dans l’air. Passant de créanciers à débiteurs, nous avons commencé à sentir dans nos chairs la souffrance infligée aux pays du Sud via la dette extérieure, qu’avait dénoncée le mouvement contre la dette quelques années auparavant. Cette rage et ce mécontentement se sont cristallisés le 15 mai 2011 avec la naissance du mouvement 15M.

La dette et les audits citoyens figuraient en bonne place dans les revendications du mouvement 15M. Le dogme de « il faut payer ses dettes » a été la première justification des coupes budgétaires, de la modification de la Constitution espagnole, et de l’expulsion de milliers de personnes de leurs logements. Et ceci alors même que les gouvernements de pays riches volaient au secours des banquiers, condamnant les pays du « nouveau Sud », à la périphérie de l’Europe, à un recul à tous les droits sociaux qu’ils avaient conquis non sans effort.

De nombreux militants qui avaient participé à la campagne « Qui doit à qui ? » ou au RCADE ont uni leurs forces avec d’autres pour former la Plateforme audit citoyen de la dette (PACD). Les exigences de ce nouveau mouvement social, qui a développé très rapidement des bases locales dans plus de dix villes de tout le pays, n’étaient évidemment pas acceptables pour le gouvernement : analyser les causes de la crise et les politiques mises en place avant et après, celles de l’endettement public résultant, entre autres, du sauvetage du système financier, identifier quelles dettes ne devaient pas être remboursées, et désigner des responsables.

Le slogan de la PACD, « Nous en devons rien, nous en paierons rien », était répété presque quotidiennement dans les mégaphones et sur les pancartes des manifestants dans les mois qui ont suivi le 15 mai. Conférences, débats et ateliers autour de la dette se sont multipliés. Les assemblées de la PACD rassemblaient des dizaines de personnes de tout le pays pour élaborer des rapports, des outils et des éléments de langage contestant le système de la dette. C’est sans aucun doute l’un des plus grands succès, jusqu’à aujourd’hui, du mouvement espagnol contre la dette : la traduction de concepts économiques parfois difficiles d’accès dans des termes compréhensibles par tout le monde. Les citoyens, fatigués d’avoir à payer les pots cassés, ont brisé l’imaginaire moral et dogmatique de la dette. Le récit néolibéral s’est effrité face au ras-le-bol général, face à des gens qui ne cédaient plus au chant des sirènes et ne croyaient plus à l’idée que « nous avions vécu au-dessus de nos moyens ». Comme un autre slogan le formulait : « Ce n’est pas une crise, c’est une arnaque. » La PACD a réussi montrer que la dette avait été l’outil principal de cette arnaque.

A Barcelone, des manifestants brandissent une banderole en catalan qui dit "Nous ne devons rien, nous ne paierons rien, tout dépend de nous".Photo : Fotomovimiento (CC BY-NC-ND 2.0)

Depuis le 15M, les audits citoyens de la dette sont devenus la principale (mais non la seule) arme et proposition du mouvement contre la dette mené par la PACD. On avait besoin d’un outil capable de fournir des arguments et d’alimenter les luttes contre les dettes illégitimes depuis le terrain, depuis les gens eux-mêmes. Ces audits, inspirés par des processus similaires et d’autres mouvements sociaux aux quatre coins de la planète, n’ont pas été envisagés comme une simple analyse ou une étude de cas pratique, mais bien comme un moyen de renforcer le pouvoir citoyen dans l’optique de mieux connaître le fonctionnement du système. Le but : que les citoyens comprennent comment fonctionnent les réseaux clientélistes, la corruption, les mécanismes d’endettement et de pression du capital financier, l’immense pouvoir des multinationales et des institutions néolibérales mises au service de ce pouvoir. Il s’agissait de découvrir comment on en était arrivé là, dans le but de construire collectivement un avenir dans lequel ces pouvoirs ne pourraient plus utiliser les mêmes mécanismes aussi facilement, et dans lequel ceux d’en bas puissent faire plus facilement barrage à ces moyens de domination et aux dettes illégitimes en général.

De toute évidence, le plus grand succès du mouvement espagnol contre la dette, aura été de voir cette revendication de mener à bien des audits citoyens fréquemment reprise dans les programmes politiques, les déclarations publiques, les débats, les articles, dans différents secteurs (santé, éducation, énergie), ou dans la bouche de personnes qui siègent aujourd’hui au Parlement. C’est un héritage qui sera probablement durable, dont pourront profiter d’autres mouvements sociaux dans le futur.

Un travail frénétique a été mené au sein de la PACD au cours de la période postérieure au 15M. Les militants contre la dette ont réalisé des dizaines de conférences et d’ateliers, et tissé des réseaux internationaux avec des mouvements anti-dette dans d’autres pays, jusqu’à créer un réseau international pour l’audit citoyen (International Citizen Audit Network, ICAN), avec des plateformes citoyennes du Royaume-Uni, de Belgique, du Portugal, de Grèce ou encore de France. Un autre axe de travail qui mérite d’être mentionné est la création et le développement des Observatoires citoyens municipaux (OCM). Grâce au développement d’un logiciel libre et d’une méthodologie standardisée, les militants de la PACD ont orienté les groupes d’une société civile en pleine ébullition vers une démarche de transparence et de participation citoyenne au niveau municipal, en les invitant à se plonger dans les comptes de leur mairie et à exiger d’elle transparence et explications sur la gestion de l’économie publique locale. En parallèle, d’autres sous-groupes se sont créés au sein du mouvement comme le 15MpaRato (« 15M pour Rato » – qui a réussi à faire le procès de l’ex-ministre de l’Économie et ex-directeur du FMI Rodrigo Rato, impliqué dans l’introduction en bourse de Bankia, un organisme né de la fusion de plusieurs banques et qui a dû être secouru) ou encore des groupes sectoriels comme Audita Sanidad (« Audit de la Santé »).

Prendre le ciel d’assaut, en partant d’en bas

Les débats sur les places publiques autour de la dette externe, des marchés financiers ou des grands chiffres économiques n’aboutissaient que difficilement à des solutions de court terme à ces problèmes. L’exigence du non-paiement de la dette était l’objectif final, l’horizon utopique qui pousse à continuer à se battre ; mais il fallait trouver une stratégie intermédiaire. La PACD avait besoin d’un projet qui, même s’il impliquait d’abandonner pour un temps ses objectifs plus globaux, lui permette d’avancer et de convaincre davantage de gens dans le contexte d’ébullition politique citoyenne. Le mouvement a donc choisi de concentrer ses forces du côté de la politique municipaliste. Il était important que les citoyens comprennent les mécanismes de la dette au niveau local pour pouvoir, par la suite, apprendre comment lutter ensemble contre la dette à d’autres niveaux plus élevés. Cette nouvelle approche, en outre, apparaissait plus appropriée dans un contexte politique d’assaut citoyen contre les institutions de l’État espagnol.

En mai 2015, des centaines de coalitions citoyennes se sont en effet présentées aux élections municipales. La vague de participation politique et l’idée qu’« ils ne nous représentent pas » issue du 15M, ainsi que la décision de Podemos de ne pas participer directement aux élections locales, expliquent cet essor. Ces plateformes citoyennes reprenaient les demandes et les besoins exprimés et débattus sur les places publiques et dans les manifestations des années précédentes, et se sont créées dans le but de donner une voix à une société civile lasse d’être « une marchandise entre les mains des politiciens et de banquiers ». Virtuellement tous les programmes politiques portés par ces plateformes reprenaient la même exigence : « réaliser un audit citoyen de la dette ». Le discours et l’outil principal du mouvement contre la dette a ainsi fait son entrée dans les institutions et dans les mairies après le succès électoral de ces listes. Un éventail de nouvelles possibilités s’ouvraient sur la scène politique municipale.

Au cours des mois qui ont suivi cet assaut citoyen les institutions municipales, le mouvement contre la dette a été au cœur de l’agenda politique de ces nouveaux mouvements, imbibés de l’esprit du 15M. Dans ce contexte extrêmement riche, une question revenait sans cesse dans leurs réunions : « Comment faire l’audit citoyen de notre mairie ? » Les nouveaux partis politiques municipalistes ont fait appel aux militant·es de la PACD. Les conférences politiques ou la présentation de rapports d’analyse ont cédé la place à l’organisation d’ateliers pratiques auxquels assistaient non seulement des militants, mais aussi des conseillers municipaux, des maires et des fonctionnaires locaux proches de ces partis. Ces ateliers ont été l’occasion de mettre en pratique toute la connaissance accumulée pendant des années de militantisme contre la dette dans les bases locales créées par la PACD dans tout le pays. La théorie a enfin pu passer à la pratique, avec des groupes de personnes organisées ouvrant les tiroirs de leur mairie pour procéder à l’évaluation des politiques, des dépenses et des dettes accumulées au cours des dernières décennies. Un véritable processus d’émancipation citoyenne pour refuser la dette. Tout ce travail a par la suite été capitalisé et compilé dans un livre, rédigé par moi-même. Intitulé Descifra tu deuda. Guía de auditoría ciudadana municipal (« Déchiffre ta dette. Guide d’audit citoyen municipal »)4, celui-ci aborde tous les aspects théoriques et pratiques des audits citoyens municipaux, mais également le caractère et l’approche politique nécessaires pour continuer à promouvoir la culture anti-dette.

Le municipalisme s’organise contre la dette

Restait une faille : les nouveaux partis ne disposaient pas de structure commune pour partager leurs expériences et connaissances, et unir leurs forces. Un besoin cruel de davantage de collaboration, de formation et de débats sur des stratégies communes se faisait sentir. C’est ainsi qu’en novembre 2016, la PACD, le Comité pour l’annulation des dettes illégitimes (CADTM) et le groupement électoral Somos Oviedo (« Nous sommes Oviedo ») ont organisé la première Rencontre municipaliste contre la dette illégitime et les coupes budgétaires dans cette ville des Asturies. Y a été présenté le Manifeste d’Oviedo, un texte qui rejette en bloc les politiques d’austérité imposées aux collectivités locales, et met en avant l’audit citoyen de la gestion des gouvernements précédents comme outil pour désigner des responsables et dénoncer les dettes émanant d’un système financier corrompu.

Ce texte exige la fin des coupes budgétaires et qui pointe du doigt l’ennemi commun des administrations locales dans les communautés autonomes espagnoles : la Loi de rationalisation et soutenabilité des collectivités locales et la Loi organique de stabilité budgétaire et de soutenabilité financière, aussi connues sous le nom de Loi Montoro, en l’honneur du ministre de l’Intérieur du Parti Populaire de l’époque, Cristóbal Montoro. Ces lois empêchent les municipalités d’utiliser leurs excédents budgétaires pour investir ou des dépenses sociales, les obligeant à rembourser la dette de façon anticipée afin de favoriser le secteur financier. Ce sont ces lois qui ont introduit l’« austéricide » des politiques européennes au niveau local, en instrumentalisant la dette des mairies pour pouvoir mettre la main sur les budgets municipaux et, dans la même logique que les restructurations imposées par le FMI, obliger les collectivités locales à réduire leurs dépenses et à privatiser les services publics. En conclusion de cette rencontre a été votée la création de la Red Municipalista Contra la Deuda Ilegítima y los Recortes (Réseau municipaliste contre la dette Illégitime et les coupes budgétaires). Une nouvelle étape de la lutte contre la dette venait d’être franchie en Espagne.

Depuis cette rencontre, le réseau a pris racine. Plus de 300 groupements électoraux, partis politiques et mouvements sociaux ont adhéré et signé le Manifeste. Des représentants politiques de tous les échelons institutionnels, des militants et des personnalités du monde la culture y ont également souscrit. Après Oviedo, trois autres rencontres ont eu lieu dans les villes de Cadix, Rivas Vaciamadrid et Cordoue. Des campagnes et des groupes de travail se sont mis sur pied afin d’aborder des thématiques comme le refus de payer les coûts du sauvetage des banques, la dénonciation des mécanismes législatifs pervers, et d’autres thématiques en lien avec le municipalisme et les conséquences de la prise de pouvoir du système de la dette sur l’échelon de l’administration publique le plus bas et le plus proche des citoyens.

Les obstacles auxquels nous nous heurtons

Le processus de prise de pouvoir sur les administrations publiques par le néolibéralisme et son outil de prédilection, la dette, qui remonte à l’époque de Thatcher et de Reagan, était « ficelé et bien ficelé », comme l’avait dit Franco sur son lit de mort. Les administrations publiques sont contraintes par la même toile d’araignée juridico-législative qui agit comme un obstacle pour freiner les actions de ceux qui entrent en politique dans l’intention de faire bouger les choses. La bureaucratie, la législation, les organes exécutifs, leurs mécanismes... tout est organisé de telle façon que la machinerie libérale ne rencontre aucun obstacle. La dette et les contrats commerciaux passent avant les droits humains. Les banques passent avant les partis politiques. Le néolibéralisme passe avant la démocratie.

A Barcelone, des manifestations s’organisent contre la dette. Photo : Fotomovimiento (CC BY-NC-ND)

Notre Grèce municipale aura été la municipalité de Madrid gouvernée par Ahora Madrid pendant le mandat 2015-2019 avec une militante contre la dette comme conseillère de l’Économie et de Logements. Madrid a livré bataille contre la Loi Montoro et le gouvernement central pour renverser les conséquences désastreuses de cette loi pour les citoyens, et reconquérir ainsi la souveraineté économique et sociale exigée par le Réseau. La mairie de Madrid est devenue le fer de lance du Réseau municipaliste contre la dette, et de tout le mouvement contre la dette, l’austérité et les coupes budgétaires. Le ministère de l’Intérieur, aux mains de la droite, en était conscient, et a mis en marche l’appareil d’État et braqué les projecteurs médiatiques sur cette bataille.

Le mot « désobéissance » était sur toutes les lèvres lors des rencontres municipalistes. Mais ce cadre normatif, utilisé comme épée de Damoclès contre les mairies rebelles, ne leur a pas laissé beaucoup de choix. La hiérarchie du pouvoir administratif entre municipalité, État et Europe laisse une marge de manœuvre de plus en plus réduite à l’échelon le plus bas et centralise le pouvoir dans les sphères les plus élevées, là où le pouvoir des grandes entreprises et leurs lobbies occupent le terrain.

Après deux ans de confrontation médiatique et politique, Ahora Madrid a dû céder face aux pressions du Parti Populaire, accepter ses conditions – un Plan financier et économique pénalisant la dépense sociale et favorisant l’amortissement de la dette auprès des banques –, et destituer la conseillère citée plus haut. À l’image de ce qui s’est passé en Grèce, le fer de lance de la lutte contre la dette a plié face à la machine bureaucratique du pouvoir centralisé, entraînant le mouvement et le Réseau dans sa chute. Les structures du pouvoir législatif et financier ont révélé leur puissance, et le mouvement municipaliste semble avoir échoué à faire exploser le carcan juridique qui maintient les mairies pieds et poings liés.

Le mouvement municipaliste contre la dette en est sorti blessé, mais pas mort. Le Réseau municipaliste a perdu plusieurs villes importantes au cours des élections locales suivantes, mais la dénonciation de la dette illégitime, du pouvoir des multinationales, de la finance et de l’Europe hyperconcentrée imprègne désormais la politique municipale citoyenne et l’imaginaire social. Pour les luttes à venir, les choses sont très claires : les mouvements contre la privatisation de la santé ou contre les fonds vautours dénoncent explicitement la dette comme outil principal du pouvoir, et font de la lutte contre la dette une priorité. Les deux mouvements qui, aujourd’hui, ont la capacité de fédérer le plus largement, l’écologie et le féminisme, reprennent à leur compte la lutte contre la dette écologique et celle de genre. Nous aurons à faire face à de nouvelles crises de la dette ; aujourd’hui, le mouvement a plus d’expérience que jamais et se tient prêt pour livrer à nouveau bataille.

Bankia

Actifs : 207,4 milliards d’euros (2019)
Dirigeant : José Ignacio Goirigolzarri Tellaeche (président exécutif)
Siège social : Madrid, Espagne
Fondé en : 2010
Secteur d’activité : banque
Employés : 15 924 (2018)

À savoir :

  • Bankia une banque créée en 2010 de la fusion de sept caisses d’épargne régionales, s’est retrouvée rapidement menacée de faillite du fait du son grand nombre d’actifs dans le secteur immobilier. Elle a été sauvé à coups de milliards d’euros par le gouvernement espagnol.
  • Rodrigo Rato, dirigeant de Bankia entre 2010 et 2012, a été auparavant ministre des Finances conservateur et patron du Fonds monétaire international. Il a été poursuivi en justice et condamné à une peine de prison en 2018, pour malversations et présentation de faux comptes.