Royaume-Uni : pourquoi restreindre le nombre de migrants ne fait aucun sens

Faiza Shaheen

, par OpenDemocracy, The New Economics Foundation (nef)

 

Cet article a été publié initialement en anglais par OpenDemocracy. Il a été traduit par Isabelle Louchard, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Dans sa hâte à rendre les frontières de la Grande-Bretagne moins accessibles, le gouvernement Cameron a pris une décision qui va causer du tort non seulement à la population britannique actuelle, mais également aux futures générations de travailleurs britanniques.

La mise en place d’un quota sur l’immigration au Royaume-Uni a, telle la boîte de Pandore, provoqué l’apparition d’une foule de questions pour la secrétaire d’État Theresa May. À qui doit-on restreindre l’entrée au Royaume-Uni ? À quelle hauteur fixer le quota ? Une telle mesure aidera-t-elle vraiment à réduire l’immigration ? Est-ce que la mise en place d’un quota sera bénéfique pour l’économie du Royaume-Uni ? Une dernière question, enfin, à laquelle on a peu prêté attention mais qu’il semble néanmoins important de poser. Quel sera l’impact des quotas sur les pays en voie de développement pour lesquels lesdits quotas s’appliqueront ? C’est lorsque l’on pose ces questions que l’écart entre les faits et la politique adoptée prend toute son ampleur.

L’immigration était un point important pour les électeurs britanniques durant l’élection générale de mai 2010. Et le résultat des élections a, semble-t-il, amené le parti conservateur à croire qu’il leur donnait l’autorisation d’être plus ferme sur le problème de l’immigration. Il est cependant important de noter que les quotas ne répondent pas directement aux craintes exprimées par la population, craintes qui concernent plus l’afflux de migrants d’Europe de l’Est venant exercer des emplois non qualifiés dans notre pays. C’est pourquoi l’instauration de quotas pour les travailleurs qualifiés qui émigrent vers le Royaume-Uni est aussi inutile que de faire passer une migraine avec un shampooing anti-pelliculaire. Le gouvernement devrait plutôt se montrer plus ferme sur la mise en place d’un salaire minimum, concentrer ses efforts sur la recherche de moyens pour stimuler de nouvelles activités économiques afin de créer des emplois (il est d’ailleurs intéressant de noter que la création d’entreprises est beaucoup plus élevée parmi les immigrants, et construire davantage de logements abordables afin d’éviter la concurrence sur les ressources.

A quoi sert donc l’instauration de quotas sur l’immigration s’il ne résolvent pas la cause première du problème migratoire au Royaume-Uni ? La réponse adoptée sert juste à montrer la détermination du nouveau gouvernement, qui s’est engagé à réduire l’immigration vers le Royaume-Uni. Mais c’est sur ce point encore que la nouvelle mesure tombe à la renverse, puisque qu’elle ne peut limiter l’immigration en provenance des pays de l’Union européenne. Ces derniers représentent en effet les trois-quarts des migrants qui viennent au Royaume-Uni en quête d’un emploi. Adopter une telle approche peut, en outre, être potentiellement dommageable pour le tissu social et l’économie du pays.

C’est le monde des affaires, les universitaires, les groupes de réflexion et les intellectuels qui ont réagi le plus violemment à cette mesure, arguant de la nécessité de revoir à la hausse la limite choisie pour les quotas sous peine, expliquent-ils, de voir les entreprises du Royaume-Uni et la recherche en subir les conséquences. À cela est venu s’ajouter le récent rapport du Comité consultatif sur la migration (MAC), qui a calculé que 10 000 immigrants qualifiés en moins résulterait en un déclin de 0,027% du Produit intérieur brut l’année suivante. Serait-ce à la lumière de ces faits et pour éviter une telle répercussion sur l’économie que Theresa May a annoncé le mois dernier que le quota total serait fixé à 21 700, un nombre plus élevé que ce qui avait été craint au départ, et qu’il exclurait les mutations internes aux entreprises ? Et pourtant, au-delà des implications à court terme pour le Royaume-Uni, il a été peu fait mention des implications plus générales et à long terme.

Je viens de terminer un rapport qui examine ces deux derniers aspects. Mon rapport en revient à l’essentiel et examine l’évolution probable de la demande en migrants du Royaume-Uni et de l’émigration d’ici à l’an 2050. Ses conclusions sont à l’exact opposé de l’opinion que l’on se fait actuellement sur la migration. En se basant sur la prévision que la croissance économique prévue dans un certain nombre de pays à forte émigration vers le Royaume-Uni actuellement, tels l’Inde, la Chine ou encore le Nigeria, engendrera un changement dans les facteurs source d’émigration, nous avons conclu que le nombre total de personnes désirant quitter ces pays baissera après 2035. Oui, vous avez bien lu, il y aura moins de personnes désirant émigrer vers le Royaume-Uni.

Bien qu’une telle baisse puisse être la bienvenue pour certains, deux facteurs, qui entraînent un besoin en main-d’œuvre étrangère, font que cette baisse constitue un problème potentiel. Le premier facteur est l’évolution démographique. Le Royaume-Uni aura une population vieillissante, ce qui pèsera lourdement sur les retraites et les services sociaux. Selon une estimation du Service gouvernemental des actuariats (GAD), le ratio de dépendance, c’est-à-dire le rapport entre les enfants et les retraités et la population en âge de travailler, passera de 61% en 2007 à 74% d’ici à 2056. Ces estimations se basent sur une immigration nette et à long terme de 147 000 personnes par an. Or, le but du gouvernement est de faire passer l’immigration nette sous la barre des 100 000 personnes par an, ce qui entraînera un ratio de dépendance plus élevé que les chiffres avancés dans le cas de figure du GAD.

S’il est vrai que l’augmentation de l’âge de la retraite va en partie faire baisser le ratio de dépendance, cela ne sera cependant pas suffisant pour contrebalancer la forte hausse en matière de dépenses publiques, hausse qui sera nécessaire afin de conserver notre système social. Dès lors, et à moins que l’on ait l’intention de demander aux gens de travailler jusqu’à 75 ans, le pays aura besoin de plus d’immigrants en âge de travailler, qui viendront exercer une activité et ainsi payer des impôts. Cette situation difficile se verra aggravée par une augmentation encore plus rapide du ratio de dépendance dans d’autres pays développés tels que l’Allemagne et la France, et le fait que les migrants se tourneront vers les nouvelles nations prospères comme le Brésil ou encore l’Inde. Il est donc possible que le Royaume-Uni, ainsi que les autres pays développés, se retrouvent en concurrence dans une course aux migrants, dans un monde où de moins en moins de personnes seront prêtes à se déplacer tandis que de plus en plus de destinations potentielles s’ouvriront à elles. Fermer la porte aux migrants aujourd’hui fera du Royaume-Uni une destination beaucoup moins attractive dans le futur. L’immigration n’est pas un robinet que l’on peut ouvrir et refermer à sa guise. Les flux de nouveaux migrants comptent sur les solides réseaux d’immigrés déjà existants dans leur nouveau pays d’accueil.

Le deuxième facteur rendant l’arrivée de migrants nécessaire, lui-même lié au premier, est la pénurie de compétences. Les immigrés représentent déjà presque 30% des travailleurs du secteur médical au Royaume-Uni, et le secteur social dépend fortement des travailleurs étrangers. En fait, quand nous avons comparé les industries à croissance potentielle au Royaume-Uni et celles qui dépendent déjà des immigrés, nous avons remarqué qu’il existait de forts recoupements entre les deux, ce qui signifie que ces secteurs d’activité auront besoin de plus d’immigrants afin de soutenir leur croissance.

Cet argument nous laisse, bien sûr, face à un problème épineux. Pourquoi ne formons-nous les 2,4 millions de chômeurs que le Royaume-Uni compte actuellement afin qu’ils exercent ces métiers ? Je partage l’opinion que l’on doit combattre le chômage qui affecte la population britannique, notamment les jeunes. Cependant, notre dépendance envers les immigrants n’est pas qu’une simple question de pénurie de compétences. Elle concerne plutôt la qualité et la rémunération des emplois concernés. Dans plus de la moitié des foyers considérés pauvres dans notre pays, un adulte au moins travaille. Mais le salaire de certains des emplois les plus importants pour notre société, tels ceux qui ont à voir avec le bien-être de nos enfants et grands-parents, est terriblement bas et la sécurité de l’emploi elle-même diminue avec la mise en place de plus en plus de contrats à temps partiel et à horaires flexibles. C’est un fort dissuasif pour les Britanniques, qui sont moins enclins à exercer ces emplois, résultant en un vide que les immigrants sont prêts à tout pour combler.

Afin de trouver une solution au problème, il nous faut encore examiner le bas de l’échelle du marché du travail et s’occuper des problèmes d’éducation et de formation ainsi que des salaires et des perspectives de carrière. La triste vérité est que le marché du travail dans notre pays souffre encore de la désindustrialisation, avec de moins en moins d’emplois requérant une compétence manuelle et de plus en plus exigeant service et assistance à la clientèle. Mais tout le monde n’est pas fait pour ce type d’emploi, et ceux qui ne le sont pas se retrouvent en marge de la société.

Si l’on continue à exiger une main-d’œuvre beaucoup plus éduquée qui travaille plus d’heures, alors le type d’emplois exercés par les migrants, tel que nettoyer et servir le café, augmentera également. C’est le résultat tout naturel de la polarisation du marché du travail, où quelques personnes travaillent beaucoup, gagnent beaucoup et ont un certain nombre de besoins en termes de services pour lesquels ils dépensent une partie de leur argent, et où d’autres sont employées pour satisfaire ces besoins. Au regard de la situation actuelle, le marché du travail dans notre pays est susceptible de devenir encore plus polarisé. Et même en forçant davantage de travailleurs britanniques à exercer ce type d’emploi, il est plus que probable que nous aurons toujours besoin de migrants. Seul un changement majeur dans le marché du travail de notre pays brisera cette dépendance.

La plus grande contradiction amenée par la mise en place d’un quota sur l’immigration réside peut-être dans le fait que ledit quota pourrait en fait faire augmenter à court et à moyen terme le nombre de nombre de personnes désirant émigrer vers le Royaume-Uni. Le quota en lui-même n’aidera pas à réduire les inégalités mondiales, qui sont la raison clé poussant les gens à émigrer. En fait, les restrictions de plus en plus nombreuses dans les pays développés prolongeront et aggraveront peut-être même ces inégalités, avec pour conséquence un ralentissement du processus de convergence entre les pays développés et ceux en voie de développement.

Bien évidemment, la relation entre immigration et développement est complexe. Elle est liée aux questions de fuite des cerveaux et de transferts de fonds. Mais une fois de plus, se focaliser sur un quota n’aide en aucune manière à résoudre ces problèmes fondamentaux. Et, tandis que le gouvernement ne réduit pas le budget du Ministère du développement international et va même en Inde et en Chine afin de forger des relations économiques et commerciales plus fortes, il se contredit lui-même en empêchant les habitants de ces pays de venir dans le nôtre. En faisant passer le message que notre pays veut leurs produits et qu’il désire qu’ils achètent les nôtres mais qu’il ne veut pas de leurs habitants, le Royaume-Uni risque de fâcher ses principaux partenaires économiques.

Il est difficile de ne pas se sentir extrêmement déçu par la décision d’établir un quota sur l’immigration. C’est une chose peu praticable, qui ne résout pas les vrais problèmes et qui ébranle la capacité du Royaume-Uni à jouer un rôle économique majeur dans le futur. Il semble que dans sa hâte à rendre les frontières du pays moins accessibles, le gouvernement ait omis de se pencher sur certaines implications majeures que sa politique aura à court terme, à long terme et au niveau mondial. En s’engageant dans cette voie, le gouvernement ne va pas seulement causer du tort à une population britannique actuellement mécontente, mais également aux futures générations de travailleurs britanniques.

Faiza Shaheen est chercheuse à la ‘New Economics Foundation’ (NEF) et travaille plus particulièrement sur les inégalités économiques. Elle a travaillé auparavant au ‘Centre for Cities’, où elle a mené différentes recherches sur le marché du travail dans les villes.