Résumé et introduction : mobilité, vulnérabilité et transformations socio-économiques dans les zones écologiquement fragiles de Bolivie, du Sénégal et de Tanzanie

Par Cecilia Tacoli

, par IIED

Cet article fait partie d’un dossier intitulé Il n’y a pas que le changement climatique : mobilité, vulnérabilité et transformations socio-économiques dans les zones écologiquement fragiles de Bolivie, du Sénégal et de Tanzanie, initialement été publié en anglais, et traduit par Audrey Rotereau, traductrice bénévole pour rinoceros.

Résumé

Malgré les prévisions de centaines de millions de migrants forcés de quitter leurs maisons et leurs pays en raison du changement climatique, la compréhension actuelle des relations entre mobilité et dégradation environnementale liée au changement climatique est encore insuffisante. Les relativement grandes incertitudes sur les impacts du changement climatique propres à une région, associées aux données limitées sur la migration, en particulier les mouvements internes et temporaires, rendent difficile si ce n’est impossible de prévoir avec précision les modèles de mobilité futurs, encore moins leur ampleur et leur direction. De plus, étant donné les opinions généralement négatives tenues par les responsables politiques sur la migration et les migrants, on redoute que les prévisions alarmistes aient l’effet inverse et conduisent à des politiques qui marginalisent les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables.

Ce rapport soutient que la migration est mieux définie comme une réponse d’adaptation aux transformations socio-économiques, culturelles, politiques et environnementales, dans la plupart des cas étroitement liée au besoin de diversifier les sources de revenus et de réduire la dépendance vis-à-vis des ressources naturelles. En observant les études de cas en Bolivie, au Sénégal et en Tanzanie, on voit comment le changement climatique au niveau local interagit avec d’autres facteurs pour déterminer les modèles de migration, et comment de tels modèles affectent à leur tour les moyens de subsistance et la résilience des individus, des ménages et des communautés dans les zones touchées par les impacts du changement climatique sous forme de désertification, de dégradation des sols, de modèles de précipitations perturbés et de changements de températures.

Bien qu’ils soient généralement décrits comme des changements progressifs ou graduels, dans les endroits étudiés les plus touchés, on les identifie comme des « événements déclencheurs » (exceptionnellement des sécheresses sévères, des épidémies de maladies du bétail, les conséquences non voulues des actions de réduction des pressions environnementales dans les zones avoisinantes) ayant un impact sur le long terme sur les ressources naturelles et, peut-être de façon plus importante, sur les économies locales et les moyens de subsistance. Essentiellement, c’est principalement le contexte socio-économique qui rend de tels évènements si catastrophiques, en réduisant la capacité des personnes à s’appuyer sur des stratégies bien établies de diversification locale des activités au sein du secteur agricole et non agricole. En conséquence, tandis que la mobilité a longtemps été une stratégie d’adaptation traditionnelle pour les personnes vivant dans des environnements fragiles, elle est devenue très répandue et diversifiée. En effet, elle est à présent tellement importante que dans tous les endroits étudiés, les ménages les plus vulnérables sont unanimement identifiés comme ceux qui ne reçoivent pas d’envois de fonds de la part de proches migrant.

Les facteurs non environnementaux déterminent en grande partie la durée, la destination et la composition des flux migratoires. La mobilité saisonnière a lieu lors de la saison agricole creuse et elle est prédominante dans les régions les plus pauvres qui dépendent de l’agriculture pluviale. Elle est aussi, dans de nombreux cas, essentielle pour la survie et la sécurité alimentaire. Le déplacement saisonnier est largement déterminé par le manque d’opportunités locales non agricoles mais aussi par la persistance de l’agriculture familiale comme élément essentiel de subsistance. Elle est aussi stimulée par la demande croissante de travailleurs agricoles sur des exploitations familiales dans les zones aux cycles agricoles différents, et où le manque de main-d’œuvre causé par la migration externe est compensé par l’argent des envois de fonds.

La migration temporaire est plus susceptible de se diriger vers les centres urbains, et de plus en plus vers de plus petites villes. Les femmes ont plus tendance à s’engager dans ce type de déplacement afin de travailler dans des secteurs non agricoles (service domestique, commerce à petite échelle) à condition que la nature de leurs responsabilités au sein des familles agricoles leur permette de se déplacer. Les jeunes se déplacent aussi vers les villes, avec des garçons d’à peine 14 ans allant travailler dans la construction et les services comme ceux de gardien. Ceci est en partie dû au rôle majeur des réseaux sociaux dans ce type de déplacement, qui assurent l’accès aux emplois et à l’hébergement et dans le même temps à la protection et au contrôle social.

Les études de cas ne donnent aucune raison de croire que la dégradation environnementale liée au changement climatique aura pour conséquence de grands flux internationaux de migrants. Cependant, les investissements des migrants internationaux ont un impact sur le déplacement interne. La principale raison est que de tels investissements ont tendance à être effectués dans des zones avec un potentiel de croissance économique et, dans de nombreux cas, dans des activités non agricoles. La concentration d’investissements dans la construction et les affaires dans les centres urbains, en particulier dans les centres petits et intermédiaires où la terre est moins chère, est un puissant pôle d’attraction pour les migrants internes, souvent temporaires. Ainsi, alors qu’il existe des différences propres à certaines régions dans les modèles de migration, il est important de prendre en compte leurs interrelations étroites. Même dans les endroits les plus dynamiques économiquement, la migration interne s’accompagne généralement de la migration externe.

Que signifient ces découvertes pour les responsables politiques et la coopération internationale pour le développement ? Premièrement, elles soulignent le besoin de considérer le contexte général et la diversité des facteurs au-delà de ceux environnementaux qui façonnent et sont façonnés par la mobilité. Comprendre les manières dont la migration soutient les moyens de subsistance à travers la diversification des sources de revenus (y compris l’agriculture) est important pour les politiques et les initiatives qui ont pour but d’augmenter la résilience des groupes les plus vulnérables aux impacts du changement climatique. Deuxièmement, la diversité et la nature des modèles de mobilité propres à certaines régions, et les facteurs qui les soutiennent, montrent l’importance cruciale des systèmes de gouvernance locale, des institutions et de la société civile dans chacune des politiques et initiatives. Cependant, cela ne signifie pas qu’elles doivent être négligés au niveau régional, national et international.

Les implications pratiques pour la politique et la coopération au développement relèvent de trois principales catégories : protéger les moyens de subsistance dans les régions d’origine des migrants, avec une attention particulière afin d’assurer l’accès à la terre ; soutenir les migrants à leur arrivée, s’assurer qu’ils sont bien représentés et que leurs droits sont respectés ; et éviter les cercles vicieux, par lesquels la migration est la conséquence d’actions dont le but est de promouvoir l’adaptation et la mitigation plutôt que la conséquence du changement climatique en soi.

D’une façon générale, cependant, il est impossible de prendre en charge le potentiel de la migration à accroître la polarisation sociale et aggraver la dégradation environnementale locale sans des systèmes de gouvernance locale qui soient inclusifs, responsables et ayant la capacité technique et les ressources financières suffisantes. Il est aussi important dans la prise en charge de l’inévitable défi de lier les initiatives d’adaptation et de mitigation et les politiques.

1. Introduction

Bien que la migration suscite depuis longtemps l’intérêt des responsables politiques, elle est devenue récemment un thème important des débats sur les impacts du changement climatique. Les chiffres fréquemment cités estiment que d’ici 2050, le nombre de personnes déplacées principalement en raison de la dégradation environnementale liée au changement climatique pourrait être d’environ 200 millions (Myers 2005 ; Stern Review Team 2006). Ces prévisions sont soutenue par une vision de la migration comme un mouvement essentiellement forcé, résultant de l’échec à s’adapter aux impacts du changement climatique. En conséquence, on s’attend à ce qu’une masse indifférenciée de personnes déplacées aille vers des destinations inconnues, y compris à l’international. Cette prévision est vivement contestée, et alors qu’il y a un accord répandu sur le fait que les impacts du changement climatique vont contribuer à l’augmentation des niveaux de mobilité (GECHS 2008 ; Kniveton et al. 2008 ; Piguet 2008), l’accent est mis sur la migration volontaire comme une réponse clé d’adaptation à une combinaison de facteurs, y compris le changement climatique mais aussi les transformations socio-économiques, culturelles et politiques. La reconnaissance de la diversité de la migration est tout aussi importante, allant du mouvement international des travailleurs hautement qualifiés à la mobilité saisonnière des groupes les plus pauvres entre zones rurales. Pour comprendre l’impact de la migration sur les zones de départ et de destination, et afin de développer des réponses politiques appropriées, il est donc crucial de comprendre les caractéristiques spécifiques des flux de migrants, y compris leur durée, destination et composition.

L’objectif de ce rapport est d’étudier dans quelle mesure une approche différente de la migration, qui soutienne et concilie la mobilité, peut permettre de s’adapter au changement climatique progressif et réduire la pauvreté. Il s’appuie sur une documentation large et sur des débats actuels ainsi que sur trois études de cas en Bolivie, au Sénégal et en Tanzanie [1], afin d’illustrer les options disponibles pour les responsables politiques au niveau local, national et international.

Dans la section suivante, le rapport passe en revue les différentes conceptions des liens entre migration et changement climatique, et les visions plus larges de la migration et du développement qui en découlent. La section 3 fait état des découvertes des trois études de cas et décrit les réponses locales aux changements climatiques et aux autres transformations non environnementales perçues , avec une attention particulière sur les modèles migratoires – leur durée, leur composition et leur destination. Puis, il examine l’impact de la croissante mobilité sur la résilience des communautés, des ménages et des individus. La section 4 révèle les implications pour les responsables politiques et la coopération au développement.

Notes

[1Les études de cas ont été menées en collaboration avec la recherche locale des ONG suivantes : Mainumby en Bolivie, IED Afrique au Sénégal et Tamasha en Tanzanie. Des informations sur les zones des études de cas, les critères de sélection et la méthodologie utilisée sont présentes dans la section 3 de ce rapport. Des descriptions détaillées peuvent être trouvées dans les rapports d’étude de cas : R. Mabala (disponible en 2011), Weathering the change : Young people on the move in search of livelihoods in Tanzania, Rural-Urban Working Paper Series, London, IIED ; M. Sall, M. Tall, A. Tandian et T. Mbaye (disponible en 2011), Changements climatiques, stratégies d_adaptation et mobilités : évidence à partir de quatre sites au Sénégal, Rural-Urban Working Paper Series, London, IIED ; and C. Balderrama Mariscal, N. Tassi, A. Rubena Miranda, L. Aramayo Canedo and I. Cazorla (forthcoming 2011), Cambio climático-crisis económica-políticas estatales, factores constitutivos de las migraciones rurales en Bolivia. Análisis de los Casos : Norte de Potosí y San Julián, Rural-Urban Working Paper Series, London, IIED.