Cet article a été rédigé par Juristes-Solidarités, à partir d’une intervention à un atelier d’échanges d’expériences au Rwanda 2010.
Créée en 1995, l’Union des femmes paysannes du Nord Kivu (UWAKI Nord-Kivu) est une fédération de groupements de femmes paysannes, dont la mission est d’améliorer la situation socio-économique des femmes congolaises en milieu rural. L’UWAKI agit en faveur de la professionnalisation des productrices et de l’augmentation de leurs revenus par la promotion de filières agro-pastorales et de mutuelles de solidarité. Partie prenante du mouvement paysan congolais, l’UWAKI Nord-Kivu milite en faveur d’une politique agricole favorable à l’agriculture familiale et qui prenne en compte la dimension genre. La fédération entreprend également des initiatives en faveur de la défense des droits des femmes et s’est engagée, depuis 2006, sur les problématiques foncières. L’accès à la terre des femmes rurales apparaît en effet comme l’un des principaux enjeux de la sécurité alimentaire et de la réduction de la pauvreté.
Une situation discriminatoire en termes d’accès à la terre
Rarement propriétaires des terrains, les femmes ne peuvent quasiment jamais prendre de décisions concernant l’exploitation des terres, leur gestion et l’affectation des revenus dans les communautés traditionnelles du Nord Kivu. En cas de décès de leur conjoint ou de leur père, elles se heurtent souvent à la coutume qui vient limiter leur possibilité à hériter, bien que le Code la famille ne fasse pas de distinction entre hommes et femmes en matière de succession. Le coût et la méconnaissance des procédures, d’autant plus difficiles d’accès que les textes de lois sont rédigés en français, sont des facteurs d’insécurité supplémentaires pour les femmes. Peu d’entre elles ont conscience que seuls les actes enregistrés à l’état civil seront reconnus comme preuve de filiation ou de mariage. Les femmes vivant essentiellement de l’agriculture, leur situation est d’autant plus préoccupante que la pression démographique, doublée des mouvements forcés de populations liés aux guerres et à l’insécurité ambiante, réduit la surface des terres cultivables.
Vers un plaidoyer sur la problématique des droits fonciers des femmes en milieu rural
Depuis 2006, à l’initiative de l’UWAKI Nord-Kivu, avec l’appui de Action Aid et du CCFD - Terre solidaire, les femmes des six territoires de Béni, Lubero, Rutshuru, Nyiragongo, Walikale et Masisi se sont mobilisées pour la promotion de leurs droits à la terre. Elles ont engagé une dynamique de plaidoyer pour la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté au Nord-Kivu. Dans cette perspective, un état des lieux des problèmes récurrents a été réalisé grâce à l’appui de plus de 150 femmes leaders rurales issues d’associations féminines.
Sur la base des problèmes recensés, elles ont proposé des alternatives à soumettre aux autorités compétentes en vue de la prise en compte des droits de la femme à la terre dans la politique foncière et dans des textes législatifs qui mériteraient d’être révisés, comme le Code foncier et le Code de la famille.
A l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la femme rurale d’octobre 2006, les femmes rurales du Nord-Kivu ont organisé des ateliers d’analyse de la problématique de l’accès à la terre. Elles ont ainsi pu exposer leurs inquiétudes, doutes, craintes, points de vue et aspirations sur la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté, au travers de six thématiques :
– les droits d’accès et de contrôle de la terre par la femme rurale ;
– l’encadrement des femmes rurales en techniques culturales ;
– l’écoulement des produits agro-pastoraux ;
– les habitudes alimentaires ;
– les droits de la femme en général.
Pour confirmer l’importance de la problématique de l’accès à la terre, l’UWAKI a initié en mai 2007 une étude participative dans les provinces du nord Kivu et du sud Kivu. En juin de la même année, la restitution des résultats a fait l’objet d’un forum provincial des femmes rurales du Nord Kivu. Les travaux issus de la rencontre ont abouti à la formulation de résolutions sur les droits des femmes :
– favoriser l’accès des filles à l’éducation ;
– éliminer toutes les formes de discriminations envers les femmes rurales par la promotion et la défense de leurs droits ;
– engager une réforme agraire pour l’accès et la gestion de la terre.
C’est également sur la participation à la vie publique de la femme que ces résolutions proposent d’agir.
L’autorité provinciale a saisi cette occasion pour procéder au lancement officiel d’une campagne sur les droits de la femme à la terre ; campagne relayée par l’UWAKI à Goma dans les territoires de Béni, Lubero, Nyirangongo, Rutshuru en présence des autorités politico-administratives des territoires, des chefs coutumiers, des chefs religieux, des responsables des services publics, des leaders sociaux et des femmes rurales.
La création de comités territoriaux
En outre, le forum provincial des femmes rurales a donné lieu à la création de six comités territoriaux de plaidoyer sur les droits de la femme à la terre. Chargés de vulgariser le Code de la famille et les conventions internationales, ces comités œuvrent également pour la prise en charge juridique des femmes et enfants victimes de discrimination maritale.
Ces temps de sensibilisation ont donné lieu à la régularisation de plus de 300 mariages civils en territoire de Rutshuru et à l’appui de certaines paroisses catholiques et protestantes qui exigent des couples de détenir un acte de mariage civil pour célébrer leur union religieuse. Cette dynamique de régularisation se heurte toutefois à l’absence de bureaux d’état civil compétents pour la célébration de mariages civils dans les villages et les zones d’insécurité.
Des défis à relever
L’initiative portée par l’association UWAKI Nord Kivu fait face à des obstacles non négligeables, qui freinent le développement de la dynamique :
- le volume de travail à fournir et la faiblesse des moyens dont ils disposent limitent l’action des comités de plaidoyer ;
- les difficultés d’accès à certains territoires, voire l’impossibilité d’y accéder compte tenu de l’insécurité de la région ;
- la sous-représentation de certains secteurs sociaux influents au sein du mouvement, tels que l’Eglise, les acteurs de l’éducation ou encore les opérateurs économiques ;
- le degré d’implication de certaines autorités dont les entités administratives.
Malgré ces difficultés, l’action de l’UWAKI Nord Kivu a permis de renforcer la conscience politique des femmes et de construire des propositions d’alternatives à intégrer dans la politique foncière. La mobilisation entreprise se poursuit aujourd’hui en cherchant à multiplier les différentes approches et méthodes d’action, et à s’appuyer sur davantage d’acteurs.