Regards critiques sur la nouvelle Afrique du Sud

Une sélection d’articles sur l’Afrique du Sud, émanant de réseaux militants et de médias citoyens. Une réflexion critique sur ce qu’il est advenu de la "nouvelle Afrique du Sud" 20 ans après la libération de Nelson Mandela et 16 ans après la première victoire électorale de l’ANC.

S’y trouvent notamment mises en lumière les limites de l’émancipation politique obtenue dans les années 90 dès lors que celle-ci n’a pas touché à la structure sociale et à la répartition des richesses issues de la colonisation et de l’apartheid. Les politiques mises en place par l’ANC, d’inspiration largement néolibérale, n’ont pas fondamentalement changé la situation, et on assiste aujourd’hui à une certaine dérive autoritaire de ce parti, notamment vis-à-vis des mouvements pour les droits fondamentaux qui émergent dans les communautés pauvres.

Ces articles sont issus pour la plupart de deux excellents sites, Pambazuka et SACSIS. Ils ont été traduits par le réseau de traducteurs bénévoles de rinoceros. Un grand merci à eux !

D’autres traductions viendront très prochainement compléter cet ensemble.

 

Dans Présentation du n°23 de la collection Passerelle « Finance et communs. Pour une réappropriation collective de la finance », Patrick Bond montre que derrière le marketing d’entreprise de la Coupe du Monde de la FIFA organisée en Afrique du Sud se trouve une image inquiétante de pauvreté et d’exclusion, de domination des entreprises et d’un nationalisme xénophobe en ébullition.

La "nouvelle Afrique du Sud" - un bilan critique

Dans Que célèbrent les Sud-Africains le 27 avril ?, Motsoko Pheko dénonce l’échec de l’accord négocié il y a 16 ans, mettant fin à l’apartheid, à prendre en considération « les objectifs initiaux pour lesquelles la lutte de libération a été menée », à savoir une véritable redistribution des terres, toujours possédée à plus de 80% par des bvlancs. La constitution du pays est peut-être la meilleure du monde, mais, selon Pheko, il serait temps qu’elle évolue sur les aspects fondamentaux qui concernent la population pauvre majoritaire.

Dans Afrique Australe : Il était une fois deux voisins qui célébraient leurs seize ans et leurs trente ans…, Colleen Lowe Morna lit en parallèle l’évolution du Zimbabwe et de l’Afrique du Sud. Elle remarque à cette occasion que le respect des droits des femmes constitue un bon indice du degré de démocratie réel d’un pays.

A signaler aussi cet article traduit directement en français sur le site Pambazuka, "La dégénérescence de l’ANC" : « L’African National Congress (ANC) de l’Afrique du Sud a dégénéré au point de ‘’devenir aujourd’hui un danger clair pour l’intégrité de la société’’ écrit Richard Pithouse. Il fût un temps où on imaginait ‘’qu’avoir le pouvoir permettrait un projet politique collectif qui transformerait la société depuis le bas’’, note-t-il pour constater : ’’Au lieu de quoi on voit maintenant que c’est une affaire d’incorporation personnelle dans la minorité capable de profiter d’une société aux inégalités croissantes’’ »

Le problème doit aussi être envisagé au niveau régional. Cinquante ans après les débuts de l’indépendance africaine, John S. Saul explique dans zoom sur quelques outils pour donner à voir les rapports de force mondiaux qu’il y a encore beaucoup à faire, particulièrement en Afrique australe qui fut le théâtre de l’ultime défaite de la domination coloniale et raciale. Dans chacun des cinq lieux de cette lutte ouverte contre la domination – Angola, Mozambique, Zimbabwe, Namibie et Afrique du Sud- apparaissent des signes clairs de recolonisation, cette fois-ci par le capital.

A la recherche de l’identité et de la citoyenneté sud-africaines

"Les solutions de rafistolage aux problèmes raciaux profondément enracinés de l’Afrique du Sud sont tout simplement ridicules", écrit William Gumede dans Cad’E.A.U. pour offrir un service public de l’eau, et "il est naïf de penser qu’avec plus de 300 ans de colonialisme et d’apartheid, les attitudes racistes vont disparaître par magie en moins de deux décennies. En attendant que nous reconnaissions que le racisme est profondément ancré dans la société sud-africaine, plutôt que de vivre dans le déni et de prétendre que les incidents raciaux sont des cas isolés, les solutions ne vont faire que dissimuler les problèmes et, la réconciliation, d’un côté et de l’autre des fossés raciaux, restera difficile à atteindre".

Conséquence de ce climat et de ces interrogations : l’article de l’IRIN Oppression croissante en Iran alors qu’Ebrahim Raisi entame son mandat présidentiel décrit l’atmosphère de xénophobie qui prévaut encore dans le pays à l’approche de la Coupe du monde, deux ans après les violences meurtrières dirigées contre les immigrés zimbabwéens.

La "meilleure constitution du monde" : droits et inégalités économiques et sociales

La référence aux « droits » est centrale pour l’ANC et ses alliés depuis la Freedom Charter de 1955 et s’est matérialisée dans la nouvelle Constitution sud-africaine de 1994 réputée la "plus progressiste au monde" en raison des nombreux droits économiques et sociaux qu’elle consacre. Dans Sécurité numérique au Niger, Jason Hickel écrit que cette référence aux droits ne suffit pas à assurer une véritable libération économique et politique de la majorité pauvre dès lors que les structures économiques et sociales de l’apartheid sont restées intactes, et que l’approche par les droits doit être complétée par une démarche de récupération des « biens communs ».

Dans le même esprit, Saliem Fakir (« Les droits de l’homme ne m’ont pas rendu moins pauvre ») dénonce les limites d’une approche par les droits comme clé du progrès social lorsque celle-ci demeure purement formelle et fait fond sur une inégalité économique écrasante.

Droits, services publics, et mouvements des populations pauvres

Dans les quartiers pauvres des villes sud-africaines, les mouvements de protestation se multiplient contre l’absence ou le mauvais fonctionnement des services publics (eau, électricité, logement) ou contre la corruption des élus locaux. Ces mouvements s’attirent souvent les foudres des appareils locaux de l’ANC.

Comme le montre le reportage de l’IRIN Prochaine AG à Paris : du 28 au 30 janvier 2022 + ritimopoly, c’est le mouvement emblématique de mal-logés Abahlali Basemjondolo qui, en raison de son succès même, fait le plus l’objet de tentatives de répression et de diabolisation.

Richard Pithouse dénonce, dans Afrique-France, une décolonisation qui n’en finit pas !, le cliché selon lequel l’Afrique du Sud aurait au moins obtenu la liberté politique, à défaut de la liberté économique. Selon lui, les inégalités économiques persistantes, combinées au fonctionnement autocratique de l’ANC et à la violence avec laquelle ce parti répond aux critiques qui lui sont adressées depuis la base, montrent que l’Afrique du Sud est même peut-être en train de perdre ses précieux acquis en termes de démocratie constitutionnelle.

L’article Sécurité numérique en Côte d’Ivoire explique comment l’organisation de la Coupe du monde de football de juin-juillet 2010 a été orientée exclusivement par les besoins des grands groupes économiques et de la FIFA, au détriment des populations locales et notamment des petits vendeurs informels, interdits de s’approcher des stades. Une orientation qui reflète à petite échelle celles des politiques économiques et sociales sud-africaines dans leur ensemble.

Le cas emblématique d’Eskom et de la méga-centrale au charbon de Medupi

Le cas de l’entreprise publique de l’énergie Eskom illustre de manière éclatante les contradictions de la société sud-africaine. Eskom s’est récemment trouvée sous les feux de l’actualité en raison de la campagne internationale de protestation contre un prêt de la Banque mondiale destiné à financer une énorme centrale du charbon à Medupi. Dans Nouvelle formation ECSI : animer autour du WOKE, Patrick Bond explique que cette centrale servira à approvisionner en électricité bon marché les usines de grandes multinationales, alors même que le prix de l’énergie augmente continûment depuis des années pour les populations pauvres.

Khadija Sharife, dans Partir ? Mais pour faire quoi ?, décrit les complicités politico-financières, héritées pour une large part de l’époque de l’apartheid, qui ont poussé la Banque mondiale, Eskom et les élites sud-africaines à se lancer dans la fuite en avant que représente le projet de centrale au charbon de Medupi.

L’Afrique du Sud au niveau international

Glenn Ashton, dans Sécurité numérique en République démocratique du Congo, un article écrit quelques jours avant la clôture et l’échec du sommet de Copenhague, signalait que ces dysfonctionnements d’Eskom et plus largement de la politique énergétique sud-africaine ne présageait rien de bon quant à la position de son pays dans les négociations. De son point de vue, l’Afrique du Sud est un microcosme qui reflète en son sein même les inégalités globales entre pays riches et pauvres, où les seconds paient le prix de l’enrichissement des premiers sans que ces derniers acceptent de les compenser.

Commentant l’échec de la Conférence de Copenhague dans Le droit à l’alimentation, Patrick Bond dénonce le rôle qui y a effectivement été joué par le gouvernement sud-africain. Il n’hésite pas à qualifier la signature par l’Afrique du Sud, conjointement avec la Chine, l’Inde et le Brésil, du pseudo-accord impulsé par les Etats-Unis comme une trahison du reste du continent africain, qu’il considère comme un autre signe d’alignement sur un ordre mondial néolibéral.

Plus généralement, dans L’Afrique du Sud et le Nouvel Ordre Mondial, Leonard Gentle voit dans le type de présence acquise par l’Afrique du Sud au niveau international le reflet des choix politiques et économiques du gouvernement de l’ANC, de privilégier quelques grandes entreprises sud-africaines au détriment de la population.