Quels enseignements tirer de la COP27 ? Préférons la lucidité à la résignation

, par COMBES Maxime

Les résultats de la COP27 font la démonstration que les COP sont à la fois indispensables aux pays pauvres pour obtenir ce qu’ils n’auraient jamais obtenu sans elles et structurellement désarmées pour imposer aux États de ne plus procrastiner et de sortir rapidement des énergies fossiles. Entre espoirs impossibles et résignation démobilisatrice, tirons-en quelques enseignements utiles.

Précisions : ce post de blog n’a pas pour ambition de faire une analyse détaillée de chacune des décisions prises lors de la COP27 qui s’est tenue pendant 15 jours à Charm-El-Cheikh (Egypte) du 6 au 18 novembre 2022. N’ayant pu me rendre sur place, je laisse cette responsabilité aux journalistes, ONG, think tanks et délégués qui ont participé à la COP27. Comme expliqué dans le post de blog « Que peut-on attendre de la COP27 ? Entre espoirs impossibles et déceptions certaines » publié en amont de la COP27, je m’appuie sur ma longue expérience des COP pour tenter à chaud, mais avec, je l’espère, un peu de recul et de lucidité, de tirer quelques enseignements de la COP27.

Garzweiler, mine de charbon, Allemagne. Photo Fxp CC BY-NC-SA

En amont de la COP27, j’avais écrit qu’il fallait éviter deux travers : 1) « attendre de la COP27 qu’elle résolve ce que les 26 COP précédentes n’ont pu empêcher » ; 2) « condamner les COP parce que les gouvernements des États qui la composent refusent de transformer de fond en comble leurs politiques économiques ». Chacune de ces deux approches me semble en effet rater sa cible, notamment en confondant les COP avec les États qui la composent. La COP27 me semble d’ailleurs en faire la démonstration. Voici la lecture que j’en fais, y compris pour contribuer au débat sur « l’utilité des COP », en quatre premiers enseignements :

1. Les COP, indispensables pour que les pays pauvres et vulnérables aient voix au chapitre ;

En amont de la COP27, de nombreux observateurs présentaient la COP27 comme une COP de transition où aucune décision d’ampleur n’était attendue. Certains espéraient même qu’il « ne s’y passe rien et qu’il n’y ait pas de recul majeur », affichant des objectifs diamétralement opposés à ces trop nombreuses COP qui nous ont souvent été présentées comme les « COP de la dernière chance » : les deux font fausse route. En effet, c’est bien lors de la COP27, celle dont on n’attendait (presque) rien et alors que le sujet n’était pas initialement inscrit à l’ordre du jour, que vient d’être entérinée la création d’un fonds visant à financer « les pertes et dommages ». Ce fonds doit permettre aux pays en développement « particulièrement vulnérables » de faire face aux dégâts irréversibles causés par le réchauffement climatique dont ils ne sont généralement pas responsables (sécheresses, inondations, ouragans, montée du niveau des mers etc.) et alors qu’ils n’ont pas les moyens d’y faire face. Cela faisait trente ans que ces pays exigeaient un tel dispositif. Trente ans qu’ils n’avaient obtenu des pays riches au mieux des promesses, mais jamais de concrétisation, y compris lors des COP présentées comme des succès historiques telles que la COP21 à Paris (cf. article 8 de l’Accord de Paris).

Bien-entendu, la bataille n’est pas finie : montants des financements, périmètre des donateurs, modalités de fonctionnement du fonds, règles d’accès aux financements, devront être précisés, représentant autant de difficultés majeures. Mais le constat est là : la COP27 a rendu effectif ce qu’aucune autre COP n’avait permis. Grâce à la COP27, les États pauvres et vulnérables ont donc obtenu 1) la reconnaissance onusienne que les catastrophes climatiques amplifiées par le réchauffement les touchent tout particulièrement 2) la reconnaissance onusienne de la responsabilité des pays les plus émetteurs de gaz à effet de serre en la matière 3) le droit d’accès à un mécanisme de financement international qui leur est dédié. C’est un progrès significatif, qui n’aurait pu être obtenu en l’absence de négociations internationales dans le cadre onusien.

2. Les COP ne sont pas armées pour imposer aux États de ne plus procrastiner

Sans doute faut-il immédiatement relativiser l’importance et la confiance que nous pouvons accorder aux décisions prises par les COP. Nous sommes ici dans un cadre onusien où, certes, l’ensemble des Etats-membres de l’ONU ont voix au chapitre, mais où la mise en œuvre des décisions prises dépend fondamentalement de leur bon vouloir. Lors de la COP26 à Glasgow, il avait été décidé (décisions 26 et 28 du Pacte de Glasgow) que les États soumettraient à l’ONU des plans climat plus ambitieux d’ici à la COP27. Résultat ? A peine une trentaine d’États l’ont fait. Aucun de ceux qui n’ont rien soumis de nouveau n’ont été sanctionnés lors de la COP27. Ceux qui n’ont pas fourni de nouveaux plans climat sont à nouveau invités à le faire pour la COP28. Si la COP27 n’a pas enterré l’objectif d’1,5°C, elle fait à nouveau la démonstration qu’elle n’est pas en mesure d’imposer quoi que ce soit à des États qui ne veulent pas aller plus vite : en ce sens, un tel bilan, comme lors de la COP26, est criminel et dilatoire. Criminel parce que les États promettent de rester en-deçà de 1,5°C mais nous conduisent vers au moins 2,5°C. Dilatoire parce qu’ils nous vendent une "neutralité carbone" de long terme pour ne pas la mettre en œuvre à court terme.

La COP27 prolonge donc la procrastination climatique des Etats-membres de l’ONU. Les conséquences sont dramatiques : l’écart entre le réel des plans climat (2,4°C à 2,8°C de réchauffement, et sans doute plus, d’ici à la fin du siècle) et le souhaitable (1,5°C ou 2°C maximum) est abyssal et ne peut que générer plus de catastrophes climatiques, notamment dans les pays les plus vulnérables, et donc encore plus de besoins de financements dans le cadre du nouveau fonds pour faire face aux « pertes et dommages ». Ne soyons pas surpris : l’Accord de Paris ne prévoit pas que les États, constatant que leurs engagements ne permettent pas de contenir le réchauffement climatique en deçà d’1,5°C ou 2°C, consentent lors des COP à se répartir les efforts supplémentaires afin de satisfaire à ces objectifs. Si les États sont invités (art. 4.9 de l’Accord de Paris) à communiquer une contribution plus ambitieuse tous les cinq ans, il n’est prévu aucun mécanisme pour que les États se partagent les efforts supplémentaires nécessaires pour tenir ces objectifs collectifs.

L’Accord de Paris a été construit sur la base de contributions volontaires et déterminées au niveau national : si la somme de ces plans climat nationaux ne sont pas suffisants, il n’existe aucune obligation pour qu’une péréquation collective des efforts supplémentaires et nécessaires soit mise en œuvre lors des COP. Le pari des architectes de l’Accord de Paris était de voir les États s’engager dans une course-poursuite collective où chaque État viendrait surenchérir avec des politiques climatiques plus ambitieuses que le voisin. Force est de constater que cette prophétie voulue autoréalisatrice ne fonctionne pas. Nous observons plutôt aujourd’hui une course de lenteur, chacun retardant autant que possible des engagements supplémentaires. Nous avions évoqué ce risque majeur dès la COP21 (voir ici ou ici), sans nécessairement être entendu. Parier sur le fait que cela change est une promesse sur l’avenir que personne ne peut garantir, et que l’Accord de Paris ne prévoit pas explicitement. La seule parade à portée de main est de nous mobiliser dans chacun de nos pays pour les gouvernements de nos Etats, et l’UE pour ce qui nous concerne, améliorent leurs plans climat.

3. Les COP ne sont pas armées pour organiser la sortie des énergies fossiles

Jusqu’à la COP26 de Glasgow, les énergies fossiles, responsables de plus de 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre n’avaient jamais été mentionnées dans les décisions de COP, pas plus que dans les accords internationaux qui en sont issus. Une proposition de moratoire portée par des ONG du Sud dès le début des COP au milieu des années 1990 avait ainsi été largement ignorée. Ainsi, l’Accord de Paris ne dit rien sur les énergies fossiles : il ne les mentionne même pas, pas plus qu’il ne prévoit de programme de travail pour voir comment les pays de la planète pourrait s’accorder pour instituer des restrictions, des contraintes ou des interdictions à l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements. On peut légitimement s’en émouvoir : comment se fait-il que les États se soient mis d’accord pour discuter des symptômes, les gaz à effet de serre relâchés dans l’atmosphère, sans traiter les causes, ces quantités astronomiques d’énergies fossiles (charbon, gaz et pétrole) qui alimentent notre insoutenable économie mondiale ? Il existe néanmoins de nombreuses raisons à cela, comme nous l’avons expliqué dans cette note.

Nous pouvons donc nous lamenter du refus des États d’aller plus loin lors de la COP27 que les formules alambiquées et insatisfaisantes figurant déjà dans le texte de décision de la COP26 à Glasgow. La publication du rapport de l’Agence internationale de l’énergie au printemps 2021, les déclarations du Secrétaire général de l’ONU sur la fin des énergies fossiles, le lancement de la Beyond Oil & Gas alliance en 2021 et les propositions de la société civile pour un Traité de non-prolifération sur les énergies fossiles ont pourtant déplacé pour toujours une partie du débat international sur le changement climatique. Laisser les énergies fossiles dans le sol n’est plus perçu comme une idée farfelue, mais comme la condition sine qua non d’une possible « neutralité carbone » en 2050. Il est donc urgent d’essayer de trouver comment progresser sur ce terrain. Il n’est pas certain que ce soit lors des COP.

En effet, comme nous l’avons expliqué dans cette note (partie 5), « l’avenir mondial des énergies fossiles doit être prise en charge au niveau international, alors que les mix énergétiques nationaux sont perçus comme non négociables dans un cadre multilatéral ». Si l’objet n’est pas ici de rappeler, détailler et approfondir les ébauches de propositions que nous soutenons, sans doute faut-il par contre pointer le rôle nocif que les États européens jouent à ce sujet : en ayant décidé, face à la guerre en Ukraine, de relancer des centrales à charbon, de construire de nombreuses nouvelles infrastructures gazières (ports méthaniers, interconnexions, etc) et de négocier quoi qu’il en coûte de nouveaux contrats pour augmenter les importations d’autres fournisseurs (Norvège, Algérie, États-Unis, Qatar, Émirats arabes unis, etc), les pays de l’UE font le contraire du nécessaire. Comment alors être crédible lorsque ces mêmes pays de l’UE invitent les pays pauvres, et notamment les pays africains, à ne pas investir dans de nouvelles infrastructures fossiles, y compris gazières ? En refusant de substituer une politique drastique de sobriété énergétique à leur dépendance russe, les pays européens sont en train de nous faire perdre de nombreuses années de lutte contre le changement climatique en Europe, mais également à l’échelle mondiale. Nous allons payer très cher le fait de ne pas avoir profité de la pandémie de COVID puis de la guerre en Ukraine pour mettre sur pied des plans de relance puis des plans de sobriété 100% climato-compatibles en mesure de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.

4. Les COP ne transformeront pas les règles et institutions de la mondialisation alors que des brèches s’ouvrent en ce sens : il faut s’y engouffrer

C’est l’un des autres trous noirs des négociations climatiques internationales. La COP27 ne fait pas exception, ou presque. Vous ne trouverez aucune mention du futur de la mondialisation, pas plus que des règles et institutions qui l’organisent, dans le texte de décision de la COP27. Là non plus, il n’y a rien de surprenant. Les COP n’ont pas mandat, et ont même l’interdiction, d’édifier des règles et institutions qui auraient pour fonction de réguler l’économie mondiale. Résoudre les dilemmes posés par le réchauffement climatique, alimenté qu’il l’est par l’incroyable machine à réchauffer la planète que sont l’économie mondiale et les entreprises multinationales, devient impossible dès lors qu’on ne peut prendre des décisions qui reviendraient à changer les principes, l’organisation ou la nature de cette mondialisation et à réguler les activités des entreprises (lire la tribune que nous avons publiée dans Le Monde à ce sujet).

Néanmoins, il nous semble a minima que trois brèches, de nature différente, sont en train de s’ouvrir à ce sujet. La première se joue aux confins des négociations climatiques internationales. Elle est même mentionnée dans le texte de décision de la COP27. Elle porte sur l’avenir des institutions financières internationales que sont la Banque Mondiale, le FMI et les banques de développement. De très nombreuses publications ont montré que les besoins d’investissement annuels afin de développer les énergies renouvelables et les infrastructures bas ou zéro-carbone étaient colossaux (plusieurs milliers de milliards d’euros par an). Une réflexion importante sur la façon de transformer les institutions financières internationales a été engagée afin qu’elles contribuent massivement à ces besoins de financements. Tout l’enjeu, gigantesque, est qu’elles le fassent sur la base de principes et de mécanismes fondamentalement différents de ceux qu’elles ont utilisé depuis des dizaines d’années en imposant aux pays pauvres des plans d’ajustements structuraux totalement injustes et insupportables. C’est un sujet de travail immédiat.

La seconde brèche se situe hors des négociations climatiques internationales : les décisions successives de l’Espagne, des Pays-Bas, de la Pologne, de la France, de l’Allemagne et de la Slovénie de se retirer du Traité sur la charte de l’énergie, ce Traité qui retarde, renchérit ou bloque la transition énergétique, représentent l’une des toutes premières fois que des règles nées de la mondialisation sont reconnues comme antinomiques avec la lutte contre le changement climatique. Comme nous l’expliquons dans la tribune publiée par Le Monde, c’est « une brèche notable dans ce pare-feu qui pouvait jusqu’ici paraître inviolable : les institutions de la mondialisation, dont les principes qui les fondent ne tiennent aucun compte des immenses défis climatiques et énergétiques auxquels nous sommes confrontés, ne sont pas une malédiction indépassable ». Il faut s’y engouffrer : « celles et ceux qui aspirent à voir des politiques climatiques plus ambitieuses capables de « gouverner » les investissements étrangers et les pratiques des entreprises multinationales, capables de faciliter la relocalisation des activités économiques et d’orienter les marchés publics, devraient s’y engouffrer. Il est temps de rénover les institutions et les règles qui organisent la mondialisation »

La troisième brèche est en train de s’ouvrir devant nous, sans que cela ne soit pris au pied de la lettre : plus personne ne semble vouloir respecter certaines des règles les plus élémentaires de l’Organisation mondiale du commerce, notamment au nom d’enjeux tels que la relocalisation ou la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, l’Inflation Reduction Act promulgué par Joe Biden prévoit de soutenir massivement l’industrie américaine à condition que les productions, notamment de voitures, soient localisées sur le territoire américain. C’est clairement contraire aux règles de l’OMC. En raison de la nouvelle situation géopolitique, des tensions entre blocs et de la situation économique mondiale, il est fort probable que ce genre de mesures se multiplient à l’avenir. L’UE a le choix : défendre becs et ongles les règles de l’OMC comme avenir indépassable ou, alors, s’emparer pleinement de ses enjeux et se faire le fer de lance d’une rénovation complète des règles internationales du commerce et de l’investissement pour les rendre compatibles avec les grands enjeux du 21ème siècle tels que la lutte contre le réchauffement climatique. Pour le dire autrement : batailler pour que l’impératif climatique s’impose au sein de chaque institution internationale, y compris l’OMC. C’est un défi majeur et décisif. Ne le laissons pas sous le tapis.

Conclusion provisoire

Cette première analyse gagnerait énormément à être confrontée d’un côté aux stratégies des mouvements pour la justice climatique et de l’autre à la nouvelle situation géopolitique internationale : les COP représentent en effet un des derniers espaces de négociation géopolitique mondiale qui permettent de faire valoir les intérêts, parfois divergents, des pays pauvres, et en tout cas ceux des populations les plus démunies face au réchauffement climatique. Ce n’est absolument pas négligeable alors que le monde se disloque, que les extrêmes-droite sont plus puissantes que jamais et que les grands défis de ce 21ème siècle, dont le fait de contenir le réchauffement climatique, paraissent de plus en plus inatteignables. Ainsi, plutôt que d’enterrer l’objectif des 1,5°C, quand bien même notre budget carbone pourrait être consommé dans les neuf années qui suivent, il me semble qu’il faudrait plutôt le défendre comme un levier pour que les pays du Sud et populations les plus vulnérables puissent obtenir des avancées politiques concrètes. Y compris pour que le « premier bilan mondial » qui doit se tenir en 2023 selon l’Accord de Paris permettent de faire pression sur les États, les collectivités territoriales et les entreprises pour obtenir de nouvelles avancées majeures. Que les COP existent et qu’on s’en serve pour mener des batailles partielles n’empêche en rien d’obtenir des victoires globales en dehors des COP.

Lire l’article original sur le blog de Maxime Combes