Le terme « réfugié » ici s’appliquera pour décrire les personnes migrantes, sans considération d’un statut juridique acquis ou non. Pour rappel, le statut de réfugié est délivré par les autorités d’un Etat ou à défaut par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Un individu ayant déposé une demande de statut de réfugié est « demandeur d’asile » dans l’attente d’une décision le concernant. On dit qu’elle est « déboutée de sa demande d’asile » si celle-ci n’aboutit pas favorablement. Une personne migrante est quelqu’un qui a quitté son pays pour un autre que ce soit pour des raisons professionnelles, économiques ou pour fuir un conflit ou des persécutions.
Aperçu de la situation des réfugiés afghans dans le monde
La « crise migratoire » décrite dans les médias français et européens se limite souvent à mettre en avant le nombre d’arrivées de réfugiés, à décrire le parcours difficile de ces « migrants », et à envisager les conséquences et les difficultés du fait de ces arrivées pour les pays d’accueil. Moins de sujets sont consacrés aux raisons de l’exil de ces milliers de personnes et donc aux situations dans les pays d’origine des réfugiés.
Selon les estimations, plus de 2 millions d’Afghans seraient réfugiés au Pakistan, près d’un million seraient en Iran : l’Iran et le Pakistan sont les deux pays qui accueillent le plus de réfugiés de cette nationalité. Dans ces deux derniers pays cependant, la situation se dégrade pour les réfugiés afghans : outre des droits qui ne sont pas toujours respectés, les autorités de ces deux pays procèdent depuis plusieurs années à des expulsions massives. Chaque jour, 5000 Afghans quitteraient le Pakistan en raison des pressions exercées par les autorités pakistanaises. Ils seraient ainsi 200 000 à être retournés en Afghanistan depuis le début de l’année 2016, ce qui représente un enjeu important pour les autorités afghanes et qui inquiète les organisations humanitaires. En Iran, où les réfugiés sont souvent victimes de violences, des milliers d’Afghans ont même été recrutés de force pour combattre en Syrie aux côtés des troupes de Bachar al-Assad. Majoritairement issus de la minorité chiite des Hazaras, ils seraient entre 10 000 et 20 000.
Parallèlement, le nombre de déplacés internes (les personnes qui ont fui leur région d’origine tout en restant à l’intérieur des frontières afghanes) a presque triplé en trois ans. Le pays abrite en 2016 1,2 millions de déplacés internes contre 500 000 en 2013. Dans un rapport, Amnesty International décrit des conditions de vie déplorables dans les camps destinés à accueillir ces déplacés, ainsi que les violences qu’ils subissent de la part de la police afghane et de l’armée.
200 000 Afghans ont ainsi choisi l’Europe en 2015, un chiffre multiplié par six par rapport à 2014, mais qui reste faible par rapport à leur nombre dans les pays frontaliers de l’Afghanistan.
En France, les demandes d’asile de ressortissants afghans ont augmenté en 2015 de 349,6%, passant de 472 à 2 122, selon l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). 31ème au rang des pays de provenance des demandeurs d’asile en 2014, l’Afghanistan se hisse au 10e rang en 2015. En 2016, cette augmentation perdure. Par ailleurs, l’Afghanistan est le premier pays de provenance des mineurs non accompagnés (MNA, ou mineurs isolés étrangers, MIE) tant au niveau français qu’au niveau européen : 51 % des mineurs non accompagnés ayant déposé une demande d’asile dans un des pays européens étaient Afghans en 2015.
Les réfugiés afghans se sentent cependant oubliés des hommes et femmes politiques européens. Le plan de relocalisation conclu au sein de l’Union européenne (UE) ne les concerne pas : il prévoit de répartir près de 160 000 réfugiés d’ici 2017 entre les différents pays de l’UE mais ne concerne que les nationalités dont les ressortissants obtiennent l’asile à plus de 75 %. Les Afghans, eux, ne sont « que » 70% à obtenir l’asile au niveau européen… contre 80,3% en France en 2015. La Macédoine, frontalière de la Grèce et principal point d’entrée de ces réfugiés en UE, refuse par ailleurs l’entrée sur son territoire aux Afghans depuis février 2016, réservant la priorité à ce qu’elle considère comme des « vrais réfugiés », les Irakiens et les Syriens principalement. Par ailleurs, un accord vient d’être passé entre l’Union européenne et l’Afghanistan pour « prévenir la migration irrégulière » et assurer le retour des migrants en situation irrégulière qui ne sont pas éligibles au statut de réfugié ou à la protection subsidiaire, en facilitant les retours volontaires et forcés. Pour certains, cela revient à mettre en danger des milliers d’Afghans en cas de retour forcé en raison de la situation sécuritaire.
Sur la route entre l’Afghanistan et l’Europe, le chemin est donc long. En Grèce, les Afghans sont dans une impasse : sans ressources ni accompagnement adéquate, beaucoup d’entre eux vivent dans le dénuement. De plus en plus de jeunes Afghans se prostituent pour financer leur passage vers l’Europe occidentale, ou tout simplement pour survivre.
Par ailleurs en mars 2016, Amnesty international informait du renvoi forcé de 30 Afghans, hommes, femmes et enfants de Turquie vers Kaboul, sans que ces derniers n’aient pu demander l’asile : les accords signés entre l’Union européenne et la Turquie sur la gestion des réfugiés prévoit pourtant que le droit à une protection internationale soit assuré par la Turquie.
Dans un contexte de repli sur soi où chaque réfugié est vu avec suspicion, il est important de revenir sur la situation en Afghanistan. Qu’en est-il du conflit avec les Talibans ? Où en est la situation sécuritaire ?
Une situation sécuritaire qui se dégrade
En janvier 2016, le Haut-commissariat des Nations unies (HCR) a interrogé sur les îles grecques 400 réfugiés syriens et afghans afin de déterminer leur profil et les raisons de leur départ. 71% des Afghans « ont cité le conflit et la violence en tant que principal motif » de départ de leur pays d’origine. 44% des Afghans avaient par ailleurs un diplôme secondaire ou universitaire et 40% étaient des femmes ou des enfants.
Derrière ces chiffres, un fait peu relayé : 15 ans après l’intervention des Etats-Unis avec le soutien de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), le conflit en Afghanistan est loin d’être terminé, et au contraire, ne fait que s’intensifier. En février 2012 déjà, certains observateurs s’inquiétaient des conséquences que pouvaient engendrer un retrait du pays des troupes de l’OTAN et du retrait progressif des autres troupes internationales, dont les Etats-Unis et s’interrogeaient : « après le retrait, la chaos ? ».
Les troupes de l’OTAN ont pourtant bien quitté le pays fin 2014, et la couverture médiatique sur le pays a décliné, laissant supposer que la situation sécuritaire s’est stabilisée. Au contraire, l’année 2015 a été la plus meurtrière pour les civils depuis 2009, année à laquelle les Nations unies ont débuté le recensement des victimes civiles : 11 002 personnes ont été tuées ou blessées. Les femmes et les enfants ont été davantage touchés qu’en 2014, une année qui avait déjà établi un triste record du nombre de victimes civiles. Depuis un peu plus de deux ans, les Talibans ne cessent en effet de progresser sur le terrain, retardant d’année en année le retrait total des troupes états-uniennes, pourtant promis par le Président Obama depuis son arrivée au pouvoir en 2008.
Les attaques des Talibans se multiplient, y compris à Kaboul, la capitale. Le Centre de recherche et de documentation sur l’information sur les pays d’origine de la Croix-Rouge autrichienne (ACCORD) a recensé 27 attaques entre octobre 2015 et août 2016. Pour exemple, le 19 avril 2016, un attentat revendiqué par les Talibans a fait 64 morts et 347 blessés. Le 23 juillet, c’est cette fois l’État islamique qui a revendiqué un attentat contre une manifestation de la minorité Hazara : 80 personnes ont été tuées et 231 blessées.
Par ailleurs, un nouvel acteur participe à la déstabilisation du pays, l’Etat islamique. Pour Mohammad Ismail Javid, ancien consul Afghan en Belgique, l’Afghanistan est un territoire géostratégique essentiel dans la région, à cheval entre l’Asie centrale, l’Asie du Sud-est et le Moyen-Orient pour l’Etat islamique. Pour ce dernier, les attentats déjà revendiqués par ce groupe ne sont qu’un début.
Selon Gilles Dorronsoro, professeur de science politique, trois catégories de personnes quittent le pays vers l’Europe, les Pachtounes du Sud pris en étau entre les Talibans et le gouvernement, les Hazaras chiites victimes de discriminations de la part des autorités et qui craignent les persécutions des Talibans, et les classes moyennes. Selon Gilles Dorronsoro, « les gens partent car ils sont rationnels ». Parmi les 11 002 civils tués ou blessés en 2015, 3345 sont décédés, dont 25% d’enfants selon l’ONU. « Seulement » 62% de ces pertes sont à imputer aux Talibans, ce qui signifie que les Afghans ne peuvent que très rarement s’assurer de la protection des forces de sécurité afghanes, elles aussi coupables d’exactions. En effet, la formation de la police et de l’armée, toujours assurée par les soldats états-uniens, n’est pas efficace. Dans un documentaire et un article publié dans la revue XXI, Ben Anderson décrit cette formation comme « une mission impossible ». Selon le Bureau européen d’appui en matière d’asile, qui rédige régulièrement des rapports sur la situation des droits humains dans les principaux pays d’origine des demandeurs d’asile, les forces de sécurité afghanes sont responsables d’arrestations et détentions arbitraires, de torture, et d’exécutions extrajudiciaires. Pour Mathilde Bethelot, responsable de programmes pour Médecins sans frontières, la formation des forces de sécurité afghanes est pourtant indispensable si l’on ne veut pas que l’Afghanistan devienne un nouveau fief du terrorisme international : de nouveaux groupes armés commencent à s’implanter dans le pays, dont l’État islamique.
Plusieurs facteurs expliquent ces départs : l’insécurité et l’instabilité de l’Etat, l’hostilité et la crise de confiance envers les gouvernements, la crise économique et le chômage qui touchent toute la population en particulier depuis le départ des troupes étrangères pour lesquelles beaucoup d’Afghans travaillaient en tant qu’interprètes ou logisticiens, mais aussi le manque d’information sur ce qui attend les réfugiés en Europe.
La problématique des Afghans travaillant ou ayant travaillé pour les forces étrangères est d’ailleurs inquiétante. Menacés par les Talibans pour leur coopération, nombre d’entre eux ont demandé un visa pour les pays occidentaux pour lesquels ils ont travaillé. Selon un reportage d’Arte, 12 000 interprètes Afghans auraient travaillé pour les Etats-Unis, au moins 800 pour la France. En mars, une vingtaine d’entre eux a manifesté devant l’ambassade de France à Kaboul. Craignant des représailles, ils se sentent abandonnés par l’administration française alors que très peu d’entre eux ont obtenu un visa pour la France. Pourtant, les Talibans menacent régulièrement les civils travaillant pour les forces armées internationales, mais aussi ceux travaillant pour des ONG étrangères.
Les journalistes et professionnels des médias sont également régulièrement visés. Ils sont menacés et pris pour cibles, non seulement par les Talibans, mais aussi par les forces de sécurités afghanes ou même des responsables politiques locaux.
Par ailleurs les hommes en âge, mais également des enfants selon l’UNICEF, peuvent être recrutés de force dans les zones de conflit au sein de groupes armés, mais également au sein des forces de sécurité afghanes.
Les droits des femmes, ignorés sous le régime des Talibans, sont respectés de manière très inégale sur le territoire et selon les conditions sociales, malgré quelques timides avancées. Ainsi, alors que 27 % des députés au Parlement national sont des femmes, dans les campagnes, crimes d’honneur, mariages forcés ou précoces et enlèvements sont encore légion.
Au regard de cet aperçu sur la situation sécuritaire et des droits humains dans le pays, les demandes de protection des ressortissants afghans doivent être mieux compris. Comme souvent, la connaissance de la situation des pays d’origine des demandeurs d’asile permet une meilleure compréhension de leur parcours et des raisons de leur exil.