Ici c’est-là bas et là-bas c’est ici

Quand les méditerranéennes font leur cinéma

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

Depuis 14 ans, le festival Films Femmes Méditerranée met à l’honneur les réalisatrices des deux rives : pour que le cinéma de demain se dessine un peu plus au féminin.

« Notre festival ne devrait pas exister, si on n’avait pas un souci d’égalité de genre et de chance, on ne serait pas là », note Camilla Trombi, en charge de la médiation et de la communication du festival Films Femmes Méditerranée (FFM) qui s’est tenu du 29 novembre au 7 décembre 2019, à Marseille. Le reste de l’équipe composée majoritairement – et pour des raisons financières – de bénévoles retraitées, s’active pendant toute l’année pour sélectionner les films et préparer le festival. Un travail titanesque pour défendre un cinéma au féminin et méditerranéen et s’en faire le porte-voix.

Pour cette 14ème édition, les organisatrices ont voulu offrir aux spectateurs « une pluie d’étoiles ». De celles qui « éclairent avec émotion, humour, gravité et générosité cet espace tourmenté que dessinent les rives de la Méditerranée ». Avec des réalisatrices dont les films « tracent un sillon lumineux entre ces peuples que les guerres, la pauvreté et l’obscurantisme veulent enfermer dans la nuit ». Créé en 2005, par Marie Bottai de la Chambre de commerce italienne, ce festival ne s’intéressait au départ qu’aux réalisatrices italiennes jusqu’à s’étendre aujourd’hui à plus de 20 pays du pourtour méditerranéen. Avec les années, FFM a su trouver son public marseillais, mais aussi en région avec ses rendez-vous à Hyères (83), Apt (84) ou encore à Forcalquier (04).

Palier le manque de visibilité

Cette année hommage est rendu à deux grandes dames du cinéma français : Agnès Varda, disparue en mars dernier, avec 17 de ses courts métrages et Claire Denis à travers six films, dont deux tournés à Marseille, Beau travail et Nénette et Boni. Pendant une semaine, 71 films sont diffusés, dont 8 inédits. On retrouve le bouleversant Papicha de Mounia Meddour, censuré en Algérie mais en lice pour l’Oscar du meilleur film international en 2020, qui raconte l’histoire d’une jeune fille qui veut devenir styliste au début de la décennie noire. Mais aussi le documentaire de la grecque Marianna Economou When tomatoes met Wagner, où comment deux cousins agriculteurs décident de produire de la sauce tomate bio avec l’aide des grands-mères du village d’Elias, dans la plaine de Thessalie.

Dans Sans frapper, la Belge Alexe Poukine fait dire le témoignage réel d’Ada, dix neuf ans, violée à trois reprises par le même homme, à des comédiens qui y mêlent leur propre témoignage de violences similaires vécues. Le documentaire Freedom Fields de l’anglo-libyenne Naziha Arebi suit, quant à lui, trois footballeuses dans la Libye post révolutionnaire alors que le pays sombre dans la guerre civile. Ces deux derniers documentaires ont reçu exaequo le prix France 24 décerné pendant le festival.

La réalisatrice macédonienne Teona Strugar Mitevska a fait le déplacement pour présenter son film Dieu existe, son nom est Petrunya tiré d’une histoire vraie. Chaque année, en janvier, à Stip, en Macédoine, le prêtre de la paroisse lance dans une rivière une croix en bois, des centaines d’hommes plongent pour l’attraper. Bonheur et prospérité sont assurés à celui qui la récupère : ce jour là, Petrunya se jette à l’eau… Un film qui interroge la place des femmes dans les sociétés patriarcales. Il vient d’obtenir le prix Lux 2019 du parlement européen à Strasbourg qui permet chaque année de récompenser un film qui « contribue à diffuser différentes opinions sur quelques-uns des principaux enjeux sociaux et politiques du moment et, donc, à créer une identité européenne plus forte ». Petrunya sera donc sous-titré en 24 langues. « Je raconte des histoires importantes pour moi, pour ma société, pour le monde. Il nous faut combattre les tabous… », aime à souligner la réalisatrice engagée. Pour elle le pouvoir du cinéma est « étonnant » car c’est « une forme d’expression qui peut toucher beaucoup de gens. Le cinéma est là pour mettre des opinions en avant ».

« Avec les années, les réalisatrices nous disaient « c’est génial ce que vous faites, de montrer nos films, mais nous, notre plus grande difficulté c’est de les réaliser, rapporte Karine Osswald, présidente du festival. Alors on s’est interrogées sur la manière de les aider et depuis l’an dernier on a mis en place la journée professionnelle. » D’un côté des réalisatrices, de l’autre des producteurs et des productrices, dont cette année, entre autres, Julie Gayet, dont le dernier documentaire parle des femmes réalisatrices à travers le monde, FilmmakErs. En tête à tête, chaque réalisatrice va présenter son projet de fiction ou documentaire aux producteurs qui peuvent la conseiller, l’aiguiller et pourquoi pas la produire. L’an dernier 89 réalisatrices ont répondu à l’appel à projet et cette année 73. Dix ont été retenues et invitées à Marseille. « On demande à chaque producteur de les recevoir en entretien, qu’il soit intéressé ou pas, car elles sont en demande de retours sur leurs films. Ça leur permet de l’amender, de l’améliorer et peut-être de trouver un autre producteur », explique Karine Osswald.

Une relève assurée

Sur les dix films de l’an dernier, quatre sont en passe d’être produits. Un réel espoir pour les jeunes cinéastes présentes à Marseille. « Je débute dans le milieu du cinéma, et ces rencontres sont vraiment un tremplin pour rencontrer un producteur. Même si ça n’aboutit pas, leurs critiques sont vraiment précieuses », explique Ariane Papillon, 25 ans, benjamine des sélectionnées. Française installée en Tunisie, elle est venue présenter son film documentaire A nos amies, une correspondance filmée entre des adolescentes de 17 ans sur chaque rive.

Ici comme ailleurs, pour ces jeunes femmes, il est parfois difficile de faire ce métier. « Il est très rare de trouver des réalisatrices en Turquie », souligne Damlac Yolac, 34 ans, qui navigue entre Strasbourg et Istanbul où elle enseigne avec courage le cinéma indépendant. « La censure est très présente et les financements quasi inexistants. On a toujours besoin de producteurs européens pour mener à bien un projet », ajoute la jeune femme qui est venue présenter sa fiction Ne m’oubliez pas. « En Espagne, depuis un an, les choses bougent, les femmes cinéastes sont solidaires entre elles, et même si il y a beaucoup à faire encore pour la parité, on est sur la bonne voie », se réjouit la barcelonaise Elena Molina, 33 ans, venue présenter Coming of age, documentaire sur un mineur non accompagné qui apprend le tango.

Vivre du cinéma reste encore difficile : « Je fais des films par passion et d’autres pour manger », sourit Elena. Daniella Saba, 34 ans, brésilienne d’origine libanaise, installée à Paris depuis plusieurs années, a quant à elle choisit de travailler dans un théâtre pour gagner sa vie. Elle espère trouver un coproducteur français pour son film L’enfant du village. « Au Brésil, avec Bolsonaro, l’avenir de la culture s’annonce assez sombre », s’inquiète-t-elle. « En Tunisie, depuis 2011, le cinéma est en plein essor et ça intéresse aussi les producteurs français », souligne Ariane Papillon. Pour elles, FFM et ses rencontres professionnelles sont une réelle opportunité. « C’est vraiment important de créer des espaces dédiés, où l’on nous pousse dans nos retranchements, parce qu’on en a besoin. Car à ce jour on est encore confrontées à trop d’inégalités », conclut Ariane. 

Encadré : Habituer l’œil

En marge des projections et tout au long de l’année, Films Femmes Méditerranée anime aussi des ateliers. Camilla Trombi qui s’occupe de la médiation intervient auprès de femmes et d’enfants de la Savine (Marseille 15ème), d’élèves de l’Ecole de la deuxième chance, et de jeunes du centre éducatif fermé des Cèdres (Marseille 9ème). Le court métrage est plus facile d’accès et laisse le temps au débat.

« On amène un univers dans les quartiers qui permet d’ouvrir sur d’autres possibles », souligne Camilla. Tout est question aussi de confiance, au fil des séances, certains comme les jeunes des Cèdres arrivent à exprimer une émotion ou une opinion. « C’est l’espoir aussi qu’ils puissent avoir accès à un autre cinéma que les films d’action, et que l’on puisse en parler », poursuit l’intervenante. Et de conclure : « Souvent ils nous demandent « est-ce que c’est bien ça que le réalisateur a voulu dire ? Comme s’il n’y avait qu’une seule interprétation possible. Ce que l’on travaille en groupe justement, c’est d’apprendre que chacun peut avoir une vision différente d’une même image. En ce sens, c’est aussi un apprentissage à la diversité. »