Tous les ans, les grandes entreprises présentent leur « bilan annuel » sous la forme de rapports d’activités destinés à leurs actionnaires. Désormais, la plupart d’entre elles complètent ce rapport financier par un « rapport de développement durable », spécifiquement consacré à leurs impacts sociaux et environnementaux. La démarche reste néanmoins la même : c’est la direction de l’entreprise – et avant tout son département communication – qui sélectionne l’information diffusée, en insistant sur les points flatteurs. Y sont joliment présentés de dynamiques courbes ascendantes, des témoignages de « collaborateurs » enthousiastes, des baromètres de « responsabilité sociale » et des initiatives volontaristes en faveur du développement durable. Les questions qui fâchent, les critiques potentielles, les parts d’ombres de l’activité de ces entreprises en sont dûment expurgées.
Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que des organisations de la société civile aient souhaité, à plusieurs reprises, écrire leur propre « rapport annuel alternatif » sur les activités de multinationales particulièrement contestées, à commencer par les géants du pétrole. Dès le début des années 2000, les Amis de la terre ont publié plusieurs années de suite des « contre-rapports annuels » sur Shell, intitulés « L’autre rapport de Shell » (The Other Shell Report) [1]. De la même manière, entre 2009 et 2011, une coalition d’ONG américaines ont uni leurs forces pour préparer un « rapport annuel alternatif » sur Chevron, sous le titre « Le véritable coût de Chevron » (The True Cost of Chevron) [2], lequel dressait le bilan des controverses dans lesquelles était engagée l’entreprise aux quatre coins du monde.
En France, l’Observatoire des multinationales a fait en 2015 l’exercice de dresser son propre « bilan annuel » de quatre grandes entreprises nationales : Total, Engie (ex GDF Suez), EDF et Areva [3]. Ces quatre « contre-rapports » rassemblent des informations produites par des journalistes, des militants, des ONG et autres qui contribuent à donner une image plus complète, et plus exacte, de l’activité de ces entreprises – du point de vue de la société dans son ensemble (y compris les travailleurs), et non plus seulement du point de vue des directions et des actionnaires. Avec pour hypothèse que c’est à l’aune des grands enjeux d’intérêt général – climat et environnement, inégalités, démocratie, etc. – que le bilan de ces multinationales doit être jugé in fine, et non seulement à l’aune d’intérêts privés et d’objectifs financiers.