OGMs : qui cultive, qu’est-ce qu’on cultive ?

Qu’est-ce que le brevetage du vivant ?

, par Inf'OGM , PRAT Frédéric

La propriété intellectuelle englobe deux branches différentes : la propriété industrielle (brevets, certificats d’obtention végétale - COV, voir plus bas-), dessins et modèles industriels, marques et autres signes distinctifs) et la propriété littéraire et artistique (dont les droits d’auteur). Breveter le vivant est une notion relativement nouvelle (1930 aux États-Unis), qui s’est accentuée avec l’avènement des biotechnologies et qui, on va le voir, pose un certain nombre de problèmes aux agriculteurs et même aux sélectionneurs conventionnels.

Un brevet est un titre de propriété portant sur une invention, qui confère à son titulaire un monopole temporaire d’exploitation. Il est délivré pour une durée de 20 ans après quoi l’invention entre dans le domaine public.

Qu’est-ce qui est brevetable ?

Toute création ne peut pas être brevetable. Pour faire l’objet d’un brevet, il faut l’existence d’une invention (une solution technique à un problème technique) par opposition à une découverte qui est une simple observation d’un phénomène existant. L’invention doit être nouvelle (qui n’a pas déjà fait l’objet d’un dépôt ou n’est pas connue du public), avoir un caractère d’inventivité (ne pas être une solution évidente pour quelqu’un qui connaît le domaine), et pouvoir faire l’objet d’une application industrielle.

Ce qui est brevetable est précisé dans les Accords sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC, article 27-1), qui s’appliquent à tous les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (soit 160 pays sur 200). Les pays non membres peuvent fixer leurs règles, dans le cadre toutefois des règles de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI).

Une découverte n’est pas une invention

Si une propriété nouvelle d’un matériau ou d’un objet connu est découverte, il s’agit d’une simple découverte qui n’est pas brevetable. Si, toutefois, cette propriété est utilisée à des fins pratiques, cela constitue alors une invention qui peut être brevetable.

Exemple : si l’on découvre qu’un micro-organisme existe à l’état naturel et produit un antibiotique, le micro-organisme lui-même peut aussi être brevetable comme étant un des aspects de l’invention. De la même façon, un gène, dont on découvre qu’il existe à l’état naturel, peut être brevetable si l’on révèle un effet technique, par exemple son utilisation dans la thérapie génique.

L’article 3.2 de la directive européenne 98/44 sur la brevetabilité stipule d’ailleurs qu’"une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique peut être l’objet d’une invention, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel".

Aux États-Unis : des plantes brevetées dès 1930

Aux États-Unis, le Plant Patent Act de 1930 reconnaît la possibilité de breveter des plantes, essentiellement ornementales, mais uniquement celles à multiplication végétative et sans exemption de recherche ; en 1970, le Plant Variety Protection Act protège les résultats des recherches phytogénétiques : ceci permet de déposer non seulement l’équivalent des certificats d’obtention végétale, mais aussi des brevets et cela non seulement sur les variétés transgéniques mais aussi sur les variétés classiques et à reproduction sexuée. Le brevetage d’une bactérie en 1980 (arrêt de la Cour suprême des États-Unis, dit « Chakrabarty », du nom du demandeur du brevet) ouvre la voie à une accélération des brevets sur le vivant : en 1985, la Cour d’appel de l’US-PTO (Patent trade office, le bureau des brevets étasunien) déclare que « tout ce qui pousse et vit sous le soleil grâce à l’ingéniosité humaine peut être breveté ». Cette même année, un maïs est breveté, puis une huître (1987) et une souris transgénique (1988). Cette dernière fera également l’objet d’un brevet délivré par l’Office européen des brevets (OEB) en 1992.

Un récent jugement de la Cour suprême des États-Unis (13 juin 2013) a cependant décidé, au sujet de gènes humains brevetés par l’entreprise Myriad Genetics, que « l’ADN produit naturellement est un produit de la nature et n’est pas éligible pour un brevet simplement parce qu’il a été isolé ». En revanche, l’ADN de synthèse peut l’être, selon le même jugement.

L’article 27-3(b) des ADPIC précise les exclusions de la brevetabilité : tout ce qui est contraire à l’ordre public, la moralité, ou qui va à l’encontre de la santé et la vie des personnes et des animaux, ou qui est utile pour préserver les végétaux ou pour éviter les graves atteintes à l’environnement. En outre, l’article précise que pourront être aussi exclus de la brevetabilité « les végétaux et les animaux autres que les micro-organismes et les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux autres que les procédés non biologiques et microbiologiques », pour autant qu’ils soient protégés par un autre système "sui generis" (voir infra).

Union européenne : le vivant partiellement brevetable

La brevetabilité du vivant au sein de l’Union européenne est régie par la directive européenne 98/44, et les brevets sont délivrés par l’Office européen des brevets (OEB, organisation intergouvernementale de droit international public), institué par la Convention sur la délivrance de brevets européens (CBE).

L’article 53-b de la Convention sur le brevet européen (CBE) et la directive 98/44 utilisent le droit donné par l’article 27-3 b des ADPIC en prévoyant que « sont exclues de la brevetabilité les variétés végétales ou les races animales, ainsi que les procédés essentiellement biologiques d’obtention des végétaux ou d’animaux, cette disposition ne s’appliquant pas aux procédés microbiologiques et aux produits obtenus par ces procédés ».

La directive 98/44 précise que « les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si la faisabilité technique n’est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale ». Autrement dit, une famille de plantes (par exemple, toutes les dicotylédones, comme les haricots...) est brevetable alors qu’une variété de haricot ne l’est pas.

La directive 98/44 prévoit, comme la CBE, que sont brevetables les inventions ayant pour objet un procédé microbiologique ou d’autres procédés techniques, ou un produit (par exemple un animal ou un végétal) obtenu par ces procédés.

L’OMC oblige à protéger les variétés végétales

Toujours selon cet article 27-3b, les membres de l’OMC devront prévoir « la protection des variétés végétales par des brevets, [ou] par un système sui generis efficace ou par une combinaison des deux moyens ».

La protection des variétés végétales est donc obligatoire pour les membres de l’OMC, les moyens de parvenir à cette fin pouvant varier, par exemple en utilisant le certificat d’obtention végétale (COV) de l’Union pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV).

Des brevets sur des plantes « conventionnelles »

Des plantes non transgéniques ont été brevetées ces dernières années, soulevant l’ambiguïté de la loi européenne. En effet, ne sont pas brevetables « les procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux », mais quid de leurs produits ? Deux affaires (des brevets portant sur des plants de tomates et de brocoli) ont suscité un nouveau débat de principe, au sein de l’OEB, sur la brevetabilité des plantes et des animaux : la question portait sur le fait de savoir si, malgré un procédé de sélection essentiellement biologique, donc non brevetable au sens de la CBE, le produit qui en est issu peut être brevetable. Pour la Grande chambre des recours de l’OEB, la réponse est oui [1].

Les brevets modifient l’agriculture, la recherche et la sélection variétale

Le brevetage du vivant modifie les rapports de force dans le monde agricole. Comme on l’a vu, si une plante est brevetée, cela signifie qu’il est interdit de garder une partie de la récolte pour en faire la semence de l’année suivante, et il est impossible de s’échanger des semences. Or l’échange entre agriculteurs est ce qui a engendré une grande agrobiodiversité, avec des semences adaptées aux terroirs. Autrement dit, le brevet entraîne une "stérilité juridique" des plantes agricoles, de laquelle découle un appauvrissement de la biodiversité cultivée.

Autre conséquence : au coût de la semence en tant que telle s’ajoute le coût des royalties (ou redevances). Aux États-Unis, les dépenses de semences par les agriculteurs ont presque quadruplé depuis 1996.

Si un Certificat d’obtention végétale (COV) permet à un semencier de repartir librement et sans autorisation d’une variété pour en créer une autre (privilège du sélectionneur), il n’en va pas de même pour un brevet : aucun produit issu d’une recherche ne pourra être commercialisé s’il contient un élément breveté pour lequel le détenteur n’a pas accordé une licence.

Du coup, toute recherche en laboratoire commence par une enquête pour savoir si le matériel biologique est « free to operate », c’est à dire libre de brevet... Recherches jamais simples car aucune obligation n’est faite aux détenteurs de brevets de lister l’ensemble des brevets présents dans leurs variétés. Cela augmente le coût des recherches, et en limite considérablement le champ. Plusieurs voix se sont élevées pour faire interdire tout brevet sur les plantes.

Impossibilité d’étudier certaines PGM du fait des brevets

Non seulement la recherche à partir d’une plante brevetée est compliquée, mais une recherche indépendante sur une plante brevetée devient elle aussi difficile : « Aucune recherche ne peut être légalement conduite pour répondre aux nombreuses critiques impliquant ces plantes [génétiquement modifiées (PGM)] » : ce constat était celui de 26 entomologistes étasuniens qui, en 2009, se sont plaints auprès de l’Agence étasunienne de protection de l’environnement (EPA) de ne pouvoir avoir accès aux semences de PGM commercialisées, nécessaires à leur recherche.

Les brevets renforcent les monopoles

Les brevets étaient censés empêcher les monopoles en rendant publique l’information sur les inventions. Mais à partir du moment où une entreprise a atteint une certaine masse critique (en chiffre d’affaire et en nombre de brevets), elle peut sans trop de problèmes rafler de plus en plus d’autres brevets, soit en rachetant ses concurrents, soit en leur intentant des procès... tout en mettant des sommes considérables en recherche développement, donc avec une probabilité forte de déposer encore d’autres brevets à terme.

Du coup, les semenciers sont de plus en plus grands, de moins en moins nombreux (en septembre 2016, trois gros groupes sont en train d’émerger suite à des rachats/fusions : DuPont et Dow, Syngenta et ChemChina, et Bayer et Monsanto) ; et les grosses entreprises s’accordent entre elles des accords croisés de licences, renforçant encore leur domination sur le marché. En outre, certaines entreprises tentent d’étendre le domaine des brevets, soit à des caractères natifs, soit aux produits issus de plantes ou d’animaux (farine issue de culture transgénique ou animaux nourris avec ces PGM).

Le brevet en passe de remplacer le COV ?

Comme le brevet, le certificat d’obtention végétale (COV) fait partie des droits de propriété intellectuelle. Il protège l’obtenteur tout en permettant aux sélectionneurs de repartir d’une variété protégée par un COV pour en mettre une nouvelle sur le marché : c’est l’exception du sélectionneur. Même si le COV entrave l’agriculteur dans sa faculté à multiplier, échanger et vendre les variétés protégées (l’agriculteur ne peut le faire que pour certaines variétés – « privilège de l’agriculteur » - et en payant une redevance), il n’est pas aussi rigide que le brevet, qui, on vient de le voir, s’applique aussi, et de plus en plus, à des plantes, transgéniques mais aussi issues de procédés essentiellement biologiques. Une bataille s’est engagée entre petits semenciers européens, qui défendent le système des COV, et les grandes industries semencières, qui soutiennent les brevets.