Alors que les ravages environnementaux et humains du projet EACOP ont déjà été largement documentés en Ouganda [3], il est presque impossible pour des associations ou des journalistes d’enquêter en Tanzanie tant les pressions des autorités sont fortes. Pourtant, les deux-tiers du tracé de cet immense oléoduc chauffé doivent traverser ce pays, pour acheminer le pétrole brut extrait en Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie, d’où il sera exporté. Le rapport « EACOP, la voie du désastre » par les Amis de la Terre France et Survie est donc inédit.
Il vient s’ajouter aux multiples voix qui dénoncent déjà le méga-projet pétrolier de Total et réclament son abandon : les communautés directement impactées en Ouganda ; la société civile en Afrique de l’Est, mais aussi partout dans le monde, unie sous la bannière de la coalition #StopEacop. Le 15 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution d’urgence condamnant également ce projet [4].
« Les associations et les médias sont totalement entravés dans leur travail d’investigation et de documentation du projet EACOP en Tanzanie, du fait d’un important système de surveillance mis en place par les autorités, ce qui a rendu les conditions de cette enquête très difficiles. Cette dernière démontre que loin des regards, les pratiques de Total sont encore plus éloignées des recommandations et des standards internationaux que ce qui a déjà été documenté en Ouganda. Des bords du lac Victoria à l’océan Indien, dans toutes les régions impactées par ce futur oléoduc, les populations affectées font part de leurs sentiments d’impuissance et d’injustice face aux pratiques des promoteurs pétroliers qui bafouent leurs droits les plus fondamentaux » rapporte Thomas Bart, auteur du rapport, qui a réalisé l’enquête de terrain.
La société civile est pratiquement inexistante en Tanzanie et les voix dissidentes sont muselées par le régime. Dans ce contexte, le projet EACOP se développe grâce à l’accaparement systématique des terres des communautés tanzaniennes se trouvant sur le tracé de l’oléoduc : dans ce pays, les terres de près de 62 000 personnes sont touchées [5]. La terre étant leur principal moyen de subsistance, les impacts humains sont dramatiques. De nombreux témoignages compilés dans ce rapport décrivent les étapes de cet accaparement : des communautés non consultées et mal informées, des terres cédées sous la contrainte à un prix injuste, l’interdiction de cultiver librement leurs terres avant même le versement des compensations, lesquelles se font attendre depuis plus de trois voire quatre ans.
Par ailleurs, cette enquête sur la section tanzanienne de l’EACOP met en lumière les menaces que ce projet fait peser sur l’environnement, en particulier au niveau de la côte de l’océan Indien où l’oléoduc terminera son tracé. Total prévoit d’y construire les infrastructures d’exportation du pétrole depuis lesquelles se chargeront les tankers pétroliers. L’océan Indien étant fortement sujet aux risques de tsunami et de cyclones, et ce de façon accrue avec le réchauffement climatique, les risques d’accident pétrolier majeur, affectant irrémédiablement la très riche biodiversité des aires marines protégées de cette zone, sont extrêmement élevés.
Pour Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre France : « Plus encore que l’Ouganda, qui est également sous un régime autoritaire, la Tanzanie est l’exemple même de pays où les multinationales comme Total ne devraient pas s’implanter pour des projets d’une telle envergure, car ils vont irrémédiablement causer de nombreuses violations des droits humains. En plus d’amorcer une bombe climatique, développer ce méga-projet, c’est créer des risques majeurs de marée noire dans l’océan Indien, et Total n’a prévu aucune mesure adéquate pour les éviter ! C’est tout simplement inacceptable : le projet doit être abandonné et les communautés impactées doivent recevoir une réparation ».
Pauline Tétillon, co-présidente de Survie, conclut : « La mobilisation citoyenne dans le monde entier grandit chaque jour contre l’exploitation pétrolière de Total en Ouganda et l’oléoduc EACOP, de nombreuses banques ont renoncé à financer ce projet honteux, le Parlement européen a même demandé sa suspension... Mais pendant ce temps, la situation sur place empire dramatiquement, comme cette enquête en Tanzanie le montre. La bataille judiciaire engagée il y a trois ans doit nous permettre de mettre fin à ces violations et d’empêcher un désastre environnemental ».