Projet EACOP : nouvelle enquête accablante sur les pratiques de Total en Tanzanie

, par Survie

Les Amis de la Terre France et Survie publient aujourd’hui le rapport « EACOP, la voie du désastre » [1], issu d’une enquête de terrain inédite sur le projet d’oléoduc géant de Total en Tanzanie. De nouveaux témoignages font état des mêmes violations des droits humains qu’en Ouganda, mais exacerbées sur certains aspects. Alors qu’une audience sur le fond aura lieu le 12 octobre au tribunal judiciaire de Paris dans le cadre du recours de nos associations contre Total, sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance [2], ce rapport a été versé au dossier judiciaire. Il apporte en effet de nouvelles preuves inédites des coûts humains, climatiques et environnementaux inacceptables de ce méga-projet pétrolier.

Alors que les ravages environnementaux et humains du projet EACOP ont déjà été largement documentés en Ouganda [3], il est presque impossible pour des associations ou des journalistes d’enquêter en Tanzanie tant les pressions des autorités sont fortes. Pourtant, les deux-tiers du tracé de cet immense oléoduc chauffé doivent traverser ce pays, pour acheminer le pétrole brut extrait en Ouganda jusqu’au port de Tanga en Tanzanie, d’où il sera exporté. Le rapport « EACOP, la voie du désastre » par les Amis de la Terre France et Survie est donc inédit.

Il vient s’ajouter aux multiples voix qui dénoncent déjà le méga-projet pétrolier de Total et réclament son abandon : les communautés directement impactées en Ouganda ; la société civile en Afrique de l’Est, mais aussi partout dans le monde, unie sous la bannière de la coalition #StopEacop. Le 15 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution d’urgence condamnant également ce projet [4].

« Les associations et les médias sont totalement entravés dans leur travail d’investigation et de documentation du projet EACOP en Tanzanie, du fait d’un important système de surveillance mis en place par les autorités, ce qui a rendu les conditions de cette enquête très difficiles. Cette dernière démontre que loin des regards, les pratiques de Total sont encore plus éloignées des recommandations et des standards internationaux que ce qui a déjà été documenté en Ouganda. Des bords du lac Victoria à l’océan Indien, dans toutes les régions impactées par ce futur oléoduc, les populations affectées font part de leurs sentiments d’impuissance et d’injustice face aux pratiques des promoteurs pétroliers qui bafouent leurs droits les plus fondamentaux  » rapporte Thomas Bart, auteur du rapport, qui a réalisé l’enquête de terrain.

La société civile est pratiquement inexistante en Tanzanie et les voix dissidentes sont muselées par le régime. Dans ce contexte, le projet EACOP se développe grâce à l’accaparement systématique des terres des communautés tanzaniennes se trouvant sur le tracé de l’oléoduc : dans ce pays, les terres de près de 62 000 personnes sont touchées [5]. La terre étant leur principal moyen de subsistance, les impacts humains sont dramatiques. De nombreux témoignages compilés dans ce rapport décrivent les étapes de cet accaparement : des communautés non consultées et mal informées, des terres cédées sous la contrainte à un prix injuste, l’interdiction de cultiver librement leurs terres avant même le versement des compensations, lesquelles se font attendre depuis plus de trois voire quatre ans.

Par ailleurs, cette enquête sur la section tanzanienne de l’EACOP met en lumière les menaces que ce projet fait peser sur l’environnement, en particulier au niveau de la côte de l’océan Indien où l’oléoduc terminera son tracé. Total prévoit d’y construire les infrastructures d’exportation du pétrole depuis lesquelles se chargeront les tankers pétroliers. L’océan Indien étant fortement sujet aux risques de tsunami et de cyclones, et ce de façon accrue avec le réchauffement climatique, les risques d’accident pétrolier majeur, affectant irrémédiablement la très riche biodiversité des aires marines protégées de cette zone, sont extrêmement élevés.

Pour Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre France : « Plus encore que l’Ouganda, qui est également sous un régime autoritaire, la Tanzanie est l’exemple même de pays où les multinationales comme Total ne devraient pas s’implanter pour des projets d’une telle envergure, car ils vont irrémédiablement causer de nombreuses violations des droits humains. En plus d’amorcer une bombe climatique, développer ce méga-projet, c’est créer des risques majeurs de marée noire dans l’océan Indien, et Total n’a prévu aucune mesure adéquate pour les éviter ! C’est tout simplement inacceptable : le projet doit être abandonné et les communautés impactées doivent recevoir une réparation ».

Pauline Tétillon, co-présidente de Survie, conclut : « La mobilisation citoyenne dans le monde entier grandit chaque jour contre l’exploitation pétrolière de Total en Ouganda et l’oléoduc EACOP, de nombreuses banques ont renoncé à financer ce projet honteux, le Parlement européen a même demandé sa suspension... Mais pendant ce temps, la situation sur place empire dramatiquement, comme cette enquête en Tanzanie le montre. La bataille judiciaire engagée il y a trois ans doit nous permettre de mettre fin à ces violations et d’empêcher un désastre environnemental ».

Lire l’article original sur le site de Survie

Notes

[1Le rapport « EACOP : la voie du désastre » est disponible ici.

[2Suite à la décision de la Cour de cassation de décembre 2021, rejetant la compétence du tribunal de commerce, le fond de l’affaire sera enfin examiné : l’audience aura lieu le mercredi 12 octobre à 9h, au tribunal judiciaire de Paris.

[3Sur l’Ouganda, voir la précédente enquête des Amis de la Terre France et Survie, « Un cauchemar nommé Total », et les reportages de journalistes tels que ceux du Monde ou de La Croix.

[4La résolution du Parlement européen est disponible ici. Voir également notre communiqué de presse sur son adoption.

[5Au total, les projets Tilenga et EACOP de Total affectent les terres de plus de 118 000 personnes en Ouganda et en Tanzanie. Voir le tableau détaillé du nombre de personnes affectées.

Commentaires

Cet article a été publié initialement sur le site de Survie, le 5 octobre 2022.