Les paradoxes du Mexique

Pouvoir politique et cartels mafieux : une violence généralisée

, par CIDES

De la répression des révoltes aux exactions liées au narcotrafic, des féminicides quotidiens aux assassinats de personnalités politiques ou de journalistes, la violence est omniprésente au Mexique, considéré comme le 3ème pays le plus dangereux du monde, selon le Democracy Index 2023.
Les assassinats politiques sont particulièrement nombreux : 28 candidat·es ont été assassiné·es à l’occasion des élections de 2024 et 44 journalistes ont été assassiné·es ces 5 dernières années. Au-delà des multiples homicides, le Mexique figure au 95ème rang du classement Human Freedom Index 2023, en ce qui concerne l’État de droit, la sécurité et le système juridique, ainsi que la liberté d’expression et l’information [1].
La période de 1965 à 1990, période dénommée « la sale guerre » a été marquée par une répression très violente, dans une logique de guerre contre-insurrectionnelle où l’État a eu recours aux tortures, persécutions et assassinats contre ses supposé·es ennemi·es. Plus de 100 000 personnes ont disparu, et il existe 234 collectifs de « Madres Buscadoras » (mères chercheuses) qui utilisent les réseaux sociaux pour tenter de retrouver la trace de leurs proches disparu·es. Une enquête judiciaire a révélé, 50 ans après les faits, que l’armée avait fait disparaître les corps d’au moins 270 opposant·es exécuté·es, en les jetant à la mer depuis un avion.
L’un des épisodes les plus tragiques est le massacre des étudiant·es de Tlatelolco en 1968, qui aurait fait au moins 325 mort·es, des centaines de blessé·es et des milliers de détenu·es. La présidente Claudia Sheinbaum a consacré sa première conférence le 2 octobre 2024 à la commémoration de ce massacre et a signé un engagement pour rendre hommage à ces jeunes qui manifestaient en faveur d’un pays plus démocratique. Le secrétaire d’État à l’Intérieur a présenté des excuses publiques pour ce crime contre l’humanité, dont les responsables n’ont toutefois jamais été sanctionnés [2].
Le président Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a créé, en 2021, un organisme indépendant, le Mécanisme pour la vérité et l’éclaircissement historique (MEH) pour faire la lumière sur cette période. Mais la publication du rapport prévue en septembre 2024 a été largement censurée, au prétexte que les historien·nes auraient « enquêté sur des violations des droits humains qui n’étaient pas nécessairement liées à la violence d’État dans le cadre de la contre-insurrection ». Le ministère de l’Intérieur n’a retenu que les violences commises contre les communautés autochtones, les journalistes et les organisations politiques, alors que les mêmes méthodes ont été utilisées contre toutes les formes de dissidences : collectifs urbains, homosexuel·les et transsexuel·les, réfugié·es d’Amérique centrale, etc. [3]

L’influence des cartels de la drogue

L’une des sources de la violence politique est l’omniprésence des cartels de la drogue (une quinzaine de cartels et plus de 300 gangs locaux) et leur intrication avec le pouvoir politique.
Les cartels représentent un véritable État dans l’État, avec une organisation à la fois économique quasi industrielle et militaire, qui a pris une nouvelle ampleur depuis quelques années avec l’apparition du fentanyl. Trente fois plus forte que l’héroïne, cette drogue de synthèse cause chaque année des dizaines de milliers de mort·es aux États-Unis, où elle est devenue la première cause de décès évitable chez les 18-45 ans. Les produits de base sont importés principalement de Chine, avant d’être transformés en pastilles dans de multiples petits laboratoires clandestins.
Les cartels se livrent une guerre sans merci (plus de 300 000 mort·es depuis 2007, plus de 34 000 pendant l’année 2020) pour contrôler les routes approvisionnant les États-Unis, premier consommateur mondial de drogue, et cherchent pour cela des protections politiques, avec la stratégie « plata o plomo » (de l’argent ou du plomb) : accepter des pots-de-vin ou recevoir une balle. Lors de la campagne électorale de 2021 (renouvellement des 500 député·es, de 15 des gouverneur·es et plus de 20 000 responsables locaux·ales), 143 hommes et femmes politiques ont été assassiné·es, sans compter les agressions et menaces contre des candidat·es.
Après 70 ans de règne de 1929 à 2000 et de 2012 à 2018 du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), la victoire d’AMLO en 2018 avec 53 % des voix s’explique en partie par la volonté des Mexicain·es de « rompre avec la mafia au pouvoir ». De nombreux scandales ont en effet concerné des hommes politiques accusés de blanchiment d’argent, enrichissement illicite et fraude électorale. Au plus haut niveau de l’État, c’est par exemple Genaro Garcia Luna, ex-ministre de la Sécurité publique (2006-2012) considéré comme le « tsar » antidrogue, qui a été arrêté au Texas pour avoir assuré l’impunité à l’un des principaux cartels de la drogue, moyennant plusieurs dizaines de millions d’euros.
Le président AMLO, de 2018 à 2024, a prôné une « pacification du pays » en remplaçant la guerre contre les cartels par une politique de prévention des délits et de baisse de la pauvreté. Mais la violence des cartels reste considérable et généralement impunie. Le mandat d’AMLO est surtout marqué par un nombre considérable d’homicides et de « disparitions » (en moyenne 26 disparitions par jour selon les organisations de la société civile qui luttent contre l’impunité) [4].
D’après l’organisation Educa Oaxaca, au moins 225 défenseur·es des droits humains et des territoires ont été victimes d’agressions (disparitions, homicides et exécutions extrajudiciaires) depuis 2018 ; dans 42 cas, l’État mexicain aurait commis des exécutions extrajudiciaires. Les défenseur·es autochtones et paysan·es sont particulièrement visé·es [5].
L’une des premières décisions de la présidente Claudia Sheinbaum a été de nommer au poste de ministre de la Sécurité fédérale Omar Garcia Harfuch, policier qui avait réussi à réduire la criminalité dans la capitale, Mexico, lorsqu’elle en était maire. Son ambition est de « renforcer l’aptitude des polices locales et des parquets des 32 États de la République ». Mais cette nomination est sujette à controverse à cause du passé d’Omar Garcia Harfuch, qui dirigeait notamment la police fédérale dans l’État de Guerrero lors de la disparition de 43 étudiant·es de l’école normale d’Ayotzinapa, à Iguala.