Pour une autre conception du développement

, par FOUCHER Marilza de Melo

 

Ce texte, publié originellement en portugais par Le Monde Diplomatique Brésil, a été traduit par Isabel Moreira da Silva, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

« Le développement territorial intégré et durable exige une démocratie participative » affirme l’auteur. Pour elle, une année d’élections est l’occasion de démystifier les concepts et penser à des solutions durables.

Constat d’échec : tout n’est pas possible !

Le paradoxe des grandes nations considérées comme développées était de se sentir investies de la mission collective de reconstruire un monde qu’elles avaient détruit par leurs guerres fratricides. Pour autant, cette mission n’a pas aidé les nations dites développées à construire un monde plus solidaire. En faisant des connaissances scientifiques et technologiques une puissante arme commerciale et en se consacrant désormais à monopoliser le pouvoir économique, elles imposèrent aux régions considérées par eux « attardées » ou « sous-développées » un modèle occidental de développement purement économique. L’économie devient tellement déterminante que les idéologies des XIXe et XXe siècles vont partager la même base culturelle que le libéralisme économique, la nature et l’être humain seront traités comme facteur de production, les biens fondamentaux comme la terre, l’air, l’eau, les forêts et la vie ne verront pas leur valeur écologique reconnue.

Au long des siècles, le capitalisme s’est étendu en exportant un type de développement qui dégrade et épuise les ressources naturelles, détruit les relations sociales, sans tenir compte de la spécificité culturelle ni des dynamiques locales des pays dits sous-développés. Les inégalités sociales, l’augmentation de la pauvreté, les différences de revenu entre les pays, la dégradation des écosystèmes ruraux et urbains, deviennent les indicateurs de l’échec des politiques développementistes.

Au lieu de créer une coopération basée sur la solidarité entre les peuples, sur l’autonomie dans le choix de son propre développement, les grandes puissances imposent leurs propres règles. Le pouvoir économique va subordonner les droits sociaux et politiques au droit commercial, la vie privée se transforme en marchandise, et l’être vivant est breveté. Les pays riches continueront à payer des licences pour polluer. Force est de constater que tout n’est pas possible.

Le mea culpa des grandes puissances

Aujourd’hui, la réalité de notre planète Terre est la preuve que le développement économique a dépassé ses propres limites. Il est devenu globalement inadapté, et se transforme en menace pour l’environnement, entraînant la désertification et provoquant la faim de milliards d’êtres humains.

L’organisation des Nations unies, le principal organisme investi de la mission d’assurer la paix mondiale et de restructurer le monde sur la base de la coopération internationale, devrait aussi avoir pour mission de résoudre pacifiquement les problèmes d’ordre économique, social, culturelle et humanitaire. Malgré plus de 500 réunions au sommet de présidents et premiers ministres, d’innombrables conventions internationales, les instances liées à l’ONU n’ont pas réussi jusqu’à ce jour à changer les règles d’une globalisation excluante.

L’espace de décision des Nations unies, restreint aux grandes puissances, sera à coup sûr une excellente tribune pour les acteurs globaux quand il s’agira de promouvoir un nouveau concept de développement durable. Cette fois, l’économie devra se concilier avec le social et l’environnement.

Confrontés aux catastrophes économiques et écologiques et face à la mobilisation croissante de l’opinion publique internationale sur les questions d’environnement, les partisans de la croissance économique durable, reconvertis en écologistes, viendront présenter leurs nouvelles recettes et définir un paradigme de développement en apparence nouveau. C’est ainsi que naîtra une illusion de durabilité du développement, couronné de bonne volonté politique. Mais concrètement, que font les grandes puissances font pour sortir d’une conception purement économiciste du développement ? Pourquoi les pays qui conduisent la gouvernance mondiale ne prennent-ils pas en compte la dette financière et la dette écologique qu’ils ont laissé proliférer dans les pays du Sud ? Je laisse cette réflexion au lecteur.

Perspectives de gouvernance fondée sur un développement territorial intégré et solidaire pour le Brésil. Défi possible ?

La question du développement durable, objet de tant d’articles et de projets, est pleine de contradictions. Beaucoup se la sont appropriés, mais n’ont pas pris la peine de réfléchir à ces contradictions pour pouvoir agir de manière cohérente et inventer une nouvelle pratique afin de changer la réalité dans laquelle nous vivons. Comment construire des projets durables de développement ?

Tout d’abord, quand on élabore un programme, un plan, on assigne différents niveaux de priorité aux projets et activités qui seront mis en œuvre tout au long des années. De ce fait, il est nécessaire que tous les projets et activités soient pensés, élaborés et appliqués de façon globale et articulée. Articulés entre la sphère fédérale, estatuale et municipale, mais aussi articulés sectoriellement, et avec un accompagnement coordonné entre les trois pouvoirs. On évitera ainsi une vision sectorielle du développement. Par exemple, la culture, l’environnement et l’économie doivent être traités conjointement.

Il faut imaginer le fonctionnement d’un écosystème. Dans les écosystèmes, tout interagit, tout est effet et cause. Il en va de même de l’intervention humaine dans le champ du développement : les questions locales ne se dissocient pas des questions globales, elles sont interconnectées. Dans un espace géographique, il n’existe pas seulement des biens et une circulation de marchandises ; il y a aussi des acteurs, des citoyens ayant le droit d’exercer pleinement leur citoyenneté, et le milieu naturel. Les citoyens et leurs communautés ne sont pas seulement des consommateurs dans un monde de marchés et des services publics. Chaque citoyen doit être responsable de la préservation de la nature ainsi que du bon fonctionnement de l’État. Quand nos revendiquons nos droits, nous devons également considérer que nous avons des devoirs dans le cadre de la république brésilienne. Comment organiser un nouveau mode de développement dans un espace territorial sans toucher à la trame du pouvoir ?

Le développement territorial intégré et durable exige une démocratie participative. La démocratie représentative sera renforcée par la participation de la société civile organisée. Il revient aux acteurs locaux du développement (communautés autogestionnaires, entités coopératives et associatives, entreprises, universités, centres de recherche, mouvement sociaux et entités étatiques et para-étatiques) d’activer les réseaux de dialogue et de contrôle social conjointement aux gouvernements (municipal, d’État et fédéral).

Afin de viabiliser cette forme politique innovatrice de gouvernance, l’idéal serait de former les leaders sociaux et politiques, les hauts fonctionnaires et les dirigeants pour les éduquer à l’exercice du pouvoir. Si on tient compte de ce que la société brésilienne a été, pendant des siècles, caractérisée par une structure autoritaire de pouvoir, les gouvernants ont bloqué la participation et la création des droits. D’où l’exigence de changer notre rapport avec le pouvoir, et un programme d’éducation à l’exercice du pouvoir pourrait être de nature à créer les bases d’une nouvelle gouvernance.

La bureaucratie brésilienne n’a jamais été une forme d’organisation au sens où elle aurait facilité le fonctionnement de la machine d’Etat. Au contraire, elle instaure une forme de pouvoir hautement hiérarchisée, avec une chaîne de commandement, où ceux qui se trouvent au niveau supérieur détiennent les connaissances, lesquelles doivent demeurer inconnues de leurs subordonnés, sous lesquels se trouvent également d’autres subalternes. Privés des connaissances, ils n’innovent pas, et ne font pas preuve de créativité ; ils ont été engagés pour obéir aux ordres des échelons supérieurs. Cet ainsi que s’est caractérisé le pouvoir des hauts fonctionnaires publics, dans une logique selon laquelle celui qui détient le savoir, détient aussi le pouvoir.

Plus le peuple est ignorant, plus il est facile de le manipuler. Le pouvoir bureaucratique exercé par la hiérarchie n’a rien de comparable avec le pouvoir démocratisé, dans lequel le citoyen fonctionnaire agit en fonction de l’égalité des droits et devient un défenseur du bon fonctionnement de la machine d’État et d’une entreprise à finalité publique. Cette conception de la bureaucratie, malheureusement, s’est également enracinée dans certains partis politiques.

Dans l’histoire politique du Brésil, le pouvoir a été pratiqué comme une forme de tutelle et de faveur, sans médiations politiques ou sociales. Le gouvernant est toujours celui qui détient le pouvoir, la connaissance sur la loi et sur le social, privant les gouvernés de connaissances, et créant ainsi une relation clientéliste un régime de faveur. L’utilisation abusive de la machine publique a amené l’État brésilien à la faillite, et le pari aujourd’hui est de restaurer un véritable État démocratique et citoyen compatible avec un mode de développement territorial intégré fondé sur la durabilité environnementale, sociale, politique, culturelle et économique. En ce sens, un mode de développement novateur, reposant sur une vision intégré de la réalité, requiert un changement d’attitude, un changement dans la manière de faire de la politique. Il requiert un système d’éducation compatible avec ce défi.

Malgré les avancés que nous avons connues cette dernière décennie, avec les deux mandats du gouvernement Lula, la marche vers les changements structurels est longue … Malheureusement, certains courants de la gauche brésilienne ne se sont pas encore aperçus qu’il est impossible de séparer l’écologie du mode de développement. Actuellement, dans le milieu politique, prédomine encore une conception économiciste du développement. Il suffit d’écouter les discours de la plupart des gouvernants, la difficulté qu’ils ont de planifier à court, moyen et long terme dans le cadre d’une vision plus intégré du développement sur un espace territorial donné.

Une période électorale est toujours un moment propice pour compter ses forces et exiger des candidats un engagement pour le bien-être des générations à venir et pour le futur de notre planète Terre. Nous devons nous mobiliser pour que le Brésil soit le protagoniste d’un autre mode de développement, qui diminue les inégalités encore présentes dans les régions brésiliennes, conciliant croissance économique et respect des écosystèmes. La protection sociale et environnementale sont les deux revers de la même médaille. Nous devons nous mobiliser pour que le combat initié par le président Lula, contre la pauvreté se poursuive. Nous devons également nous mobiliser pour que l’État assume son rôle régulateur afin de garantir la qualité des services publics, particulièrement dans les secteurs de l’éducation et de la santé.

Dilma, candidate de Lula, est-elle disposée à faire face à ce défi ? Nous n’allons pas laisser l’écologie politique dans les mains des conservateurs, des naturalistes illuminés, qui sûrement utiliseront la question environnementale comme prétexte pour gagner les élections. Nous devons nous battre pour que cette autre conception du développement territorial intégré soit embrassée et défendue par Dilma ou par quiconque sera élu. Maintenant que le Brésil est respecté comme grande nation sur la scène internationale et invité à la table de négociations des organismes multilatéraux, il doit donner l’exemple de ce qu’un autre développement est possible.