Après deux décennies (1980-2000) de violences politiques qui ont fait des milliers de morts et de disparus, le Pérou connaît l’un des plus forts taux de croissance en Amérique latine depuis le début des années 2000 : environ 8 % par an en moyenne. Les revenus tirés de l’industrie minière sont importants, représentant 60 % des exportations du pays.
Pour autant, cette croissance ne bénéficie pas à tous, dans un pays où les inégalités économiques et sociales restent très marquées. Sur 30 millions d’habitants, 10 millions vivent sous le seuil de pauvreté, avec des pics de 60 % de la population en situation d’extrême pauvreté dans certaines régions andines du pays.
Violences politiques et conflit interne
Entre 1980 et 2000, les Péruviens ont vécu deux décennies de conflits internes ayant entraîné la mort ou la disparition de près de 70 000 personnes, victimes d’attaques des guérillas d’extrême gauche (le Sentier lumineux et le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru) et aussi de la répression exercée par les forces de sécurité de l’Etat péruvien. Principales victimes de ces violences, les populations amérindiennes des régions andines ont payé un lourd tribut à ce conflit interne, « coincées » entre la violence des mouvements révolutionnaires et les actions « contre-subversives » de l’armée péruvienne, principale responsable des disparitions forcées dans tout le pays.
Après la défaite des mouvements révolutionnaires, en juin 2001, une Commission vérité et réconciliation est créée au Pérou, avec pour mission de faire la lumière sur les violences perpétrées pendant ces deux décennies, notamment par le mouvement maoïste du Sentier lumineux et par les forces de sécurité de l’Etat péruvien. Un processus de réconciliation est alors engagé, à travers des enquêtes et des auditions publiques qui ont conduit à la publication d’un rapport en 2003.
Aujourd’hui encore, la société et la vie politique péruviennes restent profondément marquées par cette période. Les principaux acteurs de cette période restent emprisonnés, tel le leader du Sentier lumineux Abimael Guzmán et le président de la République péruvienne de 1990 à 2000, Alberto Fujimori, condamné en 2009 pour crimes contre l’humanité.
Des inégalités sociales et économiques très fortes
Le Pérou est l’un des pays d’Amérique latine où les contrastes sociaux et économiques sont les plus forts. Les populations d’Amazonie et des régions andines sont particulièrement touchées par l’extrême pauvreté, dans un pays où la richesse est historiquement et structurellement concentrée entre les mains d’une minorité qui détient tous les leviers des pouvoirs politiques et économiques.
Selon les chiffres de l’INEI Pérou (Institut national de statistiques et d’informatique) concernant l’année 2014, la pauvreté touche 21 % de la population globale, avec un pourcentage atteignant 45,2 % en zones rurales. Sociologiquement, la pauvreté touche majoritairement les populations autochtones, qui composent près de la moitié de la population totale du Pérou. Concentrées dans les régions andines et amazoniennes, elles s’organisent de plus en plus pour faire reconnaître leurs droits et défendre leur identité.
Un modèle de développement basé sur l’industrie extractive
Depuis 20 ans, le Pérou est devenu une destination privilégiée des investisseurs internationaux dans le domaine de l’industrie extractive. Premier producteur mondial d’argent, second producteur mondial de cuivre et de zinc et sixième producteur mondial d’or, le Pérou a développé depuis le début des années 90 un cadre juridique très favorable afin d’attirer les investisseurs étrangers.
Ce choix de développement basé sur un modèle extractiviste s’est réalisé au prix de la mise en concession de millions d’hectares au bénéfice d’entreprises multinationales et au mépris du droit à la santé et à un environnement sain pour les populations. Résultat :le Pérou est un pays en proie à près de 150 conflits sociaux, dont plus de la moitié concerne l’environnement. Les communautés se mobilisent pour dénoncer le non-respect de leurs droits et le mépris de leur dignité par des multinationales avides de profits rapides. Le cas du projet Conga mené par l’entreprise Yanacocha pour l’extraction d’or à Cajamarca (au nord du Pérou) est le plus emblématique de cette confrontation.
Par ailleurs, le développement et l’équilibre du pays sont menacés par l’implantation du narco-trafic dans les zones du pays particulièrement touchées par la pauvreté et où l’Etat est généralement absent.
Humala : l’expérience décevante d’un gouvernement « progressiste »
Elu en juin 2011 face à Keiko Fujimori, fille du président Alberto Fujimori et candidate des milieux d’affaires, Ollanta Humala Tasso est un militaire péruvien au discours résolument nationaliste qui a basé sa campagne sur le thème de l’inclusion sociale. Il a également axé ses propositions vers la lutte contre la corruption qui gangrène le pays depuis des décennies et pour une réforme du secteur minier afin que les droits des populations soient respectés.
Mais son mandat laisse un goût amer. Dans un contexte de ralentissement de la croissance économique, le président Humala a suscité un mécontentement grandissant face à la montée de la délinquance, au développement du narco-trafic et à la résurgence locale de groupes du Sentier lumineux. Il a, par ailleurs, pris des mesures en faveur du développement du secteur minier, continuant à favoriser l’investissement privé sans l’assortir de mesures de protection, notamment sur le plan de la défense de l’environnement. Les actions de protestation ont été réprimées de manière brutale, causant la mort de nombreux manifestants et l’emprisonnement de leaders syndicaux et politiques.
Un virage conservateur
Lors des élections législatives au printemps 2016, le parti Fuerza Popular de l’ancien président Alberto Fujimori, actuellement en prison pour crimes contre l’humanité et corruption, a obtenu la majorité au Congrès. Ces élections, comme l’élection présidentielle, ont été caractérisées par de nombreuses irrégularités. M. Kuzcynski, qui a été élu président le 5 juin 2016, n’a pas un programme très différent de celui de Mme Fujimori qu’il a battue à une courte majorité, au deuxième tour. Il est le représentant d’une droite réactionnaire et soutient les politiques extractivistes, les grands projets et le secteur privé.
Le Pérou est sans aucun doute un cas emblématique d’un pays dont la croissance n’est pas accompagnée d’un développement pour tous. Dans un contexte où la demande de justice sociale et politique reste forte, cet élément peut remettre en cause l’équilibre fragile sur lequel repose ce pays.