Du Nord au Sud : pêcher pour vivre

Pêcher pour vivre

, par CRISLA

Gestion des ressources halieutiques

La gestion des ressources halieutiques est devenue une préoccupation majeure dans les années 1990, avec la prise de conscience d’une stagnation des captures à l’échelle mondiale et, parfois, de son effondrement sur des stocks particuliers (morue, thon rouge…) localisés.

Mauritanie. Photo Ferdinand Reus, 2012

Cette gestion est aussi fortement marquée par deux logiques.

Une logique libérale tend à s’imposer dans de nombreux pays du Nord et même du Sud, avec les quotas transférables.

D’autres défendent une approche communautaire et participative plus favorable aux pêcheurs artisans et qui ne peut être basée sur une simple logique économique.

La gestion de la ressource n’est pas seulement une question de respect de l’environnement, c’est aussi une question sociale de partage de l’accès à une ressource commune.

C’est donc une affaire d’une grande complexité s’appliquant à une réalité très instable. Cette complexité est encore accrue si l’on s’engage dans la voie d’une gestion écosystémique.

Environnement marin et côtier

Le littoral constitue un milieu complexe, interface entre la mer et le continent. Il en résulte des capacités productives extraordinaires dans certains milieux particuliers comme les marais maritimes, les mangroves ou les coraux. Les eaux côtières sont aussi les plus productives.

Le littoral subit une pression croissante essentiellement à partir de la terre. Urbanisation, développement du tourisme, des ports, de l’aquaculture [1], les activités sur le littoral se développent rapidement et menacent non seulement la qualité du milieu mais ses capacités productives, car les aménagements divers détruisent les milieux de manière irréversible.

En défendant la pêche, les pêcheurs sont souvent les meilleurs défenseurs de l’environnement marin et côtier.

Il ne faut pas oublier en effet que la pollution d’origine terrestre est à l’origine de l’effondrement de la vie marine dans de nombreuses zones où l’oxygène se raréfie ou disparaît (30 % de la baltique).

S’y ajoutent les effets du changement climatique : le plancton, base de la vie marine, a diminué de 40%, depuis 1950, dans l’hémisphère nord.

Dans un tel contexte, la création des Aires Marines Protégées (AMP) est présentée comme un outil indispensable pour préserver à la fois la pêche et la biodiversité. Mais comment concilier ce double objectif si les AMP sont d’abord considérées comme des réserves interdites à la pêche ?

Politique Commune des Pêches (PCP) et accords de pêche

La politique européenne des pêches (Politique Commune des Pêches) est gérée au niveau européen comme la PAC (Politique Agricole Commune).

Cette politique définit des orientations et assure la gestion des quotas.
C’est aussi au niveau européen que sont menées les négociations internationales.
Ceci concerne en particulier les accords de pêche [2] avec les pays tiers (non membres de l’Union Européenne), comme la Norvège ou surtout les pays ACP [3].

Depuis la création des ZEE (Zones Economiques Exclusives) en 1982, par la convention sur les droits de la mer, les bateaux européens ne peuvent plus pêcher dans les ZEE des pays tiers sans négocier au préalable un accord pour accéder aux ressources. Les accords s’élargissent aujourd’hui à l’Amérique Latine.

Aquaculture

L’aquaculture assure et va assurer une part croissante de l’approvisionnement en produits de la mer, du fait des limites physiques des ressources de pêche.

Elle assure aujourd’hui 50 % des disponibilités alimentaires en produits de la mer.

La question se pose toutefois du type d’aquaculture à privilégier car une bonne partie de la production aquacole est basée sur des poissons et crustacés carnivores, dont l’alimentation nécessite une part importante de farine de poisson issue de la pêche.
Plus de 40 % des captures mondiales sont ainsi transformées en farine et huile.

Il existe d’autres formes d’aquaculture qui fonctionnent sur la base de la production primaire des eaux douces ou marines, ou sur la valorisation des déchets.

Certaines formes d’aquaculture (saumon, crevettes) participent à la dégradation des zones littorales : destruction de mangrove et pollution des littoraux.

Commerce international des produits de la mer

La pêche est une activité largement mondialisée et depuis longtemps.
Actuellement 40% des débarquements rentrent dans les circuits du commerce mondial, contre 10% pour les produits agricoles, encore largement encadrés.

Globalement, le Sud est de plus en plus fournisseur du Nord (80% des exportations du Sud vont vers des marchés du Nord).

Comment garantir que ce commerce ne va pas mettre en péril les ressources halieutiques et les disponibilités alimentaires des pays du Sud ?

Comment garantir l’équité quand de nombreux pays du Nord subventionnent leur flotte de pêche, surtout le secteur industriel ?

Des ONG d’environnement et des multinationales cherchent à promouvoir des écolabels et des normes sanitaires drastiques.
Les pêcheurs artisans du Sud peuvent-ils bénéficier de cette approche ?

Organisations professionnelles, soutien aux pêcheurs

Les organisations de pêcheurs disposent de structures traditionnelles qui leur ont permis de survivre, de gérer leurs territoires maritimes et leurs conflits.

La modernisation des pêches et des sociétés a souvent affaibli ou même fait disparaître ces anciennes structures.

Cependant d’autres ont émergé, de nature économique comme les coopératives, mais aussi de nature syndicale.
Elles ont cherché à regrouper les pêcheurs et artisans à petite échelle pour leur permettre de réagir face à la crise, à l’implication croissante de l’Etat dans leurs activités, au développement des pêches industrielles et de l’aquaculture.
Elles ont cherché à s’organiser à l’échelle internationale en regroupant artisans du Nord et du Sud.

Ce processus est long et difficile ; il est appuyé par quelques ONG et un réseau d’appui basé en Inde.

La FAO, en 2008, a reconnu l’importance de la pêche artisanale et de la pêche à petite échelle.

Femmes dans la pêche

Les analyses de genre ont contribué, dans les années 90 à modifier le regard sur le monde de la pêche.

Perçu exclusivement comme un monde d’hommes, si on s’intéresse à la capture, le monde de la pêche apparaît dans la complexité d’une société littorale ou d’une communauté de pêcheurs où les femmes jouent un rôle majeur pour assurer la pérennité de l’activité.

Les femmes participent aux activités de préparation des engins de pêche, de gestion du bateau, de transformation, de commercialisation ; elles assument aussi la gestion de la cellule familiale.

Ces constats ont débouché sur la revendication de représentation des femmes de pêcheurs dans les organisations et structures professionnelles.

Droits sociaux et humains dans la pêche

La pêche reste une des activités la plus dangereuse dans le monde.
La reconnaissance des droits sociaux dans une activité difficile à contrôler est un vrai défi.
Il faut aussi tenir compte du caractère artisanal et souvent familial de l’activité.
L’OIT a adopté en 2007 une convention sur le travail dans la pêche qui constitue un outil important. Il reste à la faire appliquer.

Au delà de ces droits concernant le travail, il reste un long chemin à parcourir pour faire bénéficier l’ensemble des communautés de pêcheurs de l’ensemble des droits humains : éducation, santé, logement, etc.

Notes

[1Élevage d’animaux ou de plantes aquatiques. Selon les espèces, on parle d’algoculture (culture d’algues), conchyliculture (coquillages), crevetticulture (crevettes), ostréiculture (huîtres), salmoniculture (saumon), etc.

[2Accord signé entre l’Union européenne et des pays tiers, permettant aux navires européens de pêcher dans les eaux territoriales des seconds en contrepartie de compensations financières, commerciales, etc.

[3États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique qui ont signé avec l’Union Européenne les accords de coopération de Lomé