Tout scientifique peut se trouver face à un fait méconnu, susceptible d’être dangereux pour l’homme ou son environnement. Il devient lanceur d’alerte s’il décide de le porter au regard de la société et des pouvoirs publics. Biologiste mexicaine, Elena Alvarez-Buylla est l’une d’entre eux.
Au cours de leurs recherches, les scientifiques font parfois des découvertes, qui s’avèrent susceptibles d’être dangereuses pour l’homme ou son environnement. Allant à l’encontre des intérêts de leurs commanditaires ou des personnes qui les entourent, ces chercheurs devraient pouvoir rendre publiques leurs découvertes en toute liberté et en toute sécurité en vue d’alerter les décideurs politiques et l’opinion publique. Or, la réalité est bien plus complexe.
Elena Alvarez-Buylla, biologiste et spécialiste en génétique des populations à l’Institut d’écologie de l’Université nationale autonome du Mexique (Unam), travaille sur la propagation des gènes transgéniques vers les variétés locales. Elle étudie plus précisément la contamination des maïs traditionnels par des maïs OGM dans le sud du Mexique. Ses travaux visent la prévention des risques biotechnologiques sur le trésor de biodiversité que représentent les centaines d’espèces indigènes de maïs.
En 2008, Elena conduit une étude moléculaire qui établit la présence de gènes provenant d’organismes génétiquement modifiés (OGM) dans les variétés de maïs traditionnels cultivées dans le sud du Mexique. Cette étude vient conforter des résultats obtenus sept ans plus tôt par deux chercheurs de l’Université de Berkeley (Californie), David Quist et Ignacio Chapela. Déjà à l’époque, les conclusions de leur étude avaient été sévèrement critiquées, leurs travaux désavoués et les scientifiques victimes d’une campagne de dénigrement. Ce qui fait dire à Ignacio Chapela qu’« un lanceur d’alerte est juste un chercheur comme les autres qui se trouve au mauvais endroit au mauvais moment ».
Mais préoccupée par la portée sociale et environnementale de sa découverte, Elena prend position : elle devient lanceur d’alerte. La publication de son étude dans Molecular Ecology, la revue scientifique de référence, a été lourde de conséquences : « On a clairement essayé de freiner la diffusion de ces données scientifiques », affirme-t-elle, rappelant qu’il lui a fallu deux ans de discussions pour obtenir la publication des résultats. Entre autres conséquences de sa « témérité », elle mentionne « un coût élevé en termes d’investissements personnels, représentant une importante perte de temps qui aurait pu être consacré à ma carrière ou à ma vie privée ». Comme ses prédécesseurs, elle subit également une importante campagne de dénigrement via la publication d’articles de presse diffamatoires la ciblant elle et son équipe de recherche. « Je dois aujourd’hui consacrer beaucoup de temps à me disculper, alors que ce temps pourrait me servir à écrire plus d’articles scientifiques ».
Aujourd’hui encore, elle rencontre d’énormes difficultés pour obtenir des financements, notamment de la part du Conacyt, le Conseil mexicain pour la science. « J’ai réussi à maintenir un niveau élevé de publications dans de prestigieuses revues scientifiques, mais l’effort demandé est aujourd’hui deux fois supérieur à ce qu’il aurait été si je n’avais pas été impliquée dans cette affaire liée aux OGM et à mon positionnement au sein de l’UCCS1 ». Mais elle ne regrette rien, convaincue de la justesse de sa démarche. Comme le rappelle Ignacio Chapela : « Le travail d’un lanceur d’alerte n’est jamais aussi bon que quand la société a la volonté de l’entendre, d’apprécier et de protéger le délicat message et son messager ».
1 Union des scientifiques engagés socialement dont le but est de favoriser une réflexion approfondie et d’émettre des avis fondés sur la relation entre la science et la société.