Croissance/décroissance : une polémique à dépasser

Ouvrir d’autres chemins

, par CDTM 34

Parmi les tenants de la décroissance on ne trouve pas un ensemble de propositions structurées à adopter pour sortir du modèle capitaliste dominant, mais il existe une multitude d’approches fondées sur la décroissance qui ont pour objectif de changer les mentalités et de s’orienter vers une autre conception de la consommation, de la fabrication de richesses, de l’échange économique.

Vers une sobriété heureuse… les sociétés en transition

La décroissance représente une transition vers une société différente, fondée sur les biens en commun, sur les relations et la réciprocité plutôt que sur le marché et le libéralisme sans freins. Aujourd’hui on sait bien que l’on consomme trop, que l’on produit trop de déchets et que l’on pollue trop, mais on a quand même du mal à accepter l’idée que la croissance infinie dans un monde fini n’est qu’un mirage. Les sociétés en transition sont donc des sociétés où l’on a commencé à comprendre qu’il faut changer de paradigme, des laboratoires où l’on élabore des pratiques et des projets pour s’éloigner graduellement d’une mentalité liée à la société de consommation.

Les premiers pas d’une société en transition sont par exemple : établir des limites pour l’utilisation des ressources non renouvelables et mettre en place des mécanismes pour les respecter dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, développer un modèle économique qui tienne compte de l’environnement et de la société (en accroissant la prudence financière et fiscale, en élaborant des indicateurs plus utiles que le PIB…), changer de logique sociale (en réduisant le temps de travail, en luttant contre les inégalités, en renforçant le capital social, en affaiblissant la culture du consumérisme…).
Il existe un certain nombre d’initiatives de transition, essentiellement au niveau local. Ce sont le plus souvent des initiatives qui n’ont pas beaucoup de visibilité parce qu’il y a peu de coordination entre elles. Il faut remarquer que ces initiatives subissent les contraintes du contexte de la mondialisation dominée par l’idéologie néolibérale du capitalisme.

… au Nord

  • Réfléchir à l’impact environnemental de nos choix alimentaires, en particulier à celui du transport des denrées : les conséquences varient en fonction de la distance et du moyen de transport utilisé. En outre, il y a des impacts environnementaux au niveau de la production agricole et de la transformation (consommation d’eau, de pesticides, d’énergie, pollution, déchets…) ;
  • En finir avec l’obsolescence programmée des technologies, qui maintient vivante la société de consommation mais qui épuise les ressources naturelles et détruit les écosystèmes et commencer à allonger la vie des produits, notamment grâce à l’entretien et à la réparation ;
  • Redéfinir notre conception du temps et de l’espace dans les villes : réaffirmer les rythmes naturels saisonniers, diurnes et nocturnes pour ne pas dépendre de l’éclairage public ou des climatiseurs, donner une valeur nouvelle aux bâtiments existant plutôt que construire encore, recycler, multiplier les zones piétonnes et les espaces verts… ;
  • Développer des systèmes d’échange locaux (SEL), c’est-à-dire des systèmes d’échange de produits ou de services construits à côté du système monétaire classique comme, par exemple, les banques du temps dans lesquelles les « équivalheures » sont les unités de mesure universelles pour échanger des services et des moyens ;
  • Pratiquer le tourisme responsable, c’est-à-dire prendre conscience du fait que les flux de population ont des conséquences environnementales en termes de pollution à cause des avions, la production de déchets, le choc des cultures, la folklorisation des sociétés…

… et au Sud

Il est encore très délicat de parler de décroissance au Sud, parce que cela risque d’être perçu comme la négation du droit au développement ; peut-être est ce pour cette raison qu’il est difficile de trouver dans les ouvrages sur la décroissance des propositions concrètes concernant les pays du Sud. Mais ce qui semble plus pertinent c’est l’appel lancé à ces pays pour qu’ils réalisent leur propre modèle de développement et qu’ils entreprennent des parcours qui se détachent de celui prôné par l’Occident capitaliste.

Cependant, certaines communautés s’emploient à ouvrir d’autres chemins pour d’autres mondes possibles. On peut citer comme exemples des mouvements qui ont pris forme en Amérique Latine. Dans le Yucatan (Mexique), le 1er janvier 1994, une armée composée d’Indiens a occupé sept villes de la région et a proclamé des communes autonomes, fondé l’université de la terre et introduit une monnaie parallèle, ce qui s’apparente bien à une société de décroissance. En Bolivie et en Équateur, les responsables politiques qui ont été portés au pouvoir sont eux-mêmes indigènes (par exemple Evo Morales en Bolivie en 2006) ou prônent de fortes revendications ethniques (par exemple Rafael Correa en Équateur en 2007). En Équateur et Bolivie la nature a été reconnue comme sujet de droit, ce qui pose problème aux grandes compagnies étrangères qui exploitent les richesses naturelles locales ; l’eau a été déclarée bien commun, ainsi que la terre et la biodiversité. Le rejet du développement à l’occidentale et la récupération des valeurs des sociétés traditionnelles sont un premier pas vers la décolonisation des mentalités par rapport au discours dominant et vers la sortie du modèle économique capitaliste et néolibéral.