L’UE est une organisation internationale à vocation régionale qui, comme d’autres organisations internationales, est basée sur le principe selon lequel les compétences qui ne lui sont pas attribuées relèvent de la compétence des Etats (principe d’attribution). Le Traité sur le fonctionnement de l’UE indique, selon les domaines, la nature de la compétence dont dispose l’UE. En matière d’OGM l’UE dispose d’une compétence partagée, les textes relatifs aux OGM étant adoptés dans le cadre du marché intérieur. Elle ne peut donc pas uniformiser les législations des Etats membres, mais seulement les harmoniser.
Cela permet de comprendre que si la législation de l’UE relative aux OGM s’impose aux Etats membres, elle prévoit aussi des marges de manœuvre au profit des EM.
Une compétence partagée de l’UE
L’UE pose le cadre juridique des OGM, même si elle doit tenir compte du niveau international et n’est pas toujours libre de mener sa politique (au regard de l’Organisation Mondiale du Commerce notamment).
Ce cadre se compose principalement de la directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et du règlement 1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés.
L’UE envisageant les OGM sous un angle économique, ces textes sont adoptés sur le fondement du rapprochement des législations nationales pour le fonctionnement du marché intérieur, donc dans le cadre d’une compétence partagée de l’UE. Le choix de la base juridique n’est pas anodin : il a une incidence sur la marge de manœuvre des EM. Certes, dans le cadre d’une compétence partagée, l’UE ne peut pas adopter des mesures uniformisant les législations des Etats membres1. Mais les mesures de rapprochement des législations pour le fonctionnement du marché intérieur contribuent bel et bien à étendre le champ des compétences de l’UE au détriment de celui des Etats membres.
La procédure d’autorisation des OGM est largement aux mains de l’UE. En fonction de l’usage de l’OGM (importation, transformation, culture, alimentation humaine et alimentation animale), le pétitionnaire (entreprise ou institut de recherche qui demande une autorisation) peut présenter sa demande d’autorisation sur le fondement de la directive 2001/18/CE, qui encadre la dissémination des OGM dans l’environnement (pour les essais et la mise sur le marché) ou du règlement 1829/2003, qui concerne les demandes d’autorisation commerciale des OGM à destination de l’alimentation humaine et animale.
Les grandes lignes de la procédure d’autorisation sont similaires dans les deux textes. Cependant, dans la procédure prévue par la directive, les EM sont davantage associés au processus décisionnel que dans celle prévue par le règlement2.
Le règlement comme la directive prévoit que le pétitionnaire dépose un dossier d’autorisation auprès d’un EM. Dans la procédure prévue par le règlement, l’État joue un rôle de simple boîte aux lettres : il se contente de transmettre le dossier à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), qui informe les autres EM et la Commission européenne et qui doit rendre un avis. Ce n’est qu’une fois que l’AESA a publié son avis que les EM sont consultés. En revanche, selon la procédure prévue par la directive, l’EM qui reçoit la demande élabore un rapport concluant ou non à une proposition d’autorisation. Si des objections des autres EM ont été formulées et maintenues, alors l’avis de l’AESA est demandé, la Commission européenne fait une proposition et la procédure de comitologie est enclenchée.
La procédure de comitologie de la directive et du règlement diffère peu concernant la marge de manœuvre des Etats. Dans les deux cas, la Commission européenne fait, sur base de l’avis de l’AESA, une proposition d’autoriser ou non l’OGM, la soumet au Comité Permanent de la Chaîne Alimentaire et de la Santé Animale (pour le règlement) ou au Comité réglementaire de la directive, composés de représentants des EM (des fonctionnaires, et non des élus). Si ces comités parviennent à un accord à la majorité qualifiée, la décision est prise en ce sens (autorisation ou non). Sinon c’est à la Commission européenne que revient la décision finale sur sa propre proposition. Depuis le règlement de 2011 instituant une nouvelle procédure de comitologie, elle n’est plus tenue d’adopter l’autorisation qu’elle avait proposée. Mais elle continue cependant de valider les autorisations sur lesquelles les États n’arrivent pas à se prononcer, ce qui est le cas en matière d’OGM.
La directive 2001/18/CE et le règlement 1829/2003 ont deux champs d’application distincts. Mais dans les faits les demandes d’autorisation passent toutes par le règlement 1829/2003, quel que soit l’usage visé. Ce détournement des textes n’est pas anodin. En fonction de celui qui est utilisé par la demande d’autorisation, c’est une procédure d’autorisation différente qui sera alors appliquée.
Pour l’heure, seul le maïs transgénique MON810 est autorisé à la culture dans l’Union européenne (depuis 1998). Son autorisation, dépassée, est en attente de renouvellement. Plusieurs variétés de maïs GM sont en attente d’autorisation de culture (maïs 1507 et Bt11).
Beaucoup plus de plantes GM sont autorisées à l’importation, destinées à la transformation et l’alimentation humaine et/ou l’alimentation animale. Une cinquantaine d’OGM sont autorisés à l’importation, d’autres sont en attente d’autorisation. Mais on retrouve des PGM non autorisées, donc illégales, dans des cargaisons importées.
Les autorisations sont données pour dix ans, renouvelables. Elles valent pour l’ensemble du territoire de l’UE, sauf si un Etat a décidé d’interdire ou restreindre la commercialisation ou la culture d’un OGM sur son territoire.
Des marges de manœuvre au profit des Etats membres
Les Etats peuvent interdire ou restreindre les OGM sur leur territoire. Le règlement et la directive comportent des procédures spécifiques pour permettre à un Etat d’interdire les OGM sur son territoire : la mesure d’urgence (règlement) et la clause de sauvegarde (directive).
L’État doit dans les deux cas prouver l’existence d’un risque pour la santé humaine, animale ou l’environnement. Comme nous l’avons vu, l’AESA est en charge de l’évaluation des risques avant autorisation. Elle l’est aussi de l’évaluation de la pertinence scientifique des arguments nationaux contre l’autorisation. Dès lors, impossible pour elle de reconnaître ces arguments nationaux d’interdiction, car cela voudrait dire qu’elle a mal fait son travail d’évaluation en amont ! Mais tant que ces interdictions nationales ne sont pas attaquées devant les tribunaux, elles sont valables. Seule la France a jusqu’à présent vu son moratoire remis en cause et annulé devant le Conseil d’État, à trois reprises. La Commission peut, elle-aussi de son propre gré, demander la levée d’une interdiction, mais les États ont jusqu’à présent régulièrement soutenu le pays qui avait interdit une PGM à la culture.
L’apparente difficulté pour les États d’interdire légalement la culture d’OGM sur leur territoire et de débloquer les dossiers de demande d’autorisation a été à l’origine d’une nouvelle directive, adoptée en 2015, qui permet aux États d’agir soit au cours de la procédure d’autorisation soit à son issue. Au cours de la procédure, l’État peut ainsi exiger auprès du pétitionnaire que tout ou partie de son territoire soit exclu de la portée géographique de l’autorisation de culture. A ce stade, l’État n’a pas à justifier sa demande et, si le pétitionnaire l’accepte, la modification de la portée géographique est admise. Si le pétitionnaire refuse, ou si l’OGM a déjà été autorisé, l’État peut demander à ce que l’OGM autorisé soit interdit sur tout ou partie de son territoire. Mais il devra alors se justifier : les mesures doivent être proportionnées et non discriminatoires, être fondées sur des motifs sérieux etc. La directive de 2015 ajoute des motifs pouvant être invoqués par les Etats pour interdire la culture d’OGM sur leur territoire : objectif de la politique environnementale, incidences socio-économiques etc. Toutefois, les arguments déjà évalués par l’AESA concernant les risques environnementaux et sanitaires ne peuvent pas être invoqués dans cette procédure.
Il faut noter que les EM peuvent aussi interdire la commercialisation ou l’utilisation des semences GM sur le fondement de la directive 2002/53/CE « Semences ».
La plupart des OGM sont autorisés sur la base du règlement, mais la clause de sauvegarde de la directive ne joue que pour les OGM autorisés sur la base de la directive. La France l’a appris à ses dépens en 2011 quand le Conseil d’État a annulé les arrêtés pris en 2007 et en 2008 qui interdisaient la culture du maïs Mon810 sur le territoire national au motif que la bonne procédure d’interdiction n’avait pas été utilisée.
En 2016, plus de la moitié des EM interdisent la culture de plusieurs variétés de maïs génétiquement modifiées sur leur territoire. D’autres plantes transgéniques, comme la pomme de terre Amflora et le maïs T25, avaient aussi été sujets à des moratoires nationaux mais ces deux autorisations ont, depuis, été retirées.
Le cadre élaboré par l’UE laisse également aux EM une marge de manœuvre en matière d’étiquetage. Le droit de l’UE impose un étiquetage obligatoire des produits alimentaires contenant des OGM transgéniques si la présence d’OGM, fortuite ou techniquement inévitable, est supérieure à 0,9 %. La réglementation laisse aux EM la possibilité de mettre en place un étiquetage complémentaire avec le label « Sans OGM », la définition du « sans OGM » étant laissée à l’appréciation des Etats. Plusieurs EM, dont l’Allemagne et la France, ont mis en place un tel système permettant au citoyen de s’exprimer par ses achats.
Dans d’autres domaines, ce sont les EM qui sont responsables. C’est le cas d’abord des essais en champ, nécessaires à l’obtention d’une autorisation dans l’UE et régis par la directive 2001/18/CE. Selon ce texte, les essais en champ font l’objet d’une procédure d’autorisation au niveau national et les EM sont responsables du suivi des essais réalisés sur leur territoire. Ce sont également eux qui doivent fixer les modalités de consultation du public. La Commission européenne se contente de lister les demandes d’autorisation d’essais en champs.
En France, c’est le ministre chargé de l’agriculture qui accorde les autorisations, après accord du ministre chargé de l’environnement et organisation d’une enquête publique. Sur la période 1991-2012, la France arrivait, avec l’Espagne, en tête des demandes d’autorisations d’essais en champs (48% des demandes déposées concernaient des essais en champs de maïs, 20% du colza, 11% des betteraves et 7% du tabac. Ces demandes ont été déposées principalement par Limagrain (et filiales), Monsanto, l’Inra et Pioneer). Mais depuis le dernier essai en champ avec des peupliers transgéniques de l’Inra, aucune autre demande n’a été déposée auprès du ministère de l’Agriculture. En 2016, il n’y a donc plus d’essais en champ d’OGM en France. De nombreux essais ont d’ailleurs été détruits par les Faucheurs volontaires (vigne GM en 2010 notamment). D’autres EM ont en revanche reçu des demandes d’essais en champs de PGM en 2016. L’Espagne a par exemple reçu deux demandes d’essais en champ de l’université de Lleda concernant des variétés de maïs transgéniques. Et en Belgique, des essais en champ de peupliers transgéniques sont actuellement en cours.
Les EM sont responsables, ensuite, en matière de coexistence des cultures OGM et non OGM. L’UE a en effet décidé de ne pas la réglementer, les EM présentant des situations très hétérogènes. Elle a cependant édité des lignes directrices. Le 13 juillet 2010, la Commission européenne a publié de « nouvelles lignes directrices » sur la coexistence des filières GM et non GM qui viennent assouplir les précédentes. Les principes qui y sont édictés doivent permettre de limiter les différences entre les réglementations nationales. En France, aucun décret ne définit les règles de coexistence. Un décret a été notifié à la Commission européenne en 2012 mais a finalement été retiré. Aucune culture de PGM n’étant actuellement cultivée sur le territoire national, cette absence n’est pas encore très problématique. Ce d’autant plus que la loi de 2014 interdit la culture de tous les maïs génétiquement modifiés.
Rappelons cependant que la France a déjà cultivé du maïs MON810, notamment entre 2005 et 2007. A cette époque, les mesures de coexistence au champ n’étaient pas règlementaires mais dépendaient d’un engagement de l’Assemblée Générale des Producteurs de Maïs (AGPM) envers le ministère de l’Agriculture.