L’article a été écrit par Juristes solidarités, à partir d’une rencontre avec Ibrahim Traoré (DEME SO).
Née de l’initiative de jeunes juristes maliens lors de l’ouverture démocratique du pays, l’association DEME SO a pour principal objectif la promotion et la protection des droits humains au Mali. Pour faire face aux problèmes liés au foncier, l’une de ses lignes d’action est la formation et l’encadrement de para-juristes, ces non professionnels du droit, qui, issus des communautés auprès desquelles ils interviennent, ont pour mission principale de rendre le droit accessible aux populations.
Quelle procédure pour acquérir des titres provisoires ou fonciers ?
Afin de formaliser les droits détenus sur la terre, une demande écrite doit être déposée au service foncier de la localité concernée. Suite à ce dépôt une enquête de commodo et d’incommodo est menée : une commission interroge les chefs de villages et vérifie si la personne a réellement un droit coutumier sur la parcelle en question.
En effet la coutume répondant à la culture de l’oralité, « la preuve est dans la mémoire des anciens ». C’est donc en fonction du témoignage des anciens que l’on procède au bornage de la terre. En cas d’approbation de leur part, la demande de titre est alors publiée dans l’Essor, journal d’annonce légale, pendant quinze jours. Le bornage et la publication de la demande permettent d’informer la population et ainsi d’éviter que certains tentent d’obtenir un titre sur une parcelle occupée par une autre personne. Si aucune opposition ne s’élève, le service chargé du foncier confère alors un titre au demandeur.
Deux types de titres coexistent : les titres provisoires et les titres fonciers. Les titres provisoires ne confèrent pas la propriété, mais permettent d’obtenir une indemnisation en cas d’expropriation. Moins onéreux que les titres fonciers, ils sont plus populaires.
Vulgariser le droit positif pour réduire l’insécurité foncière
Le droit positif, bien souvent éloigné des préoccupations quotidiennes, est ignoré de la majorité de la population, notamment en ce qui concerne le foncier. C’est aux para-juristes de vulgariser le droit foncier auprès des populations, pour protéger les paysans et lutter contre l’insécurité qui résulte de l’absence d’immatriculation des terres.
Il s’agit d’amener les paysans à faire des demandes de titres pour les terres qu’ils occupent sous le régime de la coutume. Pour ce faire, un imprimé de la demande a été élaboré et mis à disposition des populations dans chaque région du Mali.
Les parajuristes organisent par exemple des causeries-débat, la nuit, pour sensibiliser la population. En allumant la lumière et en jouant de la musique, ils attirent la communauté qui se rassemble autour de l’activité nocturne. Les para-juristes profitent de ce regroupement pour faire passer leurs messages en alternant musique et information.
Autre moyen de sensibilisation efficace, les radios locales, permettent de diffuser l’information jusqu’à une centaine de kilomètres et ainsi d’atteindre un plus grand nombre de personnes.
Ce type de démarche a également donné lieu à la diminution des conflits fonciers, qui naissent entre les personnes, voire entre des villages, tout particulièrement dans les cas de prêt de terres ou de sites. Dans une culture orale, aucune preuve de prêt ne résistant au temps, les prêts de terre peuvent en effet devenir sources de conflits de propriété.
Les conflits concernent également les éleveurs et agriculteurs, les animaux détruisant parfois les champs cultivés. C’est enfin parfois lorsqu’un tiers empiète sur une terre qu’un désaccord naît entre deux personnes.
La résolution des conflits par les para-juristes, une alternative à la justice
Cependant, en cas de conflit, les para-juristes endossent également le rôle de médiateur. Les confrontations en justice effraient bien souvent les populations et leur coût élevé, ainsi que la corruption des magistrats, les dissuadent d’intenter une action en justice. Des villages et des familles ont en effet été ruinés par des procès, alors que bien souvent, les protagonistes du conflit auraient pu trouver une solution.
Personnes de confiance et familiers des coutumes du milieu dans lequel ils interviennent, les para-juristes peuvent régler les conflits efficacement et durablement en restaurant le dialogue entre les personnes en conflit. Les para-juristes prenant également en compte les valeurs liées à la coutume, les règles prédominantes dans l’esprit des populations ne sont pas niées au seul profit du droit positif.
Développer une synergie entre organisations de droits humains
Si en 1991, après la chute du régime dictatorial au Mali, beaucoup d’organisations de défense des droits humains ont vu le jour, elles ont longtemps mené leurs activités de façon isolée et ressentaient la nécessité de développer un travail en réseau. Ainsi, afin de renforcer le travail des organisations de la société civile, et tout particulièrement la capacité d’intervention des para-juristes, à travers l’uniformisation de leur formation, un cadre de concertation a été initié par l’association DEME SO. Ce cadre national est composé de la Coordination des Associations et ONGs Féminines du Mali (CAFO), de l’association Femmes Droit et Développement en Afrique (WILDAF), de l’Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes Maliennes (APDF), de l’Association des Juristes Maliennes (AJM) et de l’association DEME SO.
Une formation uniformisée de para-juristes pour diffuser le droit sur l’ensemble du territoire
Dans un premier temps, chacune de ces organisations a procédé à l’élaboration d’un diagnostic dans sa zone d’intervention. Suite à une mise en commun des informations recueillies sur le terrain, neuf modules de formation du para-juriste ont été élaborés. Ils répondent aux préoccupations des habitants, en s’articulant autour des thématiques suivantes : l’état civil, l’accès à la justice et à l’administration, les droits humains, le foncier, la décentralisation, les droits de la femme, les droits de l’enfant, la démocratie et l’état de droit.
A partir de ce programme de formation élaboré conjointement, les organisations du cadre de concertation ont eu pour stratégie de former vingt para-juristes dans les huit régions que compte le Mali, ainsi que dans le district de Bamako, afin de couvrir l’ensemble du territoire. Suite aux violences sévissant au nord du pays, les formations de parajuristes dans la région de Gao et de Kidal n’ont pas eu lieu à ce jour et seront délocalisées à Bamako.
Dans un souci de parité, les organisations ont souhaité former dix hommes et dix femmes para-juristes. Si cette volonté ne s’est pas toujours réalisée dans chacune des régions, il semble qu’elle soit respectée au niveau central.
Ainsi, grâce à l’action para-juridique, DEME SO œuvre pour l’accès au droit des populations maliennes en se situant au plus près de leurs préoccupations, notamment dans le cas de la question foncière, qui ne saurait être résolue sans passer par la sensibilisation des communautés au droit foncier.