Mai 68 : ces combats qui sont toujours les nôtres

Tribune

, par CIIP

Edito de la revue Inter-Peuples, CIIP Grenoble, mai 2018.

Mai 1968 - Mai 2018 : requiem ou renaissance ? Ni nostalgie ni canonisation des révoltes, des valeurs, des slogans de Mai 68 qu’on pourrait être tenté de faire entrer dans le panthéon mémoriel français. On assiste au contraire à un retour inquiétant de l’autorité marqué entre autres par un État policier que l’état d’urgence a doté de pouvoirs de surveillance et de répression exorbitants, précisément ce contre quoi se battaient les soixante-huitards. L’anticapitalisme et l’aspiration à une société plus égalitaire ? Hélas ! le capitalisme sauvage prospère jusque dans les anciens bastions du communisme (Chine et Russie) et les inégalités sociales et financières n’ont jamais été aussi élevées. L’impérialisme, non seulement étatsunien, triomphe, charriant avec lui les "valeurs" d’hyper-individualisme, de néolibéralisme, de consumérisme. Quant à la guerre - les soixante-huitards s’opposaient alors avec une partie de la jeunesse nord-américaine et les Blacks Panthers à la guerre du Vietnam - elle est présente sur presque tous les continents et les ventes d’armes prospères.

Mai 68 était aussi un mouvement anti-technocratique, anti élitiste et anti-bureaucratique. Or, la bureaucratie n’a pas disparu et la France est régie par un gouvernement de "technos", d’experts et de conseillers issus pour la plupart du moule intangible de l’ENA. Mai 68 fut évidemment un puissant mouvement social débouchant sur les accords de Grenelle. Cinquante ans plus tard, la loi travail de l’ex-ministre El Khomri puis le détricotage actuel du Code du Travail enterrent - provisoirement ? - les avancées sociales de juin 1968. Mai 68 fut, enfin, un mouvement politique et culturel libertaire charriant avec lui de puissantes revendications, qu’elles soient féministes, écologiques, éducatives… Mais qu’il est triste de constater que malgré les avances du féminisme il a fallu attendre l’affaire Weinstein pour que la parole des femmes harcelées, maltraitées, violées commence à se libérer. L’écologie progresse certes dans les esprits, mais les accords de Paris de 2015 ne seront pas respectés et la planète n’a jamais été aussi polluée et dévastée.

Est-ce à dire que notre époque serait devenue profondément réactionnaire ? Le débat est ouvert. Des éclaircies significatives et encourageantes en ce printemps 2018 : la lutte exemplaire des cheminots pour s’opposer à la destruction d’un système ferroviaire public, celle des étudiants et des enseignants contre toute une logique sélective, sans oublier celle des soignants - médecins, infirmiers et infirmières, aide-soignant.e.s - contre une véritable destruction du système hospitalier public ou encore de nombreux citoyens et citoyennes qui s’opposent à toute une politique inhumaine en matière d’accueil des migrant.e.s et d’externalisation de ces migrant.e.s repoussé.e.s loin de l’Europe et "confié.e.s" à la Turquie ou à la Libye dans des conditions d’entassement et d’exploitation terrifiantes. Si les grilles de lecture des années 68 sont en partie obsolètes, les valeurs que nous défendons - de liberté, de justice sociale, d’égalité des droits, de solidarité - sont toujours et profondément celles de Mai 68. Il s’agit moins de fêter Mai 68 que d’être fidèles au souffle libertaire et solidaire qui doit nous porter, nous dynamiser pour nous opposer à tant de destruction et de barbarie et construire un tout autre monde, solidaire, égalitaire, durable…

Edito de la revue Inter-Peuples, CIIP Grenoble, mai 2018