Cet article a été rédigé par Juristes-Solidarités, à partir d’une rencontre avec Mamy Rakotondrainibe en 2011.
Créé à Paris en décembre 2008 dans le contexte de l’affaire DAEWOO par la diaspora malgache, le Collectif pour la défense des terres malgaches -Tany, terre en malgache, lutte contre la spoliation des citoyens de leur terre, considérant que la souveraineté alimentaire de l’île et les droits des paysans sont menacés. Dans un pays dont les richesses sont trop souvent exploitées par des investisseurs étrangers au détriment des populations locales, cette association vise à informer et mobiliser l’opinion publique au niveau national et international, et à interpeller les autorités malgaches pour mettre fin aux situations d’accaparement de terre.
Un système d’enregistrement des terres défavorable à la population
Conformément aux procédures héritées de la colonisation, les paysans doivent posséder un titre délivré par les services fonciers pour être reconnus propriétaires aux yeux de l’État. Or la complexité, la lenteur des procédures et leur coût, ainsi que le nombre restreint de services fonciers sur le territoire, constituent des obstacles de taille à l’obtention d’un certificat foncier.
Bien qu’une réforme en 2005 ait donné lieu à l’instauration de « guichets fonciers » au niveau des communes, services plus proches des populations dans lesquels les certificats sont moins chers et plus rapides à obtenir, cette initiative est aujourd’hui en recul. En effet, du fait de la crise politique de 2009, les bailleurs de fonds ont cessé de s’impliquer dans le financement des guichets. La dynamique de certification foncière s’est donc ralentie, et seules les communes qui disposaient des ressources suffisantes ont pu poursuivre ce travail de proximité.
Dans un territoire où seul un dixième des terres du pays est immatriculé, la majorité des terrains appartiennent à l’État. En niant le droit coutumier, ce principe de présomption de domanialité accroît l’insécurité foncière des paysans. L’État peut en effet vendre et louer comme il l’entend les espaces qui ne sont pas immatriculés, quand bien même ils sont exploités par des paysans.
Un accaparement des terres facilité par le cadre législatif
Alors que la vente de terre aux étrangers était autrefois interdite, le cadre législatif a évolué au fil des années, devenant de plus en plus favorable aux investisseurs étrangers.
En 2003, une loi a autorisé la vente de terre à ces derniers, suivie en 2008 d’une loi qui permet désormais à une société étrangère ayant une filiale ou un associé malgache de contracter avec une collectivité publique un bail de longue durée ou un contrat de vente sur une terre malgache. Si depuis octobre 2010, une circulaire réglemente les procédures relatives aux terrains d’une vaste surface [1], aucun texte juridique ne codifie en revanche l’acquisition des surfaces inférieures à 250 hectares.
Un bail de 99 ans déclencheur du mouvement de protestation : l’affaire DAEWOO
En décembre 2008, le Financial Times révèle que la société sud-coréenne DAEWOO Logistics s’apprête à signer avec le gouvernement malgache un bail de location emphytéotique de 99 ans sur 1,3 million d’hectares de terres arables pour y produire du maïs et de l’huile de palme. La négociation du projet se déroule dans une grande opacité.
En témoignent les informations très partielles fournies sur cet accord à la société civile et la multiplication des démentis tant par le gouvernement que par DAEWOO.
Face aux doutes quant à la véracité des différentes communications, la mobilisation de la société civile sur place est dans un premier temps limitée, d’autant plus que les citoyens craignent de s’exprimer par peur d’une répression de la part de l’État.
C’est dans ce contexte que le Collectif pour la défense des terres malgaches est créé, dans l’idée de faire naître une mobilisation hors du territoire en vue de l’annulation du contrat. L’association devient alors un relais d’information entre les populations locales, les organisations de la société civile malgaches et des organisations internationales.
Un manifeste pour dénoncer l’accord conclu entre DAEWOO et le gouvernement
Le collectif TANY entreprend de mobiliser l’opinion nationale et internationale afin d’interpeller le gouvernement malgache. Pour cela, il rédige un manifeste qui dénonce le contrat signé entre le gouvernement et la société DAEWOO Logisitics.
Ce manifeste souligne l’atteinte portée au caractère sacré de la terre malgache et aux droits fonciers des populations. Il signale que de nombreuses familles, voire, à terme, la majorité des paysans, seront dépossédés de leurs terres.
Le collectif y relève également que le bail a été contracté à l’insu de l’ensemble de la population, sans respect des règles de procédure. Cela atteste des faveurs dont bénéficie la société sud-coréenne par rapport aux Malgaches qui rencontrent de multiples difficultés dans l’acquisition des terres.
C’est aussi l’iniquité des termes du contrat que le manifeste dénonce. Alors que des milliers de paysans vont être dépossédés de leur terre et donc de leur moyen de subsistance, la négociation ne prévoit apparemment pas de contrepartie financière. Ce projet apparaît d’autant plus absurde si l’on considère que les récoltes sont destinées à l’exportation pour assurer la sécurité alimentaire de la Corée du Sud, alors même que la population de Madagascar est confrontée à une insécurité alimentaire accrue.
Enfin, le document soulève que les semences prévues auraient des conséquences néfastes sur l’environnement et la biodiversité de l’île.
Une mobilisation locale relayée au niveau international
En vue de l’annulation du contrat, le manifeste recueille dans un premier temps une cinquantaine de signatures de personnes d’origine malgache puis mille huit cents signatures du monde entier en l’espace de quelques semaines. La pétition est alors envoyée aux autorités (président de la République, membres du Gouvernement, parlementaires) puis à la presse malgache.
Au niveau international, le mouvement a été relayé par l’organisation Peuples Solidaires qui lance en 2009 un appel urgent et demande la suspension du contrat au président de DAEWOO au moyen de courriers de protestation. De même, la Via Campesina, FIAN International ainsi que l’organisation allemande Rainforest font pression sur les autorités de la Corée du Sud et de Madagascar.
La dénonciation de l’affaire DAEWOO est devenue l’un des points de départ du soulèvement contre le président Marc Ravalomanana, qui démissionne le 17 mars 2009 sous la pression d’une partie de la population malgache appuyée par l’armée. Une Haute autorité de la transition (HAT) est alors mise en place, dirigée par le leader des opposants, Andry Rajoelina. Alors que ce dernier avait dénoncé l’affaire DAEWOO et fait de l’annulation du contrat l’un de ses chevaux de bataille, aucune mesure n’a été prise en ce sens par la HAT.
Les différentes pétitions et les appels urgents ont rassemblé aujourd’hui plus de dix-sept mille signatures. Mais compte tenu des doutes qui subsistent sur l’annulation effective du contrat et du projet DAEWOO, le Collectif TANY reste vigilent et poursuit actuellement sa mission d’interpellation des pouvoirs publics en dépit des aléas politiques.