L’informatique est désormais au cœur de presque toutes les activités humaines. A t-il contribué à faire de nous des citoyens plus autonomes ? Ou plutôt les consommateurs passifs d’un marché devenu total ? Il semblait parfaitement impossible il y a 20 ans que des acteurs non-industriels ou non-étatiques puissent parvenir à produire collectivement un système d’exploitation informatique ou une encyclopédie. De nombreux défis pourraient être relevés par l’humanité toute entière, grâce aux modèles expérimentés par les activistes du « Libre ».
Logiciels libres, semences libres, médicaments libres, connaissances libres... Des objets, des appareils, des machines, des concepts, sont reproductibles et modifiables, à partager à l’infini entre toutes celles et ceux qui le souhaitent grâce à la libre diffusion de leurs plans. Les principes juridiques fondateurs du logiciel libre servent aujourd’hui d’exemple : celui d’un combat gagné contre le modèle dominant de propriété intellectuelle.
Logiciels libres : redonner de l’autonomie et du pouvoir aux utilisateurs
Dans son documentaire, « Internet ou la révolution du partage » (la version longue s’intitule « La bataille du Libre »), Philippe Borrel part à la rencontre de figures anonymes ou de personnalités hors-normes de ce monde encore marginal du « Libre », et de ses opposants, en Inde, en France, en Suisse et aux États-Unis. Le film nous conduit notamment à Gorges, dans les Pays de la Loire où des citoyens ont décidé de reprendre en main leur Internet. L’association Gullivigne organise ce jour-là un atelier avec des utilisateurs de logiciels libres : utiliser une messagerie libre en chiffrant ses communications, apprendre à gérer ses mots de passe, passer à un fournisseur d’accès à internet associatif... Autant de moyens pour éviter les fouilles de données personnelles.
Les logiciels libres s’enseignent aussi dès l’école élémentaire. C’est ce qu’il se passe à Fontaine, une commune d’Isère qui, dès 2001, a équipé les 600 ordinateurs municipaux de logiciels libres. « Je n’étais pas quelqu’un de convaincu a priori, je n’étais pas un militant du libre. C’est parce que ça marchait, parce que j’ai mesuré cette stabilité, que j’ai été convaincu de l’utilité du libre », témoigne le directeur du service informatique de la ville.
« Non seulement ça fonctionne, confirme le maire de Fontaine, « mais ça nous fait faire des économies entre 80 000 et 100 000 euros par an ». « On peut s’émanciper d’un monopole, on peut lutter avec nos modestes moyens et à notre modeste niveau contre la toute puissance des multinationales américaines », appuie l’adjoint à la culture de la ville. Voici comment une commune de 19 000 habitants lèvent les freins culturels vis à vis du Libre.
Des pratiques qui mettent l’accent sur la liberté, la coopération et le partage
Les pratiques collectives et contributives du « Libre » essaiment aujourd’hui dans bien d’autres domaines que les logiciels libres. A Nantes, un FabLab – espace partagé de fabrication – a été mis en place. « Ce qui se joue ici c’est de la création collaborative plutôt que de la création individuelle, explique Vladimir Ritz, spécialiste de la propriété intellectuelle. L’intérêt de ces lieux là c’est que si tu ne sais pas faire des choses, il y a peut-être quelqu’un qui va t’aider à le faire, et si toi tu sais faire d’autres choses, tu vas peut-être lui être utile ». Comme le rappelle le chercheur Olivier Ertzscheid, « aucune société humaine ne s’est construite à l’abri du partage ni de la copie. Pour qu’une société existe, il faut toujours qu’on puisse copier, s’inspirer, reprendre et partager ce qu’on a copié. Sinon c’est une société qui est stérile et qui est morte. Il faut que la connaissance reste libre, accessible publiquement, gratuitement. »
La connaissance aussi peut et doit être en accès libre. Dans le 14e arrondissement de Paris, l’université populaire des Grands Voisins ouvre ses portes chaque mercredi. « A travers la notion de "Communs", il y a vraiment quelque chose de neuf et de formidablement porteur d’espoirs pour l’avenir. Il est possible de construire des formes institutionnelles durables à la fois économiquement efficientes et représentant dans de nombreux cas un progrès de la démocratie », relève l’économiste Benjamin Coriat. « L’enjeu pour l’humanité c’est une remise en question de la logique propriétaire telle qu’elle a fonctionné depuis des siècles » résume le professeur de philosophie Pierre Dardot.
« La bataille du Libre », film documentaire (87mn)
écrit & réalisé par Philippe Borrel
avec Annabelle Jarry et Marion Chataing
produit par Jérémy Zelnik & Tancrède Ramonet / Temps noir pour ARTE
Avec : Kenneth Roelofsen, Karen Sandler, Richard Stallman, James Boyle, Hervé Le Crosnier, Shamnad Basheer, Pierre-Yves Gosset, Thomas Bernardi, Kwame Yamgnane, Lucile Vareine, Asa Dotzler, Denelle Dixon, Abhiram Ravikumar, Pascal Chevrel, Lionel Maurel, Mar9ne Cailbault, Nicolas Huchet, David Gouailler, Xavier Niel, Giorgio Regni, David Bollier, Marc Oshima, Vandana Shiva, Guy Standing, Joseph SOglitz, Pierre Dardot, James Love, Francis Gurry, Anthony Di Franco, Steve Berman, Yann Huon de Kermadec, Olivier Maguet, Vidyashankar R., Marc Bouché, Mick Minchow, Kevin Kenney, Lydia Brasch, Vinod Kumar, Bhavani, Mani Kantan, Grégoire Wainne, Marie-Laure Marcadé, Nicolas Sinoir, Vladimir Ritz, Benjamin Coriat, Marcel Thébault, Michel Dartois.
Le film est décliné en deux versions :
– La version courte (55 minutes) intitulée « Internet ou la révolution du partage » est en accès libre jusqu’au 5 août 2019 sur la plateforme « replay » d’Arte :
– « La bataille du Libre » (87 min), version prolongée du film, est principalement destinée à des projections-débats.