Les travailleuses domestiques du monde entier se mobilisent pour défendre leurs droits

, par Red pepper , MUÑIZ-PAGÁN Karina

Les travailleuses domestiques homosexuelles et trans se mobilisent contre la discrimination.

Plus de 67 millions de travailleur·ses domestiques dans le monde sont au service de familles de travailleur·ses et de personnes âgées. La plupart sont des femmes et en très grande majorité des immigrantes de couleur, systématiquement exploitées et sous-payées. Les personnes trans, lesbiennes, bisexuelles ou non-binaire subissent également des formes particulières de maltraitance et de harcèlement. Le droit du travail les protège rarement contre les discriminations et violences de genre et sexuelles.

« Nous sommes des travailleuses ! Nous méritons des horaires de travail normaux ! » Photo : Fédération internationale des travailleuses domestiques (CC BY-NC-ND 2.0)

Grâce à leurs efforts de mobilisation, les travailleuses domestiques homosexuelles et trans ont fait un grand pas vers la reconnaissance et l’amélioration de la protection de leurs droits au travail. Il reste cependant beaucoup à faire. En novembre dernier, des cheffes de file de travailleuses domestiques comme June Barrett, travailleuse à domicile homosexuelle et dirigeante du Miami Workers Center aux États-Unis, et Yadira Gomez, travailleuse domestique trans et fondatrice du SITRADOVTRANS (Syndicat des travailleurs et travailleuses domestiques transgenres) au Nicaragua, ont présenté une motion inédite au deuxième congrès de la Fédération internationale des travailleuses domestiques au Cap, en Afrique du Sud. En novembre, la motion a été adoptée pour « mettre en œuvre un programme d’action pour lutter contre la discrimination fondée sur le sexe, la race, l’origine ethnique et l’orientation sexuelle ». Elle pourrait constituer la base de politiques et de campagnes qui soutiennent les travailleuses domestiques LGBTQI à l’échelle mondiale.

June et Yadira se sont rencontrées pour la première fois en 2017, lors du premier rassemblement d’Amérique latine et des Caraïbes pour les droits des travailleur·ses LGBTI à Managua, Nicaragua. Elles sont restées en contact depuis, constituant et développant ainsi un réseau de soutien pour leur projet de motion.

Je suis travailleuse domestique aux États-Unis depuis 14 ans ; je m’organise en fonction de mes horaires d’aide-soignante. En Jamaïque, j’étais aussi activiste, mais depuis que je suis arrivée, je n’active plus autant.

J’étais travailleuse domestique résidente, faisant face à de divers problèmes comme le vol de salaire, le harcèlement sexuel et la discrimination. Peu de temps après avoir commencé mon travail à domicile, j’ai été victime d’une insulte raciste. J’avais perdu du travail parce que je n’avais pas de papiers, et l’employeur avait trop peur de m’embaucher. Je me suis dit : « Qui va écouter si j’essaye de me faire entendre ? » Alors je me contentais du travail que je pouvais trouver, en puisant mes forces dans ma foi.

Puis j’ai appris qu’un jeune homme noir, Trayvon Martin, avait été assassiné et cela m’a brisé le cœur. Un ami m’a dit : « June, utilise ta rage pour lutter. » Après cela, je suis allée à tous les rassemblements pour Trayvon. C’était un moment crucial qui m’a poussé à m’impliquer davantage dans d’autres luttes tel que l’accès aux soins de santé et aux logements abordables. Dans ma lutte pour l’accès aux soins de santé, je me suis appuyée sur mes propres défis, à savoir le besoin d’une assurance maladie pour obtenir mes médicaments contre l’hypertension artérielle.

En 2016, j’ai commencé à mobiliser les travailleuses domestiques avec le Miami Worker Center. Pendant longtemps, j’ai eu l’impression de ne pas avoir de voix au travail. Je me sentais impuissante et désespérée. Quand j’ai appris que les travailleuses domestiques à New York avaient réussi à faire adopter la première déclaration des droits des travailleuses domestiques, j’ai eu une lueur d’espoir. C’était la première série de lois à garantir aux travailleuses domestiques de New York des protections telles que le salaire minimum et la rémunération des heures supplémentaires.

Plus tard dans la même année, on m’a demandé de prendre la parole au premier congrès des travailleuses domestiques de Floride du Sud et de raconter mon histoire de harcèlement sexuel. Accepter a marqué le début du changement pour moi. Je savais que si ce mouvement voulait de moi, j’étais prête à tout pour en faire partie.

En tant qu’immigrante homosexuelle noire, il y a plusieurs facteurs qui me motivent. Comme l’a dit Audre Lorde : « nos luttes ne se limitent pas à une seule cause ».

La discrimination envers les homosexuels et les trans est tellement normalisée qu’elle est rarement étudiée. Il n’existe aucune donnée sur l’activité professionnelle, les violations ou les contributions économiques des travailleuses domestiques homosexuelles et trans. Mais grâce aux récits des travailleuses, nous sommes au courant des problèmes.

L’année dernière, j’ai assisté au rassemblement sur les droits des travailleurs LGBTI à Managua, au Nicaragua, où j’ai rencontré Yadira Gomez de SITRADOTRANS. J’ai été surprise. Aux États-Unis, nous n’avons pas d’organisation qui soutienne les travailleuses domestiques homosexuelles et trans. Ce fut incroyable de voir Yadira et d’autres travailleuses domestiques qui vivent les mêmes problèmes faire preuve d’autant de dynamisme. J’ai été époustouflée par ce que les travailleuses domestiques trans avaient accompli : campagnes gagnantes, poursuites judiciaires contre les mauvais employeur·ses et travailler ouvertement comme travailleuses domestiques trans.

Ce type de mobilisation, regroupant les personnes marginalisées, incarne l’avenir. Et je ne savais même pas que cela était possible.

La rencontre à laquelle j’ai assisté en juin était très importante pour moi parce que nous, travailleuses domestiques homosexuelles et trans, subissons tellement de stigmatisation et de discrimination. Des rencontres comme celle-ci sont encore plus importantes à l’heure où la crise économique et politique au Nicaragua s’est intensifiée. Les gens sont contraint·es de fuir, il est dangereux d’être dans la rue et les besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits. Les gens ne peuvent pas travailler et sont isolé·es, privé·es de leur système de soutien et sans possibilité de se réunir.
Quand j’ai commencé à travailler, c’était difficile parce que je ne savais ni lire ni écrire. J’anime maintenant des ateliers sur l’émancipation et les droits. On s’appelle les Défenseures des droits humains et du travail. Nous rendons visite à des femmes trans qui travaillent à domicile le jour, et parfois se prostituent la nuit, et nous les éduquons sur leurs droits.

La réalité à laquelle les femmes trans sont confrontées est cruelle. Souvent, notre premier travail est la prostitution et le second, le travail domestique. J’ai été motivée à m’impliquer dans l’organisation parce qu’à 12 ans, j’ai été attaquée et j’ai fini à l’hôpital pendant six mois. L’agresseur m’a si gravement cassé le bras que j’ai eu de la chance de ne pas avoir à l’amputer.

Je vivais dans la rue, je vendais de la drogue, je cherchais du travail. J’ai vu à quel point les hommes ne toléraient pas les femmes trans. J’ai survécu à des coups de couteau sur les bras et la tête. Je savais que je ne pouvais pas continuer comme ça. Beaucoup de femmes trans au Nicaragua ne vivent pas plus de 30 ans.

À 15 ans, j’ai commencé à être travailleuse logée chez l’employeur et je gagnais 20 $ par mois. J’étais la première à me réveiller et à nettoyer toute la maison et la dernière à dormir.

Un jour, une compañera trans m’a emmenée à une réunion au Nicaragua Trans Network qui a organisé des ateliers sur les droits humains, la sexualité et la sensibilisation au VIH. En tant que membre, je me suis rendue dans tous les quartiers de Managua et j’ai fait en sorte que 5 000 personnes se fassent tester. Il est courant pour les femmes trans de prendre des noms de célébrités : j’ai été nommée d’après l’actrice, Yadira Carrillo.

En tant que Défenseures des droits humains, nous nous efforçons de trouver des travailleuses trans dans les bars, restaurants, salons de beauté, casinos, usines et foyers. Nous les invitons à découvrir ce que nous faisons et à s’informer sur leurs heures et conditions de travail.

Les travailleuses domestiques n’ont pas de contrats signés. Le salaire d’une travailleuse domestique trans n’est pas le même que celui d’une femme cisgenre. Les employeur·ses exploitent les femmes trans parce qu’ils et elles savent que nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter ces emplois. Nous louons nos chambres et payons l’électricité, l’eau et la nourriture. Le salaire minimum est de 180 $ (dollars américains) par mois, mais nous gagnons 60 $ par mois pour notre travail.

Notre avenir englobe le droit du travail pour les femmes trans et lesbiennes, le droit à l’accès à la santé et à un logement garanti, et le droit d’être reconnues pour nos compétences et non par notre sexe ou notre identité sexuelle.

Voir l’article original en anglais sur le site de RedPepper