L’accaparement des terres, une nouvelle forme de colonisation ?

Les stratégies d’accaparement

, par CIIP

Les observateurs ont répertorié plusieurs types de motivations, qui parfois se conjuguent, pour expliquer ce phénomène.

Les stratégies de sécurité alimentaire

L’urbanisation croissante des pays du Sud contraint de plus en plus les habitants des villes à dépendre du commerce pour leur alimentation de base, et surtout du commerce international car le libre échange accompagné des subventions dans les pays du Nord ont conduit à abaisser le prix des céréales en dessous du prix de revient des paysans du Sud. Une telle dépendance constitue un risque majeur d’insécurité alimentaire en cas de perturbation grave de ce commerce.

C’est ce qui s’est produit lors de la crise alimentaire de 2007/2008, où les prix mondiaux des aliments de base (blé, riz, maïs) ont brutalement et fortement augmenté. Il ne s’agissait pas de pénuries, mais de mouvements spéculatifs entraînés par la crise du crédit immobilier aux États-Unis.
Ces hausses brutales ont provoqué des émeutes de la faim dans la population urbaine de plusieurs pays (Égypte, Afrique subsaharienne, Caraïbe, etc.) qui ont menacé leur stabilité politique. Plusieurs États importateurs structurels de produits alimentaires ont alors développé des stratégies d’acquisition massive de terres cultivables par leurs fonds souverains pour garantir leur approvisionnement. On a ainsi parlé de "géopolitique des terres arables".

Les stratégies spéculatives des opérateurs financiers

Elles cherchent toujours à produire le profit maximum en termes monétaires, quel que soit l’objet de la spéculation.

En premier lieu, ces stratégies visent à contrôler la production de denrées agricoles faciles à valoriser sur les marchés internationaux. Les cas du soja en Argentine et au Brésil ou de l’huile de palme en Colombie et en Indonésie sont les exemples les plus connus. On assiste ainsi à un prolongement et à une extension sous le contrôle des opérateurs financiers modernes des pratiques de l’époque coloniale pour la production de matières premières agricoles et l’intégration verticale de certaines industries agro-alimentaires : les plantations de caoutchouc, de sucre, de café, de coton, de cacao, etc. ont alimenté le commerce mondial depuis le dix-neuvième siècle.

Plus récemment ces stratégies spéculatives se sont étendues à la production des agrocarburants, dont la valorisation commerciale repose sur la hausse du prix du pétrole, sur les perspectives d’épuisement des gisements d’hydrocarbures et sur l’aggravation de la crise énergétique qui en résulte.

De même sur le terrain de la chasse aux subventions pour le stockage du carbone créées par le protocole de Kyoto (Clean Development Mechanism, art.12 du protocole), on voit également l’implantation de vastes opérations de reboisement ou l’appropriation de forêts pour toucher les primes à la non déforestation.

Les stratégies de contrôle des ressources du vivant

Laisser les opérateurs financiers accaparer les terres favorise les techniques de l’agrobusiness, c’est à dire l’expansion des "nécro-technologies" mises en œuvre par les multinationales agroalimentaires, chimiques et pharmaceutiques aux dépens d’une agriculture paysanne capable de faire progresser les techniques de l’agrobiologie et qui, selon un rapport de la FAO, a la capacité de nourrir la planète.

C’est pourquoi certaines firmes transnationales associées à des fondations de recherche privées, qui ont des intérêts dans les industries agroalimentaires, la production de semences, de pesticides, etc. (notamment la firme Monsanto et la Fondation Rockefeller) ont ouvertement engagé une sorte de guerre à l’autonomie et aux savoir-faire des paysans.

La première étape de cette stratégie fut d’imposer des semences hybrides que les paysans ne pouvaient pas produire eux-mêmes. Elle se prolonge aujourd’hui avec la volonté de contraindre les paysans à utiliser au prix fort des semences d’OGM que non seulement ils ne peuvent pas reproduire, mais qui les obligent à acheter engrais chimiques et pesticides. On a vu en Inde les conséquences tragiques de cette politique avec les milliers de suicides de paysans.