Les seigneurs de la pauvreté du Gabon

, par Pambazuka , SHARIFE Khadija

 

Ce texte, publié originellement en anglais par Pambazuka, a été traduit par Elizabeth Pleiber, traductrice bénévole pour rinoceros.

 

Un filon de minerai de fer valant plusieurs milliards de dollars, des dictateurs à vie, et un système de pouvoir clientéliste – tout ceci fait un mélange toxique pour le peuple du Gabon, écrit Khadija Sharife.

Il est fort probable que les pygmées Ba’aka du Gabon disent bientôt au revoir au poisson fumé et niaho (bonjour en chinois) au tofu, si le marché de l’exploitation du gisement de fer de Belinga, d’une valeur de 3,5 milliards de dollars, attribué à un consortium chinois en 2006, est conclu sans accroc. Le minerai, constituant l’un des derniers gisements majeurs non exploités au niveau mondial, a été découvert pour la première fois en 1885, dans une région reculée couverte de forêts située dans la province Ogooue-Ivindo, et les réserves sont estimées à un milliard de tonnes de minerai dont la teneur en fer est de 64%.

Selon le marché conclu alors par l’ancien dictateur à vie du Gabon - Omar Bongo, le président africain qui est resté au pouvoir le plus longtemps -, 25 années d’exonération fiscale ont été accordées à la Chine. Ceci malgré un retour sur investissement effectif dans les 8 ans et les 90% de bénéfices engendrés par la suite, et malgré les autres exonérations environnementales et para-fiscales, comme le contrôle important accordé aux Chinois sur les infrastructures nationales [1].

Sauf que le Gabon ne dispose que de peu ou pas d’infrastructure : à peine 10% des routes sont goudronnées, et on estime que 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Les droits politiques et civils se limitent à des constitutions stratifiées, et les droits économiques, sociaux et culturels, réalisés à travers des services publics allant des soins de santé à la gestion des déchets, sont inexistants.

Mais il serait erroné de conclure que la politique de développement du Gabon a échoué : plus de 120 multinationales françaises, ainsi que l’élite politique vénale du Gabon, bénéficient du développement à titre privé, collaborant dans le genre de partenariats État-entreprise qui ont été dévoilés dans l’affaire Elf.

Bien que le Gabon figure parmi les 33% des pays ayant le niveau le plus haut de PIB par habitant (14 000 dollars) –4 fois supérieur à la moyenne de l’Afrique subsaharienne- l’élite politique du Gabon règne en maître sur les richesses du pays, provoquant une pauvreté créée de toutes pièces. Et au cas où la population se révolterait, l’important bataillon français d’Infanterie de Marine basé dans la capitale Libreville est prêt à intervenir rapidement, grâce à la « Françafrique ». Le Gabon, connu pour être le point nodal de la « Françafrique », une politique reposant sur des accords secret défense, des multinationales et des dirigeants noirs triés sur le volet, a connu un état de paix imposé depuis la décolonisation [2].

En dépit des propositions de l’Élysée préconisant dans un document défense du mois de juin 2008 la fermeture de la base militaire basée à Libreville, le président français Sarkozy ne s’est pas encore exécuté [3].

« Les Français protègent notre système des menaces internes et externes. En échange, nous soutenons leur politique en Afrique et dans d’autres parties du monde. » a déclaré le conseiller du président du Gabon [4].

Néanmoins, bien que perpétuant la tradition de pouvoir fondé sur le clientélisme, le nouveau dictateur du pays « démocratiquement élu » - Ali Ben Bongo fils – semble vouloir que son pays autrefois subordonné à l’Occident se tourne à présent vers l’Est. Le succès électoral de Bongo fils a été due au « verrouillage » des villes, au harcèlement généralisé et à la violence à l’encontre des partis d’opposition, de la société civile ainsi que des médias stigmatisés depuis longtemps, notamment L’Union, dont l’éditeur Albert Yangari a été arrêté, avant d’être transféré au quartier général des services de renseignements de l’armée [5]. Tous ces faits ne sont pas source d’étonnement pour les Gabonais, qui vivent dans un pays où la sécurité publique est sous le mandat de l’armée, et où le président a le pouvoir d’opposer son veto à toute loi selon son bon vouloir [6].

Fait révélateur, il s’avère que le secrétaire personnel de Bongo fils est d’origine chinoise, tendance qui prolifère sur le continent, lequel a reçu plus de 29,3 milliards de dollars depuis 2002 grâce à des projets de développement d’exploitation de ressources non renouvelables, financés par la société d’état d’export-import de la Banque de Chine (China Exim). Et c’est là que l’on mesure l’intelligence de la Chine : plutôt que d’instaurer des relations de bailleurs de fonds avec des États Africains corrompus et à court d’argent, la Chine - elle-même nation émergente parfaitement consciente des défis socio-économiques – s’assure de capital naturel non renouvelable avec, pour contrepartie, l’apport de développement et de revenus. Ce système de troc a non seulement redéfini le profil « à risque » de l’Afrique – aboutissant à l’appui de la Banque Mondiale aux investissements faits par la société chinoise Exim - mais a aussi induit une perception positive différente de celle des colonisateurs occidentaux.

L’accord ne pouvait pas mieux tomber : le pétrole représente actuellement 80% des recettes à l’exportation, mais la production a fortement baissé, totalisant 270 000 barils par jour, contre 351 890 barils en 1998. Paradoxalement, bien que le pays reste l’un des cinq premiers producteurs de pétrole de l’Afrique subsaharienne, le Gabon conserve à peine deux milliards de barils dans ses réserves en baisse, contrairement au Nigeria avec 36 milliards [7].

Le projet de la mine fer de Belinga, totalement financé par la société d’État d’ export-import de la Banque de Chine (China Exim) comprend des infrastructures minières évaluées à 790 millions de dollars ; deux barrages hydroélectriques conçus pour acheminer l’électricité vers la mine (Grand Poubara et les chutes de Kongou, ce dernier au coût faramineux de 754 millions de dollars) ; 560 km de voies ferrées et la construction d’un port en eaux profondes à Santa Clara afin d’acheminer du Nord-est du Gabon les ressources vers l’Atlantique, et ensuite en destination de Beijing. Il est prévu que les premiers envois vers la Chine commencent en 2011, avec une estimation de 30 millions de tonnes extraites par an [8].

Mais les bénéfices engendrés par des ressources non renouvelables proviennent en grande partie des taxes - dont les taxes sur le minerai (les royalties) et les impôts sur les sociétés, via les ressources spécifiques à chaque région. En attendant, il ne semble pas que la promesse de création des 26 850 emplois puisse jamais être réalisée, du fait que la tendance de la Chine est généralement d’exporter de la main d’œuvre chinoise, sauf pour le personnel des mines. Le coût des lignes de transmission, fournissant de l’énergie en direction des sites d’exploitation, correspond souvent à la moitié du coût du projet, qui laisse de côté les populations en faveur des infrastructures minières.

La construction d’un barrage est envisagé à Kongou, dans le Parc national d’Invindo, situé dans la partie de la forêt vierge d’Afrique Centrale appartenant au Gabon, et ce parc est peuplé d’espèces uniques menacées, dont l’éléphant de forêt. Ce barrage mettrait en péril les « biens communs écologiques » où la population indigène puisait afin d’assurer sa subsistance et ses revenus. Bien avant que les études d’impact sur l’environnement (EIAs) aient été réalisées, la Chine a commencé à goudronner les 42 km de routes en direction des chutes Kongou, favorisant ainsi le braconnage, le trafic d’animaux sauvages et l’exploitation du bois dans l’une des dernières forêts vierges primaires, lesquelles d’absorbent au minimum 20% des émissions de gaz carbonique par an. L’accord a été signé par le Ministre des Mines du Gabon Richard Onouviet.

Qu’est-ce que le Gabon et le monde ont à perdre ?

D’après une étude menée sur 40 ans au Gabon par l’Université de Leeds, cette contribution est évaluée à 13 milliards de dollars par an. À l’échelle mondiale, la forêt vierge d’Afrique centrale arrive en seconde position après la forêt amazonienne. De façon très ironique, les prêts violent les propres directives sociales et environnementales de China Exim – articles six et douze - en matière d’impact social, d’écologie, d’emploi, de sécurité, de santé, de travailleurs immigrés et d’acquisition de terres.

Grâce à Brainforest, organisation non gouvernementale basée au Gabon, à la tête d’un réseau de la société civile locale, China Exim semble avoir ajourné son financement jusqu’à ce qu’une enquête ait été menée sur la China National Machinery and Equipment Import and Export Corporation (CEMEC) sur les violations écologiques présumées. Les efforts de Brainforest ont permis de ramener le périmètre des concessions de 5 000 km carrés à l’origine, au périmètre demandé, à savoir 600 kms carrés.

Mais Belinga reste le seul espoir pour les revenus d’exportation réclamés par Bongo and Co, ainsi que pour une Chine en recherche constante de ressources.

« Quoi qu’il arrive et quoi que l’on dise, Belinga ira de l’avant. » a déclaré Omar Bongo en 2007. L’extraordinaire capacité de Bongo père à saper et « acheter » les partis d’opposition, a fait du Gabon une nation de citoyens emprisonnés, travaillant ferme pour réaliser l’illusion que représente le « drapeau d’indépendance ».Cette situation a permis le « coup khaki » de Bongo fils lors des dernières élections.

Néanmoins, si Beijing laisse son empreinte de manière appropriée, elle sera peut-être le catalyseur nécessaire permettant d’inspirer un mouvement de libération du colonialisme interne et externe, quelle que soit la couleur de la peau.

Cet article a été publié initialement en mai 2010 dans le Harvard World Poverty and Human Rights Journal, dont l’auteure est éditrice assistante. Khadija Sharife est correspondante pour l’Afrique du Sud du magazine The Africa Report et chercheuse invitée au Centre for Civil Society (CCS) en Afrique du Sud.