Les rivières et les lacs du Brésil sont-ils en train de disparaître ?

, par Autres Brésils, Outras Palavras

Un rapport expose la gravité de la situation : en 35 ans, le pays a vu 15% de sa surface en eau s’assécher. Dans l’État du Mato Grosso do Sul, la perte a été de 57%. La réduction la plus importante a eu lieu près des frontières agricoles ; les températures extrêmes et la construction de barrages aggravent ce processus de destruction.

Au Brésil, la sécheresse menace dans de nombreuses régions du pays. Crédit : Water Alternatives Photos (CC BY-NC 2.0)

Le Brésil s’assèche : c’est la conclusion à laquelle est arrivée l’analyse des images satellites couvrant l’ensemble du territoire national, réalisée par l’équipe du programme MapBiomas entre 1985 et 2020. Les données, qui seront disponibles pour toutes les parties intéressées à partir de ce lundi (23/08) sur le site web MapBiomas, indiquent une nette tendance à la perte de surface en eau dans 8 des 12 régions hydrographiques et dans tous les biomes du pays. En 2020, la surface couverte par l’eau au Brésil était de 16,6 millions d’hectares, soit une surface équivalente à celle de l’État de l’Acre ou à presque quatre fois celle de Rio de Janeiro. Depuis 1991, date à laquelle elle atteignait 19,7 millions d’hectares, on constate une réduction de 15,7 % de la superficie des terres immergées du pays. La perte de 3,1 millions d’hectares en 30 ans équivaut à plus d’une fois et demie la surface en eau de toute la région Nordeste en 2020.

"Les changements dans l’utilisation et la couverture des sols, la construction de barrages et d’installations hydroélectriques, la pollution et la surutilisation des ressources en eau pour la production de biens et de services ont altéré la qualité et la disponibilité de l’eau dans tous les biomes brésiliens. Dans le même temps, les sécheresses et les inondations extrêmes liées au changement climatique, ont accru la pression sur les masses d’eau et les écosystèmes aquatiques", explique Carlos Souza, coordinateur du groupe de travail Água du programme MapBiomas. "Si nous ne mettons pas en œuvre la gestion et l’utilisation durable des ressources hydriques, en prenant compte des différentes caractéristiques régionales et des effets interconnectés avec l’utilisation des sols et le changement climatique, il sera impossible d’atteindre les objectifs de développement durable", prévient-il.

L’État qui a enregistré la plus grande perte absolue et proportionnelle de surface en eau dans la série historique de 35 ans analysée par l’équipe de MapBiomas, est le Mato Grosso do Sul, avec une réduction de 57 %. Si en 1985, l’État disposait de plus de 1,3 million d’hectares couverts par l’eau, en 2020, il n’en avait qu’un peu plus de 589 000. Plus de 780 000 hectares d’eau ont été perdus au cours de cette période. Cette réduction s’est principalement produite dans le Pantanal [1], mais l’ensemble du bassin du Paraguay est affecté par la réduction de la surface en eau. En deuxième position, on trouve le Mato Grosso, avec une perte de près de 530 000 hectares, suivi du Minas Gerais, avec un solde négatif, entre l’eau qui est entrée et celle qui a disparu, de plus de 118 000 hectares.

De nombreux espaces concernés par la plus grande réduction de la surface en eau sont proches des frontières agricoles. Cette situation amène à penser que l’augmentation de la consommation et la construction de petits barrages dans les exploitations agricoles - qui provoquent l’envasement et la fragmentation du réseau de drainage - venant s’ajouter à la déforestation et à l’augmentation de la température, sont des facteurs qui peuvent expliquer la diminution des étendues d’eau au Brésil. Selon le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations Unies, l’augmentation de la température de la planète de 1,5°C, en grande partie due aux actions humaines, peut contribuer à ce processus de réduction de la surface en eau au Brésil.

Plusieurs exemples mettent en évidence les effets combinés de l’utilisation des terres et du changement climatique. C’est le cas du fleuve São Francisco, qui traverse les zones du Cerrado [2] et de la Caatinga [3]. Les données analysées montrent qu’il existe une tendance à la diminution de la surface en eau, principalement sur la rive gauche, où se trouvent les régions de frontières agricoles. Cette réduction a été constatée au cours des 15 dernières années, elle coïncide avec la période d’expansion agricole dans le Matopiba [4]. La plus grande consommation d’eau découlant de ces activités, combinée à l’envasement du lit du fleuve en raison de fortes interventions et de périodes de sécheresse typiques de la région traversée par le Velho Chico [5], a entraîné une réduction de 10 % de sa surface en eau au cours des quinze dernières années. À son embouchure, les communautés en ressentent déjà les effets, avec l’invasion du fleuve par la mer.

Un autre fleuve majestueux qui perd de sa vigueur est le rio Negro, en Amazonie. On constate une tendance généralisée à la diminution de la surface en eau dans son sous bassin [6] hydrographique. En considérant le début et la fin de la période analysée, on constate qu’il a perdu plus de 360 000 hectares de surface en eau, soit 22%. Le signe de déclin le plus marqué s’est produit entre 1999 et 2000 avec une réduction de plus de 560 000 hectares, soit une différence d’un peu plus de 27 %.

Selon MapBiomas Fogo, la municipalité de Corumbá, dans le Mato Grosso do Sul, est celle qui a le plus souffert des incendies entre 1985 et 2020 et qui, selon MapBiomas Água, a perdu le plus de ressources en eau durant cette période. Cáceres, la cinquième ville la plus affectée par les incendies, est la deuxième en termes de perte de surface en eau.

"Les cycles du feu et de l’eau sont interconnectés et se nourrissent l’un l’autre. La diminution de l’eau rend la terre et la matière organique qui s’y dépose, plus vulnérables aux incendies. L’augmentation des incendies supprime la végétation qui joue un rôle crucial dans le maintien des sources et des zones humides", explique Tasso Azevedo, coordinateur du programme MapBiomas.

Surfaces naturelles et anthropiques

Les structures anthropiques telles que les barrages, les lacs artificiels et les retenues d’eau contribuent à modifier les schémas hydrologiques des régions. Dans la Pampa, il existe une forte densité de réservoirs artificiels destinés à l’irrigation de la culture du riz. La majorité d’entre eux a été construite avant 1985. Au cours de la période analysée par le programme MapBiomas Água, de 1985 à 2020, la création de nouvelles retenues d’eau s’est poursuivie, notamment dans les municipalités de Dom Pedrito et Uruguaiana, toutes deux situées dans le Rio Grande do Sul. Bien que la Pampa présente la plus faible tendance à la réduction de la surface en eau, on constate cependant une réduction de près de 2300 hectares. Dans le Cerrado, l’eau « naturelle », provenant de rivières non touchées par l’action humaine, perd de l’espace au profit de l’eau anthropique des réservoirs. Pour ce qui est de la Mata Atlantica [7], les données montrent que le biome n’a pas réussi à sortir indemne des crises hydriques qui se sont produites entre 2001 et 2015 puisqu’il présente des diminutions significatives au cours de ces années en dépit d’une quantité importante de structures artificielles destinées au stockage de l’eau. Dans la Caatinga, les structures anthropiques n’ont pas non plus empêché cette diminution. Suite à la construction de structures de captage d’eau, le biome a connu une augmentation de 13 % de la surface en eau entre 2004 et 2009. Depuis lors, cependant, il a subi une réduction de 30 % en raison de périodes de sécheresse prolongée.

La perte de surface d’eau naturelle due au stockage dans des structures artificielles a des conséquences inquiétantes car elle modifie le régime hydrique, portant atteinte à la biodiversité et à la dynamique des rivières. Le Pantanal en est un bon exemple, avec la construction de centrales hydroélectriques sur les rivières qui composent le biome. Des dizaines d’autres barrages sont également prévus dans cette région alors même qu’ils n’apporteront qu’une faible contribution au réseau électrique et sont la source de grands impacts potentiels.

"Ils s’ajoutent à un modèle de production agricole et d’élevage qui modifie le régime de drainage de l’eau et intensifie le dépôt de sédiments, réduisant ainsi le débit de l’eau. Si ce modèle de développement n’est pas revu, l’avenir du Pantanal est compromis", explique Cássio Bernardino, coordinateur de projets pour le WWF-Brésil.

Où se trouve l’eau au Brésil ?

Le Brésil possède 12 % des réserves d’eau douce de la planète, 53 % des ressources en eau de l’Amérique du Sud. Il existe 83 rivières frontalières et transfrontalières, ainsi que des bassins hydrographiques et des aquifères. 60% des bassins hydrographiques transfrontaliers se trouvent sur le territoire brésilien. Le biome ayant la plus grande superficie de terres immergées au Brésil est l’Amazonie, avec plus de 10,6 millions d’hectares de superficie moyenne [8] ; viennent ensuite la Mata Atlantica (plus de 2,1 millions d’hectares) et la Pampa (1,8 million d’hectares). Le Pantanal est en cinquième position, avec une superficie moyenne d’un peu plus d’un million d’hectares, après le Cerrado (1,4 million d’hectares).

Au sujet du programme MapBiomas Água. Il s’agit d’une initiative sans précédent de cartographie de la dynamique des eaux de surface et des masses d’eau ; elle couvre l’ensemble du territoire brésilien depuis 1985. À l’instar de MapBiomas Fogo, la série Water a analysé plus de 150 000 images générées par les satellites Landsat 5, 7 et 8 de 1985 à 2020. À l’aide d’un programme d’intelligence artificielle, cet organisme a pu analyser la surface en eau de chaque pixel de 30 m X 30 m des 8,5 millions de kilomètres carrés du territoire brésilien. Réalisé au cours des 36 années entre 1985 et 2020, ce travail permet de distinguer les masses d’eau naturelles des masses d’eau anthropiques. Au total, 108 téraoctets d’images ont été traités, révélant des zones, des années et des mois de plus ou moins grande couverture en eau. La méthode permet également d’identifier, mois par mois, la zone en eau de la période étudiée ainsi que les transitions et les tendances. Les données peuvent être consultées sous forme de cartes et de statistiques annuelles, mensuelles et cumulatives pour toute période comprise entre 1985 et 2020 sur la plateforme https://agua.mapbiomas.org/ qui est en accès libre.

À propos de MapBiomas. Il s’agit d’une initiative multi-institutionnelle, impliquant des universités, des ONG et des entreprises technologiques. Son action est axée sur le suivi des transformations de la couverture et de l’utilisation des sols au Brésil. Cette plateforme constitue aujourd’hui la base de données spatiale la plus complète, la plus à jour et la plus détaillée sur l’utilisation des sols d’un pays. Elle est également en libre accès. Toutes les données, cartes, méthodes et codes de MapBiomas sont accessibles gratuitement au grand public sur le site web de cette initiative : https://mapbiomas.org/ .

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Notes

[1C’est une écorégion terrestre d’Amérique du Sud appartenant au biome des prairies et savanes inondées. Il s’étend principalement dans l’État brésilien du Mato Grosso do Sul, mais aussi dans celui du Mato Grosso et recouvre une portion plus petite de la Bolivie et du Paraguay

[2Situé au centre du pays, il couvre environ 2 millions de km2, soit environ 23% de la surface terrestre du pays. Dans le langage courant, le Cerrado désigne la savane Brésilienne. C’est la savane la plus riche du monde, on y compte plus de 160 000 espèces de plantes et d’animaux.

[3La Caatinga se caractérise par une flore adaptée aux régions sèches et une forêt essentiellement composée d’arbres épineux, de feuillus, de cactus, de plantes à écorce épaisse et d’herbes adaptées aux milieux arides. Elle couvre une portion du Nordeste

[4Le Matopiba est une région formée principalement de zones de savane dans les États du Maranhão, du Tocantins, du Piauí et de la Bahia, où l’agriculture s’est développée depuis la seconde moitié des années 1980.

[5Nom populaire donné au rio São Francisco

[6Ce terme renvoie à l’idée d’un bassin à une échelle plus petite. Pour certains géographes, il renvoie aux aires de drainage des affluents du cours d’eau principal.

[7C’est un biome de type forêt tropicale humide localisé le long du littoral du Brésil et qui s’étire jusqu’à l’extrême-nord de l’Argentine.

[8Elle varie selon les saisons

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Traduction pour Autres Brésils : Roger Guilloux
Relecture : Marion Daugeard