La longue marche des Roms vers la conquête de leurs droits

Les représentations aux yeux des autres

Comment les Roms sont vus et se voient

, par CIIP

Les Roms, "éternels étrangers de l’intérieur", sont victimes de préjugés et stéréotypes depuis des siècles. Stéréotypes qu’ils entretiennent parfois involontairement eux-mêmes du fait de leur situation en marge de la société. Mais avec le brassage des populations en Europe les mentalités évoluent peu à peu et les Roms ont désormais davantage les moyens de faire entendre leur voix.

Sans insister sur les clichés les plus courants (vagabonds, mendiants, voleurs de poules ou d’enfants, gitanes lascives ou musiciens virtuoses...) leurs modes de vie et leurs valeurs sont perçus comme incompatibles avec ceux des autres Européens. Ils sont vus comme nomades alors qu’en Europe 90 % sont sédentaires ; ils se fixent quand ils sont bien accueillis.
On les croit inadaptés à l’école, à l’économie de marché, à la citoyenneté... et, croit-on, pour "réussir" dans la vie ils devraient s’affranchir de leur culture. Comme ils sont peu ou mal représentés, on estime qu’il faut parler en leur nom, leur déniant le droit de s’auto-définir.
Ils apparaissent donc comme suspects a priori, sinon dangereux. Ils sont facilement considérés comme délinquants, alors que le taux de délinquance n’est pas plus élevé chez eux que dans les classes sociales équivalentes, c’est-à-dire les plus défavorisées.
En France, on accuse volontiers les Roms non-français, surtout les Roumains, de profiter des avantages sociaux sans travailler. Or, pour ceux n’ayant qu’un visa touristique, ils n’ont pas le droit de travailler et sont donc contraints à la mendicité ou au travail au noir pour survivre.
Ils n’entrent pas dans les cadres et leur culture "inassimilable" dérange.

Parallèlement à ces incompréhensions qui suscitent le rejet, la communauté rom exerce une fascination incontestable sur les "gadjé". Celle-ci se manifeste dans la plupart des expressions littéraires et artistiques : c’est le thème des "enfants de Bohême", symboles de liberté, de passion amoureuse, de poésie de l’évasion et du rêve (voir l’image de la cigarette Gitane !) Sans oublier la séduction de la musique et de la danse...
Quelques œuvres littéraires célèbres ont contribué à façonner la représentation des communautés roms dans l’imaginaire collectif : le personnage d’Esmeralda dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo ou la Carmen de Mérimée, exaltée dans l’opéra de Bizet. C’est aussi, dans une moindre mesure, "La petite gitane" de Cervantès ou "Noces de sang" de Garcia Lorca...
De nombreuses chansons reprennent ce thème comme "L’étrangère" de Louis Aragon, chantée par Léo Ferré, "Les derniers Tsiganes" de Michelle Senlis, chantée par Léo Ferré, "Le Gitan" de Daniel Guichard, "La Gitane" de Félix Gray, "Les Gitans" chantée par Dalida...
La peinture nous offre de multiples représentations, depuis "Le diseur de bonne aventure" du Caravage jusqu’aux "Roulottes" de Van Gogh et "La Bohémienne endormie" du Douanier Rousseau, en passant par Georges de La Tour, Frans Hals, Courbet ou Renoir (voir Wikimedias commons : plus de 80 fichiers sur ce thème).

Cependant, à force d’évoquer systématiquement les singularités de ces peuples roms, on risque de créer une image fantasmatique, une sorte de type universel, un mythe qui ne correspond pas à la réalité. La généralisation mène à une vision limitée et statique alors que leur identité est à comprendre dans une vision pluraliste et dynamique.

Le cinéma peut nous donner une clé de lecture : à la fois reflet des stéréotypes et leur déconstruction dans la confrontation au réel, balancement entre curiosité et méfiance, fascination et répulsion.
On retrouve le personnage d’Esmeralda dans "Notre-Dame de Paris" de Jean Delannoy (1956) et celui de "Vénus", la belle gitane amoureuse dans "Cartouche" de Philippe de Broca (1962)
Des histoires d’amour et de mort comme "Les Tsiganes montent au ciel" d’Emil Loteanu (URSS 1976) et "Carmen" de Francesco Rosi (France/Italie 1984) films où la musique et la danse tiennent la première place. Des films plus réalistes qui portent un regard plus social, plus ethnographique comme "J’ai même rencontré des Tsiganes heureux" d’Aleksandar Petrovic (Youg. 1967), "Le Cheval venu de la mer" de Mike Newell (E.U/Irlande 1992)
Mais c’est surtout la vision baroque d’Emir Kusturica qui illustre le monde des Roms, à la fois réel et rêvé, drôle et tragique, dans "le Temps des Gitans" (Youg.1988) et "Chat noir, chat blanc" (France/Allemagne/Serbie 1998). Là également la musique est omniprésente.
Enfin, avec Tony Gatlif, de mère gitane et de père algérien, c’est un regard de l’intérieur qui nous est offert : il revendique l’identité rom et il est engagé dans la défense des peuples roms en Europe.
Son œuvre (les Princes, Gadjo Dilo, Vengo, Swing) témoigne de l’importance de l’errance, la quête de soi, les solidarités communautaires et l’ouverture à l’universalité par la musique et la danse.
Très soucieux de la transmission culturelle, il met en garde : si la population gitane est en train de se perdre, ce n’est pas par les préjugés ou le racisme mais par la télévision qui fait oublier la langue et les traditions.

Depuis quelques décennies, des associations se créent, des revues spécialisées naissent, des émissions et des sites se multiplient pour faire entendre la voix des Roms eux-mêmes : "Les Roms debout et acteurs !"
Le 8 avril a été décrété journée mondiale des Roms lors du premier congrès mondial des Roms à Londres en 1971.
Citons la revue "Les Études tsiganes" et la maison d’édition "Wallada" qui s’est consacrée à la littérature tsigane, publiant romans, poèmes et BD. Dans sa collection Waroutcho, elle a fait paraître le premier romancier tsigane, de la famille des Kalderash, Matéo Maximoff (1917-1999).
Des expositions sont organisées dans le cadre d’associations comme la Maison du Livre à Bruxelles ou le Centre de Documentation Culturel des Sinti et Roms d’Allemagne à Heidelberg.