Défis et alternatives face au changement climatique

Les nouvelles figures du climatoscepticisme

, par Basta ! , CHAPELLE Sophie

Difficile aujourd’hui de nier frontalement le changement climatique et la contribution principale de l’activité humaine. Même les médias de masse sont moins tentés d’ouvrir leurs portes aux climatosceptiques aguerris comme Claude Allègre. Mais en évitant de prendre la mesure des changements à réaliser pour limiter le plus possible un réchauffement, d’autres formes de climatoscepticisme plus discrètes ou sournoises, conscientes ou inconscientes, apparaissent derrière un discours teinté en vert.

Climatosceptique. « Douter, sinon du réchauffement climatique, du moins de la responsabilité des activités humaines dans ce phénomène. » C’est en ces termes que les linguistes ont fait entrer les climatosceptiques dans le dictionnaire en 2015. Mais sont-ils toujours très actifs en France ? L’une des figures les plus médiatiques en la matière est Claude Allègre. Dans son livre, L’imposture climatique paru en 2010, l’ancien ministre accuse notamment les climatologues d’avoir « cadenassé les revues scientifiques » à l’aide d’un « système mafieux et totalitaire » pour imposer leurs vues aux contradicteurs. Il admet bien la réalité du réchauffement climatique mais les activités humaines n’y seraient pas pour grand-chose...

Les propos de Claude Allègre l’amènent à être disqualifiés par plus de 600 chercheurs en sciences du climat qui publient un courrier de protestation contre son ouvrage, dans lequel ils relèvent de nombreuses erreurs factuelles et des dénigrements [1] . Aujourd’hui, mis à part le philosophe Luc Ferry toujours prompt à faire la promotion du dernier livre d’Allègre dans les pages du Figaro [2], rares sont les médias qui continent de lui ouvrir leur plateau.

Le climatoscepticisme « à l’ancienne », en voie de disparition

A défaut d’une présence dans les colonnes des journaux, Claude Allègre, géochimiste, officie à l’Académie des sciences aux côtés de Vincent Courtillot, géophysicien et climatosceptique revendiqué. Cette instance, qui concourt à la représentation de la science française, doit adopter un avis sur le climat, en prévision de la conférence internationale sur ce sujet à Paris fin novembre (COP21). Or, comme le relate Le Monde [3], la nouvelle charte de l’expertise de l’Académie prévoit qu’en cas de désaccord au sein d’un groupe de travail, un avis minoritaire – comme celui de Vincent Courtillot qui jette le doute sur la responsabilité humaine dans le dérèglement climatique et met en avant l’influence du Soleil – peut être annexé à l’avis majoritaire. Or, une telle annexe ferait très mauvaise figure auprès de la communauté internationale lors de la COP21...

« Il est vrai que depuis le sommet de Rio de 1992, il y a dans le milieu scientifique et dans certaines disciplines, des gens qui sont hostiles à l’environnement, analyse Amy Dahan, directrice de recherche émérite au CNRS [4]. L’environnementalisme est perçu comme un frein à la science, comme rétrograde et contraire à l’idée de progrès scientifique et technique. Si les climatosceptiques affichés et explicites sont plutôt en petit nombre, l’environnementaliste clive le milieu scientifique de façon forte en France, mais aussi aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. »

Le climatoscepticisme toujours très anglosaxon

Si le climatoscepticisme demeure plutôt le fait d’individus isolés en France, il existe aux États-Unis une nébuleuse de groupes de think tank contestant l’existence du réchauffement climatique, très proches du parti républicain. Ce dernier concentrerait 53 % de climatosceptiques à la Chambre des représentants et 70 % au Sénat [5]. Début mai, de l’autre côté du Pacifique, Maurice Newman, un proche conseiller du premier ministre australien Tony Abbott [6], affirme que le réchauffement climatique est une invention défendue par les Nations unies pour « créer un nouvel ordre mondial (...) opposé au capitalisme et à la liberté »  [7]. « J’observe que plus on monte en responsabilités et en âge – le point culminant étant le chef d’entreprise de 60 ans ou le parlementaire – plus ce climatoscepticisme est clairement exprimé  », note Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue et membre du Giec [8].

En réponse aux climatosceptiques qui refusent de bouleverser une économie mondiale reposant sur la consommation de combustibles fossiles, la dynamique des mouvements d’opposition s’accélère. Emblématique, The Guardian a lancé depuis janvier 2015 la campagne Keep it in the ground (laissez les [combustibles] dans le sol) en multipliant notamment les enquêtes sur les financeurs de ces think tank climatosceptiques. Le quotidien britannique a aussi choisi d’appuyer le mouvement de désinvestissement auquel participent quelque 220 institutions à travers le monde. Détenant un total de plus de 50 milliards de dollars d’actifs (44 milliards d’euros) selon l’ONG 350.org, l’ensemble de ces acteurs s’engagent à se défaire de leurs participations dans les énergies fossiles.

Le climato-techno-béat

« Le champ du climatosepticisme s’est déplacé, relate Pablo Servigne, chercheur indépendant, co-auteur de Comment tout peut s’effondrer [9]. On n’est plus face à des gens qui dénient le réchauffement climatique mais face à des personnes qui pensent que la technologie va nous sauver. » Très médiatisée, Maud Fontenoy, ex-navigatrice ayant intégré la commission exécutive du parti Les Républicains en tant que déléguée à l’environnement, en est une illustration parfaite. Elle se dit « viscéralement engagée sur la protection de l’environnement depuis plus de quinze ans », tout en défendant pêle-mêle diesel, nucléaire, OGM et gaz de schiste. Un grand écart totalement assumé par celle qui prétend défendre une écologie «  réaliste et modérée  ».

Cette proche des grands patrons remercie d’ailleurs dans son dernier livre, le patron du Medef Pierre Gattaz, mais aussi Vincent Bolloré dont le groupe fait partie de la trentaine de soutiens de la Fondation Maud Fontenoy. Tous encouragent d’une manière ou d’une autre la croissance verte et les nouvelles technologies – à l’image des véhicules électriques promus par Bolloré et vastement encouragés dans le cadre de la loi sur la transition énergétique portée par Ségolène Royal. «  Les mythes sont toujours plus forts que les faits, analyse Pablo Servigne. Notre mythe, c’est la croissance infinie, la techno-science qui domine la nature. » De la recherche de techniques de manipulation du climat à grande échelle – la géo-ingénierie – à la construction des grands barrages amazoniens, « le climato-techno-béat » appuie sur l’accélérateur, sans visibilité aucune. Ni discernement.

Le climato-washing

Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, a récemment rendu public la liste des sponsors de la COP21. Y figurent notamment deux firmes, Engie (ex GDF Suez) et EDF. Comme le souligne le contre-rapport de l’Observatoire des multinationales, Engie s’affiche volontiers comme un champion de la transition énergétique. Pourtant, seuls 4 % de la production d’énergie du groupe sont issus de sources renouvelables.

Le reste provient du gaz, du charbon (qui émet 30 % de plus de CO2 que le gaz naturel), du nucléaire et des grands barrages, érigés notamment en Amazonie brésilienne avec des impacts sociaux et environnementaux désastreux. Même cas de figure pour EDF qui n’a rien, ou presque, mis en œuvre pour augmenter ses capacités de production en matière d’énergies renouvelables. Face au climato-washing des industriels, les politiques continuent de nier, non pas le réchauffement climatique en tant que tel, mais les conséquences à en tirer.

Même cas de figure à l’échelle européenne. 94 % des rendez-vous du commissaire européen au climat, Miguel Arias Cañete, depuis sa prise de fonction il y a six mois, se sont tenus avec des lobbyistes du business, représentant les secteurs du fossile [10]. Pour le vice-président à l’énergie, Maroš Šefčovič, ce chiffre atteint les 70 %. « La manière dont l’Union européenne agira les cinq prochaines années aux niveaux international et régional sera clé pour décider si nous évitons un changement climatique catastrophique, interpelle Pascoe Sabido, chargé de campagne pour l’Observatoire européen des entreprises (CEO). Mais Cañete & co sont trop proches de l’industrie des fossiles pour arrêter de foncer tête baissée dans un désastre climatique  ». Miguel Arias Cañete a présidé jusqu’en 2012 une compagnie pétrolière domiciliée dans un paradis fiscal et dont il est toujours actionnaire. Il est aussi critiqué par les écologistes espagnols pour avoir autorisé l’extraction de gaz de schiste et la fracturation hydraulique.

Le climato-opportuniste

Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, le martèle : elle a la volonté de ne pas faire de l’écologie punitive. En creux se dessinent des motivations électorales. « Le climat n’est pas dans l’agenda des priorités des gens qui ont d’autres préoccupations plus immédiates comme le travail, ils se disent que le changement climatique est loin, observe Amy Dahan. Or, cette extrême variété de l’appréciation du risque climatique existe de façon très large et c’est bien ça le problème sociétal ! A Copenhague déjà, les chefs d’Etats qui étaient sensés sauver le climat s’adressaient à une opinion publique dont ils savaient qu’elle n’était pas prête à des sacrifices extraordinaires pour le climat. Il y a bien sur la responsabilité des politiques, mais aussi la maturité insuffisante de l’état de l’opinion publique mondiale, en particulier chez les sociétés développées. »

La croissance verte est ainsi devenue le nouvel adage des gouvernements. Et les lobbies industriels ont bien décidé de profiter du discours « vert ». Ils seraient de moins en moins nombreux à contrer le discours du réchauffement climatique, selon Sylvain Laurens, maitre de conférence à l’EHESS. « L’enjeu pour les entreprises, explique ce chercheur spécialiste des lobbys patronaux européens, n’est plus de s’opposer fondamentalement aux normes environnementales mais de miser sur ces normes pour qu’elles pénalisent la concurrence. Elles vont par exemple faire en sorte que les normes de production de plastique sur le marché européen soient relevées pour écarter les entreprises chinoises. » Une conversion « écologique » accompagne ainsi la stratégie économique des groupes industriels pour disqualifier les concurrents. « Partout où des niches se créent, où l’on peut retourner l’argument écologique contre la concurrence, les grands groupes reconnaissent le problème écologique.  » Un véritable climato-opportunisme est en marche.

Le climato-invisible

Il y a également ceux qui développent leur non prise de position sur le sujet. «  Il y a certains partis qui, dans leur déclaration politique, ne parlent pas de changement climatique : c’est le Front national. Je le comprends donc comme climatosceptique non revendiqué  », souligne Valérie Masson Delmotte. La vision climatosceptique du FN se traduit par l’abstention ou l’opposition quasi-systématique des conseillers régionaux frontistes sur les délibérations concernant les questions environnementales [11].. En février 2012, le groupe FN en Nord-Pas-de-Calais a par exemple voté contre une évaluation de la lutte contre le changement climatique.

« Plus on va aller vers la possibilité d’un accord contraignant lors de la COP21, plus le climatosceptiscisme va s’exprimer fortement, confie Valérie Masson Delmotte. Je redoute un scénario comme en 2009, au sommet de Copenhague, où il y avait eu ce climategate [12], avec cette volonté de trainer dans la boue les gens du Giec. Pour l’instant il y a plutôt une sorte d’indifférence : comme les engagements volontaires sont assez mous, il n’y a même pas eu cette bataille là !  ».

Notes

[2Claude Allègre vu par Luc Ferry, Le Figaro, 19 février 2015.

[3Regain climatosceptique à l’Académie des sciences, Le Monde, 21 mai 2015.

[4Amy Dahan est co-auteure avec Stefan Aykut de Gouverner le climat ? 20 ans de négociations internationales (Ed. Presses de Sciences Po, 2015)

[5Source : Center for American Progress

[6Tony Abbott est « climato-sceptique » notoire ayant qualifié le lien entre activité humaine et réchauffement climatique de « connerie absolue »

[7The UN is using climate change as a tool not an issue », The Australian, 8 mai 2015.

[8Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, mis en place par l’Onu

[9Ed. du Seuil, 2015.

[10« Big energy has "privileged access" to top EU climate officals, claim campaigners », The Guardian, 28 mai 2015.

[11Municipales : le visage anti-social et anti-écolo du Front National, www.bastamag.net http://www.bastamag.net/Conseils-regionaux-le-visage-anti, 20 mars 2014

[12En novembre 2009, des hackers divulguent la correspondance privée de plusieurs climatologues, dont certains collaborent à l’élaboration des rapports du Giec. Ces pirates perçoivent dans ces échanges la preuve des manipulations de données. Nature, une revue scientifique de référence, estime cette affaire « risible » : « rien dans ces mails ne remet en cause le fait scientifique que le réchauffement est réel ». En vain, le « climategate » embrase la blogosphère.