Les migrants acteurs des sociétés et du monde

Réseau IPAM (Initiatives pour un autre monde), novembre 2003

, par MASSIAH Gustave

Les flux migratoires sont au cœur du développement et du système mondial. Les questions des migrants et des étrangers sont des révélateurs de nos sociétés et des analyseurs du monde que nous voulons construire. Il faut rappeler le rôle historique des flux migratoires, et des migrants en tant qu’acteurs déterminants, dans le développement des sociétés d’origine et des sociétés d’accueil. Rappeler aussi que les flux migratoires sous leurs différentes formes (diasporas, réfugiés, migrations économiques, demandeurs d’asile, exode des cerveaux et assistance technique, etc.) structurent l’espace mondial et la mondialisation.

Texte proposé par le réseau IPAM

  • Il est impossible de réfléchir au développement et au système mondial en dehors des flux migratoires.

Ceux qui partent le font rarement volontiers. Peu d’entre eux sont attirés par les pays riches ; ils vont où ils peuvent et l’écrasante majorité des flux migratoires sont des flux Sud/Sud. Ils partent pour des raisons diverses, réfugiés chassés par les guerres et les conflits, les catastrophes ; émigrés économiques à la recherche de moyens de survie pour eux ou pour leur village. La modernité imposée, accélérée par la mondialisation bouleverse les sociétés et les déséquilibres alimentent les flux migratoires. Le rapport entre émigration et développement est complexe ; dans une première phase, le développement accentue l’émigration et c’est bien longtemps après que les flux se tarissent, voire s’inversent.

  • Dès leur arrivée, les migrants font de la coopération et contribuent au développement de leur région d’origine.

La coopération des migrants s’inscrit dans une conception endogène du développement. Elle concerne au premier chef le développement local, la mobilisation de l’épargne domestique, la création de services locaux de proximité dans des villages et des quartiers, l’élévation du niveau de qualification et d’ouverture des groupes locaux. Certes, les difficultés et les contre-effets ne manquent pas (gaspillage de ressources, détournements d’objectifs et de moyens, etc.), mais ils peuvent être corrigés et n’empêchent pas l’intérêt majeur de la direction indiquée : des actions correspondant à une demande populaire et à la mobilisation des dynamiques internes. C’est une réponse au développement à l’échelle mondiale, révélée par la place des flux migratoires, mettant en avant le développement à la base et la participation.

  • Les modalités de coopération mises en place par les migrants prennent différentes formes qu’il faut rendre visibles.

Au niveau macroéconomique, les flux financiers des migrants sont du même ordre de grandeur que l’Aide Publique au Développement ; environ 8 milliards d’euros pour la France. Les conséquences pour les revenus des ménages et la balance des paiements des pays d’origine sont considérables. Les projets soutenus par les migrants correspondent à une demande locale et à des besoins de proximité. Enfin et surtout, les flux arrivent directement à la base, dans les ménages les plus pauvres, avec un minimum de " dérivation ".

  • Les migrants sont un vecteur stratégique et privilégié de la sensibilisation des sociétés à la solidarité internationale, en France, en Europe et dans les pays d’origine.

Les enjeux sont multiples. Permettre à une partie importante de la population française et vivant en France de s’investir activement dans des actions de solidarité internationale, le reconnaître et développer les canaux de cette implication, c’est renforcer un des meilleurs moyens de la dignité et de l’intégration. S’appuyer sur la richesse et la diversité des habitants et des citoyens en France, c’est ancrer la solidarité internationale dans la réalité des quartiers, des communes et des régions, c’est construire un niveau supérieur d’identité et d’unité en France, c’est ouvrir la France au monde. Enfin, la coopération des migrants illustre de mille façons l’intérêt et le rôle stratégique du partenariat entre des groupes et des associations, objectif et moyen de la coopération entre les sociétés comme alternative à un système international fondé sur la domination.

  • Les migrants sont aussi les acteurs du développement dans les pays d’accueil.

Inutile de rappeler ici la contribution du travail des migrants à la richesse des sociétés qui les accueillent. Mais, ils sont bien mal récompensés. Après les avoir exploités, il s’agit de les marginaliser, voire de s’en débarrasser. Les migrants occupent aujourd’hui, dans l’imaginaire des sociétés mondialisées, la place des " classes laborieuses, classes dangereuses ", réservée, il y a quelques décennies, au prolétariat. La mise au ban des migrants et des étrangers fait partie d’une politique de précarisation généralisée. Celle-ci, dans le cours actuel de la mondialisation, repose sur deux fondements : les inégalités sociales et les discriminations, les inégalités entre pays et la domination du Sud par le Nord. Les migrants sont au cœur de ces deux questions.

  • Accepter de faire des étrangers et des migrants les boucs émissaires de cette situation est dangereux et illusoire.

Comme ils ne sont ni la cause ni la solution à cette situation, leur stigmatisation ne fera qu’augmenter les craintes, alimentera le racisme et entraînera toute la société dans une spirale régressive. La défense des droits des étrangers et des migrants est essentielle. Non seulement parce que leurs droits sont particulièrement contestés ; mais aussi parce que ces droits s’inscrivent dans l’ensemble des droits et que leur remise en cause se traduira par une atteinte à tous les droits et aux droits de tous.

  • La question des migrations et des migrants est au cœur de la construction du droit international.

La garantie du respect des droits des migrants doit être renforcée dans le droit international. Le droit international ne peut être subordonné au droit des affaires et réglé par l’Organisation Mondiale du Commerce. Accepter que les migrants soient considérés comme des marchandises c’est accepter un pas de plus dans la marchandisation de l’espèce humaine. Dans l’immédiat, nous devons demander que le gouvernement français, les autres gouvernements européens et l’Union Européenne, ratifient la " Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille " approuvée le 18 décembre 1990 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Le droit de l’immigration est une partie essentielle du droit international à construire, une des approches qui concourre à rendre ce droit universel.

La liberté de circulation des personnes est toujours considérée comme hors de propos.

Alors que la libre circulation des marchandises et des capitaux s’est imposée et a été imposée. La législation en vigueur produit des " sans-papiers" et alimente les filières du travail clandestin. La réduction des droits pour les étrangers, l’existence cyniquement acceptée d’une population sans droits remet en cause le principe de l’égalité des droits. L’Europe cadenassée se construit comme une forteresse, arrogante et humiliante dans son accueil, méfiante vis à vis des étrangers, donneuse de leçons sur les manquements aux droits de l’homme chez les autres et peu regardante sur ses propres dérives. Le droit de circuler librement fait partie des droits fondamentaux. Le reconnaître est un préalable et l’indication d’un objectif. Cette reconnaissance ne revient pas à décréter l’ouverture immédiate et incontrôlée des frontières, ni à s’interdire toute possibilité de maîtrise des flux migratoires. Les difficultés à mettre en œuvre un droit n’autorisent en aucun cas à accepter la négation de ce droit.

Six questions peuvent être proposées au débat sur les propositions :

  1. Comment reconnaître les migrants comme des acteurs essentiels de la coopération ?
  2. Comment inscrire la garantie des droits des migrants dans le droit international ?
  3. Comment faire respecter le droit à la liberté de circulation ?
  4. Comment fonder le droit des étrangers sur l’égalité des droits ?
  5. Comment construire une citoyenneté de résidence qui implique l’élargissement du droit de vote ?
  6. Comment faire progresser la solidarité internationale comme valeur de référence de nos sociétés et du système international ?