Tchad : un peuple éprouvé qui cherche à s’émanciper

Les menaces inquiétantes du réchauffement climatique

, par CIIP

Les sécheresses : un mal qui s’aggrave au détriment des populations

Le pays a toujours connu des alternances de périodes sèches et d’autres plus arrosées, ce qui se traduit notamment par de fortes variations historiques de la superficie du lac Tchad, en partie accrues récemment par le détournement des cours d’eau émissaires en vue d’irrigation. Mais actuellement, les périodes sèches s’aggravent et sont plus fréquentes, très probablement en lien avec le réchauffement climatique, ce qui n’empêche pas une plus grande fréquence des pluies dévastatrices sur la végétation. Cela engendre, en particulier au nord , la perte de zones pâturables, de plus en plus tôt dans l’année, au détriment de la santé et de la productivité du bétail. Les éleveurs nomades doivent donc empiéter de plus en plus tôt sur les zones de cultures, parfois avant la fin des récoltes, alors qu’ils ont l’habitude de faire brouter les chaumes ; de plus les cultures ont tendance à s’étendre, ce qui cause des conflits et crée des rivalités entre les communautés.

Dans la zone du lac Tchad, la concurrence entre les activités du fait de la sécheresse s’est combinée avec l’accroissement de la population. Selon l’ampleur des variations annuelles du lac, l’équilibre varie entre la pêche, la culture et l’élevage ; les tensions sont palpables et croissantes car elles opposent des communautés aux activités différentes, d’autant plus que la sécurité est fortement perturbée par des groupes armés de Boko Haram, qui mènent des actions terroristes au Nigeria et dans les pays voisins. Mais le terrorisme fortement ancré dans la zone n’est pas la seule cause qui hypothèque l’avenir : en matière climatique, le Tchad est classé parmi les pays les plus menacés, avec une réduction drastique de la surface du lac au détriment des ressources qu’il fournit encore. Cette aggravation de la situation, sur un fond d’accroissement démographique, laisse présager une recrudescence des conflits d’usage entre communautés et pays riverains, ce qui creuse le lit des groupes armés rebelles.

Vestiges du lac Tchad, Tchad, février 2015. Photo CRID Arendal (CC BY-NC-SA 2.0)

Quelle stratégie de lutte contre les changements climatiques ?

Le climat du Tchad est désertique dans le nord, alors qu’il devient semi-désertique dans le centre et tropical avec une saison des pluies dans le sud. La saison des pluies est causée par la mousson africaine [1] : elle affecte surtout le centre-sud du pays et, de façon plus significative, en allant vers le sud [2]. Les précipitations vont de mai à début octobre mais l’hiver est sec partout.

Le réchauffement climatique et la baisse des ressources en eau ont un impact négatif sur les possibilités de développement de l’agriculture. L’assèchement d’une grande partie du lac Tchad, dont la superficie est passée de 25 000 à 2 500 km2, et la disparition au centre du pays de terres cultivables facilement irrigables ainsi que de zones de pêche artisanale obèrent gravement les possibilités d’auto-subsistance des populations des régions concernées.

Pour lutter contre l’aridification du lac Tchad, des mesures sont envisagées comme le détournement d’affluents du Congo dans l’émissaire principal du lac, par l’intermédiaire d’un canal plus ou moins long sur des centaines de kilomètres, puis de rivières à aménager. Le financement d’un tel projet pose problème : outre le risque de dépendance à des capitaux privés et/ou étrangers, il suppose une forte coopération durable entre les quatre pays riverains du lac (Tchad, Cameroun, Nigeria et Niger) et le ou les pays fournisseurs de l’eau (République centrafricaine voire République démocratique du Congo). S’ajoute une controverse scientifique concernant les conséquences du réchauffement climatique sur le régime des pluies de la zone tropicale où prennent naissance les rivières qui affluent vers le lac et donc sur les variations futures de son niveau. A contrario de ces projets pharaoniques sont proposées d’autres solutions plus douces : petits barrages, digues limitrophes, canaux d’irrigation, restauration de mares, pompage dans les nappes phréatiques, sans oublier le développement de pratiques agricoles adaptées à la sécheresse : utilisation de compost enterré, nouvelles variétés de millet ou de sorgho à maturation rapide, production de spiruline (algue nutritive) ou agroforesterie dans le centre-est. Mais le succès de ces alternatives resterait dépendant de la pluviométrie, du détournement des eaux ou des déplacements massifs des populations.

C’est aux peuples concernés de déterminer les mesures qui leur conviendraient le mieux, mais, s’ils décidaient des actions, il serait légitime que les pays du nord, qui ont largement contribué aux changements climatiques, y participent en offrant les crédits nécessaires, sans contreparties ni économiques ni politiques, en commençant par annuler les dettes illégitimes. La solidarité sans condition nord-sud doit être réellement à l’œuvre…

Notes

[1Système de vents périodiques qui touche chaque année l’Afrique de l’Ouest pendant quelques mois (mai-août) et amène sur le continent de l’air chargé d’humidité, à l’origine de pluies intenses.

[2Les pluies dépassent 1000 mm dans la partie méridionale, atteignent 200 mm au centre et sont inférieures à 50 millimètres par an dans le nord.