À y regarder de plus près, l’écofascisme apparaît comme une notion polymorphe, finalement peu conceptualisée, et peut-être vaudrait-il mieux parler deS écofascismeS. En effet, en fonction de la tradition de pensée dans laquelle se situent les locuteur·rices utilisant le terme – souvent pour insulter ou délégitimer un ennemi politique –, la définition varie. Pierre Madelin [1] en identifie au moins trois [2] :
- Pour les penseur·ses libéraux·ales, l’écofascisme renvoie à tout projet de société basé sur une écologie dite radicale refusant la société thermo-industrielle (une écologie qu’iels qualifient plus prosaïquement de « Khmers verts » [3]). Fer de lance de cette vision libérale, Luc Ferry, dans son ouvrage Le Nouvel ordre écologique, n’hésite pas à rapprocher les mouvements d’écologie radicale du stalinisme et du nazisme [4].
- À l’opposé, les tenant·es de l’écologie politique voient dans l’écofascisme un totalitarisme étatique basé sur l’allocation de quotas (de ressources, de CO2, etc.) et une réduction des libertés au nom de la société capitaliste déclinante. Emblématique du courant d’écologie politique, et anticipant les possibles dérives autoritaires d’une expertocratie [5] écologique au service du capitalisme, André Gorz en est un des principaux·les penseur·ses critiques.
- Enfin, des penseur·ses critiques des éthiques bio- ou éco-centrées [6] s’inquiètent de l’instrumentalisation politique possible de ces éthiques environnementales pour justifier des logiques sacrificielles de certains groupes ethniques, voyant poindre en elles des dérives écofascistes.
Au gré des époques, des publications et des locuteur·rices, les variations de définitions de l’écofascisme s’entremêlent et semblent la plupart du temps déconnectées des formes historiques du fascisme. Selon Pierre Madelin, « si l’écofascisme peut emprunter certains traits aux fascismes du siècle passé – et plus largement à la grande famille des idéologies identitaires et nationalistes – il ne saurait s’y réduire. [7] »
Faut-il et peut-on normaliser la définition ?
Dans ce flou, les précisions et les tentatives de cadrage du concept d’écofascisme proposées par Pierre Madelin et Antoine Dubiau [8] sont utiles pour démêler les discours, bien que l’intérêt de normaliser la définition puisse être discuté.
Dans l’optique de proposer une définition canonique, et d’éclairer les discours médiatiques, Pierre Madelin définit l’écofascisme comme « la tendance d’un État totalitaire ou autoritaire à sacrifier les intérêts ou la vie de groupes surnuméraires au nom de la préservation de la capacité de charge [9] du territoire abritant la Nation qui y vit ». « Par écofascisme, il faudrait alors entendre une politique désireuse de préserver les conditions de la vie sur Terre, mais au profit exclusif d’une minorité », explique-t-il [10].
Cette définition permet de circonscrire plus précisément les contours de la notion, mais elle détourne peut-être le regard de formes émergentes de groupes d’extrême droite à tendance écologiste.
C’est pourquoi, dans l’idée de ne pas enfermer cette notion polymorphe dans un carcan normatif, Antoine Dubiau [11] propose quant à lui une grille d’analyse de l’écofascisme à partir des marges de la notion. Opérant depuis deux mouvements concomitants, l’écofascisme procéderait à la fois d’une « écologisation du fascisme » et d’une « fascisation de l’écologie ».
Motivée par une forme de devoir de vigilance, l’approche d’Antoine Dubiau invite ainsi tou·tes les écologistes à clarifier leur discours pour ne pas donner prise aux mouvements écofascisants. Des imaginaires effondristes [12] à la décroissance, en passant par la question démographique [13] ou le rapport des discours écologistes à la modernité et à la démocratie, l’analyse proposée par Antoine Dubiau a de quoi alimenter les discussions de fond des cercles écolos, en même temps qu’elle permet de débusquer les discours abusifs qui prolifèrent au sujet de certains courants ou d’actions militantes écologistes.