La société mauritanienne est très hiérarchisée et ne connaît pas de mixité sociale, les individus peuvent être discriminés selon leur couleur de peau, leur langue et leur rôle social. La société mauritanienne est divisée en trois groupes : les Beidanes, descendant·es des conquérant·es arabes et berbères à la peau blanche détiennent la majorité des pouvoirs politiques, militaires, intellectuels et économiques ; leurs ancien·nes esclaves, les Haratines, appelé·es les Maures noir·es qui partagent la même culture et la même langue (le hassania) que les Beidanes ; les Négro-Mauritanien·nes (Toucouleur·es, Soninko·, Peul·es et Wolof) qui vivent essentiellement dans la partie méridionale du pays.
Les Beidanes sont également fractionné·es en groupes, les grandes familles de guerrier·ères ou de marabouts (saints et savants locaux) se trouvant au sommet de la hiérarchie et les castes des maallemines (forgerons) ou des griots, se trouvant en bas de l’échelle sociale et souvent considérées comme des castes « honteuses ». Les Beidanes et les Haratines représentent ensemble environ 70 % de la population mauritanienne.
Les séquelles de l’esclavage
Le débat sur l’esclavage est instrumentalisé aussi bien au niveau national qu’international et provoque de nombreux ressentiments pouvant mener au communautarisme et à l’affaiblissement de la société mauritanienne.
Lorsque la Mauritanie a accédé à l’indépendance, l’égalité entre citoyen·nes a été érigée en principe constitutionnel mais le pays n’a officiellement aboli l’esclavage qu’en 1981. En 2012, le pays déclare l’esclavage crime contre l’humanité. Une nouvelle loi est votée en 2014 afin de criminaliser cette pratique et, en 2015, un décret est promulgué afin de créer trois cours criminelles spécialisées en matière de lutte contre l’esclavage. Est qualifiée comme raciste toute distinction entre Beidanes et Haratines.
Pourtant, les séquelles de l’esclavage sont encore visibles dans la population haratine qui, faute d’accès à l’éducation, concentre 85 % des analphabètes du pays, est victime de formes d’asservissement extrêmes, de forte pauvreté et d’exclusion. En ville, les Haratines sont plus conscientisé·es et luttent avec les associations anti-esclavagistes mais restent dépendant·es, économiquement ou psychiquement, de leur ancien environnement tribal, assurant des petits boulots ou des travaux domestiques au service de familles baidanes, haratines ou négro-mauritaniennes aisées.
En 2017, l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) dépose devant les Nations unies et l’Union africaine une plainte contre l’esclavagisme et la tortue en Mauritanie. En 2018, le Mauritanien Biram Dah Abeid, distingué à l’international à plusieurs reprises pour son combat en faveur des droits humains et fondateur de l’IRA, avançe devant les Nations unies que 20 % de la population mauritanienne, soit 800 000 personnes, est composée d’esclaves car ces personnes n’ont pas le droit au repos, ne touchent pas de salaire, n’ont pas accès à l’éducation ni aux soins et sont régulièrement victimes d’abus sexuels. Le pays compterait en 2020 encore 90 000 esclaves, ce qui représente plus de 2 % de la population.
À l’heure actuelle, l’IRA n’est toujours pas reconnue par les autorités mauritaniennes, en majorité arabo-berbères, pour qui l’esclavage en tant qu’institution n’existe plus. Arrivé deuxième à l’élection présidentielle de juin 2019 et élu pour la première fois aux législatives au début de l’année 2020, Biram Ould Dah Ould Abeid, appartenant à la caste des Haratines, porte à l’agenda politique la question de l’esclavage qui menace de fracturer la société mauritanienne et fait pression auprès du président élu, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, pour qu’il respecte ses engagements de créer « une école publique de la République » et de mettre en place une réforme foncière, la plupart des terres appartenant aux Beidanes.
Inégalités sociales
L’instauration de l’arabe comme seule langue officielle a creusé un fossé dans la société, cette langue n’étant parlée que par les Beidanes et les Haratines et non par les Négro-Africain·es, en majorité francophones, qui se sentent considéré·es comme des citoyen·nes de seconde zone ne pouvant se faire comprendre et accéder à l’éducation ou à des postes importants.
Après la promulgation d’un nouveau Code civil en décembre 2010 et la mise en place en 2011 du passeport biométrique, le gouvernement de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz a lancé le recensement de la population pour mettre en place un nouveau système d’identification des Mauritanien·nes. Tou·tes les résident·es, de nationalité mauritanienne ou non, doivent se présenter à l’administration pour obtenir un document d’identité mauritanien mais, en raison du taux élevé d’analphabétisme et du nombre important de documents à fournir, une grande majorité des Haratines et des Négro-Africain·es rencontre des difficultés pour mener à bien cette procédure administrative. En l’absence de papiers d’identité, de nombreux enfants ne peuvent accéder à l’éducation ou se présenter à des examens, alors que la scolarisation est obligatoire de 6 à 14 ans. De nombreux·ses ancien·nes esclaves et leurs descendant·es ne possèdent aucun document leur permettant d’accéder à la citoyenneté. Les Mauritanien·nes en particulier celles et ceux à la peau noire, craignent que leur nationalité soit remise en question car ils·elles doivent fournir à l’administration des justificatifs presque impossibles à réunir.
Les déporté·es négro-mauritanien·nes
En 1989, un différend frontalier, nommé « passif humanitaire », entre la Mauritanie et le Sénégal entraîne des violences ethniques et la mort de centaines de personnes parmi les Négro-Africain·es, forçant plus de 60 000 Mauritanien·nes à fuir vers le Sénégal et le Mali. De nombreux·ses Négro-Mauritanien·nes considèrent ces faits comme une campagne d’épuration ethnique, les classes dirigeantes arabes et berbères de l’époque n’ayant expulsé que la population noire d’origine peule, peuple traditionnellement pasteur établi dans toute l’Afrique de l’Ouest mais également au Tchad, en République centrafricaine et au Soudan.
Cet épisode dramatique a permis au gouvernement d’éliminer une opposition militante bien représentée chez les fonctionnaires négro-africain·es et de mettre la main sur des terres très convoitées le long du fleuve Sénégal. Les auteur·es de ces atteintes aux droits humains jouissent encore aujourd’hui de l’impunité, les autorités n’ayant pas abrogé une loi de 1993 votée par l’Assemblée accordant l’amnistie aux responsables présumé·es de délits et crimes commis entre 1989 et 1992.
À la suite d’un accord tripartite de rapatriement des populations déplacées signé en 2007 par les gouvernements de Mauritanie et du Sénégal et le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), ce dernier a mis en place un programme de retour entre 2007 et 2012 permettant à plus de 24 000 Mauritanien·nes de revenir sur le territoire. Mais les programmes de réinsertion visant à accompagner le retour de ces déplacé·es ne leur ont pas permis de retrouver leurs terres ni d’accéder à la citoyenneté et des milliers de personnes vivent encore dans une situation très précaire, enfermées dans des ghettos car, sans papiers, elles ne peuvent pas se déplacer.
En 2020, 14 000 Mauritanien·nes vivent encore au Sénégal dans des camps de réfugié·es situés au bord du fleuve Sénégal, comme celui de Thiabakh dans la ville de Richard-Toll. Ils·elles ne peuvent demander la citoyenneté sénégalaise ni retourner en Mauritanie, n’ayant pas les documents administratifs nécessaires. Depuis 2016, le gouvernement sénégalais ne renouvelle plus automatiquement les documents d’identité, fabriquant ainsi des réfugié·es apatrides. On compte également 14 000 Mauritanien·nes dans la même situation au Mali. Faute de terres à cultiver et faute d’argent, ces réfugié·es vivent dans une extrême pauvreté et ne survivent qu’avec l’aide de la Croix-Rouge et des Nations unies.
Une société civile volontaire mais au pouvoir limité….
Les grands enjeux de la société civile mauritanienne sont la mise en place d’un État de droit et d’une gouvernance démocratique, l’accès des citoyen·nes à la justice, la lutte contre les violences basées sur le genre, le règlement des litiges liés à la propriété foncière et l’esclavage. Selon l’ONG Human Rights Watch, des milliers d’organisations non gouvernementales sont enregistrées en Mauritanie, le gouvernement souhaitant montrer ainsi sa tolérance au regard de la communauté internationale. Mais, bien que la société civile mauritanienne soit très active, elle n’est pas structurée : les associations possèdent très peu de moyens financiers et peuvent subir des répressions lorsque le gouvernement considère qu’elles font de la « propagande antinationale » ou qu’elles exercent une « influence fâcheuse sur l’esprit des populations ».
La société civile mauritanienne est divisée en groupes qui n’arrivent souvent pas à dialoguer entre eux ni à travailler ensemble : les sociétés civiles arabophones, francophones ou indépendantes du pouvoir politique et celles inféodées de près ou de loin au pouvoir. De plus, les activistes haratines mettent en avant la dénonciation de l’esclavage et de ses séquelles, tandis que les activistes négro-africain·es militent pour faire reconnaître les conséquences des violences ethniques ayant entraîné la mort et le déplacement de milliers de Noir·es peul·es entre 1989 et 1991 du fait du différend frontalier entre le Sénégal et la Mauritanie.
Peu d’associations traitent de la question de l’abolition de la peine de mort, le sujet engendrant de nombreuses représailles de la part de la frange radicale de la population lorsqu‘il est porté sur la place publique. Les associations mauritaniennes et étrangères n’ont pas accès aux données ni aux statistiques concernant la détention des prisonnier·ères et la peine de mort. Les chiffres traitant de la peine de mort et des tortures proviennent, pour la plupart, des associations apportant une aide humanitaire aux prisonnier·ères, des travailleur·ses du secteur de la réinsertion et des avocat·es.
Le gouvernement mauritanien qui revendique la fin de l’esclavage et la non-existence du racisme sur son territoire, empêche le travail des organisations qui luttent contre les discriminations ethniques et de caste et contre l’esclavage, en les privant de statut juridique, en restreignant leurs activités ou en emprisonnant certain·es de leurs membres.
La lutte des Mauritaniennes pour leurs droits
En Mauritanie, l’âge légal du mariage fait débat, un tiers des femmes se mariant avant d’avoir 18 ans et près d’un quart avant 15 ans. Les associations luttant pour les droits des femmes exigent de fixer l’âge légal du mariage à 18 ans mais les député·es, majoritairement issu·es du patriarcat et du courant islamiste, souhaitent que les femmes puissent se marier à 9 ans, âge supposé d’Aïcha, l’épouse favorite du prophète Mohamed, lors de leur union.
Les mariages précoces sont souvent accompagnés du rite de gavage, qui consiste à ingurgiter d’énormes quantités de nourriture pour grossir. Afin de prendre du poids plus vite, certaines femmes ingèrent également des médicaments à base de corticoïdes, des stimulateurs de l’appétit ou des hormones de croissance entraînant ainsi de nombreux problèmes de santé. Aucune loi n’interdit officiellement cette pratique et elle n’existe quasiment plus que dans les zones désertiques où l’on considère l’obésité comme un critère de beauté, un signe de richesse pour les familles et où l’on marginalise les familles qui n’observent pas la coutume.
Le gouvernement mauritanien s’est engagé dans plusieurs programmes de lutte contre l’excision et une loi l’interdit dans les hôpitaux publics. Selon l’UNICEF, l’excision touche plus de 65 % des Mauritaniennes et, dans certaines provinces, le taux atteint près de 100 %. En 2010, une fatwa a pourtant été lancée par les experts religieux mauritaniens, afin de condamner l’excision, mais de nombreuses communautés continuent de s’appuyer sur la religion pour perpétuer cette tradition.
Les associations féminines se mobilisent car, mis à part leur place dans le cadre familial et l’âge légal auquel elles peuvent être mariées, rien n’assure les droits et la sécurité des femmes.
La loi mauritanienne ne définit pas convenablement les violences sexuelles et, si les femmes n’arrivent pas à convaincre les autorités judiciaires de la nature non consensuelle d’un rapport sexuel, elles peuvent être accusées du crime de zina, c’est-à-dire d’avoir eu des relations sexuelles hors mariage, sachant que les violences sexuelles sont la plupart du temps qualifiées « d’accidents de la voie publique ».
La loi de pénalisation des violences sexuelles qui permettrait une protection juridique des femmes a été approuvée par le gouvernement en 2016 mais a été rejetée une première fois en janvier 2017, puis une seconde fois en décembre 2018. Bien qu’adopté en 2020 par le gouvernement, ce projet n’est toujours pas voté par le Parlement à cause de la résistance des députés conservateurs et d’une partie de l’opinion. La loi prévoit, entre autres, l’aggravation des peines pour viol, la pénalisation du harcèlement sexuel, l’interdiction du mariage des jeunes filles avant leurs 18 ans et l’autorisation pour les Mauritaniennes de voyager sans l’autorisation de leur époux.
D’autres avancées sont par ailleurs à noter : les listes de candidat·es aux élections législatives et municipales doivent être composées de 20 % de femmes et un quart des député·es de l’Assemblée nationale mauritanienne sont des femmes. Mais l’accès à des études supérieures est encore difficile pour les femmes.
Le 30 juillet 2020, le gouvernement mauritanien crée l’Observatoire national des droits des femmes et des filles. La mission de cette instance est d’appuyer les autorités dans la mise en œuvre des politiques publiques, pour renforcer la présence des femmes dans toutes les sphères de la vie nationale et pour encourager leur participation au développement du pays.