En juin 2014, l’Albanie obtient le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne, non sans quelques réserves. En effet, dans son communiqué annonçant cette décision, le Conseil européen précise qu’ « elle doit intensifier ses efforts pour réformer l’administration publique et le système judiciaire, poursuivre la lutte contre la criminalité organisée et mettre en œuvre des politiques contre la discrimination, principalement envers les minorités ».
Selon le rapport d’évaluation 2019 de la candidature de l’Albanie à l’adhésion à l’Union européenne de la Commission européenne, « l’Albanie se conforme globalement aux instruments internationaux relatifs aux droits humains et a ratifié la plupart des conventions internationales relatives à la protection des droits fondamentaux. » Pourtant, certains pays de l’UE, dont la France, s’opposent aux négociations d’adhésion. Les rapports d’ONG montrent que, si les instruments législatifs existent en effet, il subsiste des retards sur l’application effective des textes.
La lutte contre la criminalité organisée
Les organisations criminelles ont profité de plusieurs événements au cours des années 1990 pour se renforcer et s’étendre : d’abord l’effondrement de l’État communiste en 1990, puis l’effondrement des pyramides financières en 1997. Plongeant le pays dans le chaos durant plusieurs semaines, cet événement a permis à des groupes criminels de prendre possession de certains territoires et de s’enrichir, grâce au pillage systématique des dépôts d’armes albanais. Les organisations criminelles ont ainsi pu en faire commerce avec le Kosovo, alors sous embargo militaire, s’assurant des revenus importants. Aujourd’hui, la mafia albanaise est transnationale et polycriminelle. Selon un rapport de la fondation allemande « die Friedrich-Ebert-Stiftung » de 2018, le crime organisé albanais a considérablement étendu son activité en Albanie et à l’étranger. Les activités des grands réseaux mafieux albanais à l’international sont principalement le trafic de drogues, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, la contrebande d’armes et la traite des êtres humains. Des filières albanaises de traites d’êtres humains ont des ramifications dans plusieurs pays d’Europe. Un rapport d’Europol indique que, pour 2017, l’Albanie demeure la principale source de trafic de cannabis en Europe. Les rapports du Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs du Département d’État américain datant de mars 2020 ajoutent que l’Albanie, en plus d’être une plateforme pour le marché illicite de cannabis, devient une plaque tournante pour le trafic de cocaïne en provenance de la Colombie et à destination des pays européens. Les efforts des autorités albanaises pour réprimer le crime organisé sont restés vains et les puissants réseaux de crime organisé se sont immiscés dans les affaires publiques de l’Albanie et les entreprises, pour remporter des marchés publics, par exemple. L’une des difficultés majeures rencontrées par l’Albanie dans la lutte contre cette criminalité est la corruption qui mine le système judiciaire et les forces de police. Les poursuites contre les dirigeants du crime organisé sont rares. Malgré quelques arrestations et condamnations, beaucoup ont pu échapper à la justice en raison des connivences avec certains membres des forces de police ou du système judiciaire.
La lutte contre la corruption
La corruption est profondément ancrée dans les pratiques en Albanie et se retrouve dans toutes les sphères de la vie, publique ou privée, et dans tous les secteurs : justice, police, administration et même éducation. Amnesty international souligne dans son rapport 2017/2018 que la procédure d’adhésion de l’Albanie à l’UE a été freinée par la lenteur des progrès en matière de lutte contre la corruption et le crime organisé. Pour lutter contre ce fléau, l’Albanie a mis en place en 2007, en collaboration avec l’Union européenne, les JIU (Joint Investigative Units to fight economic crime and corruption) chargées de poursuivre les cas de corruption dans le secteur public et de recevoir les plaintes des citoyens. La mise en place des JIU a permis l’arrestation de nombreux responsables publics liés à des affaires de corruption. Malgré cela, le Commissaire européen aux droits de l’homme déclarait en janvier 2014 que la corruption et les ingérences politiques entravaient le bon fonctionnement des institutions judiciaires. En effet, si certaines arrestations sont mises en avant comme un signe de réussite des actions anti-corruption, on est loin d’une éradication de ces mauvaises pratiques, avec la mise en cause de « petits et moyens » fonctionnaires , sans que ne soient inquiétés les hauts fonctionnaires. Dans son évaluation 2019 pour l’adhésion de l’Albanie à l’UE, la Commission européenne reconnaît que « la mise en œuvre de la stratégie intersectorielle contre la corruption est globalement en bonne voie, bien que des faiblesses demeurent ». Les faiblesses pointées concernent les maigres capacités des institutions, le manque de moyens financiers et humains pour lutter efficacement contre la corruption.
Le retour des codes coutumiers, miroir de la déliquescence des instances étatiques
La population, déjà peu confiante envers le milieu politique, l’est aussi peu envers le système judiciaire. Cela a contribué à la persistance d’un phénomène qui était réapparu lors de l’effondrement du régime communiste : le Kanun, code coutumier, dont le plus connu et appliqué est celui de Lekë Dukagjini, un chef féodal du XVe siècle. Il s’est transmis de génération en génération et est appliqué en parallèle à d’autres cadres juridiques. Il régit l’ensemble de la vie en société : les règles de comportements, l’organisation d’un mariage, les règles d’hospitalité, etc. Pendant la période communiste, le fort contrôle de l’État sur la population a fait baisser son influence. Mais, à partir de 1991, ce code a refait surface devant la faiblesse de l’État central. Si certains éléments de ce code peuvent faciliter la vie en communauté, en prévoyant d’instaurer des conseils de réconciliation et de négociation en cas de conflits, la vendetta (ou vengeance du sang, en albanais « gjakmarrja », gjak : le sang, marrja : reprise) s’est imposée et développée depuis deux décennies, elle est devenue particulièrement néfaste pour la société albanaise. Son recours est très contrôlé dans le Kanun traditionnel, qui protège les femmes et les enfants, mais les pratiques ont évolué et son utilisation est de plus en plus dévoyée. Aujourd’hui, ces dettes de sang se sont étendues à l’ensemble d’une famille, obligeant certaines d’entre elles à vivre confinées, en isolement.
Les autorités rechignent en effet à établir des statistiques sur le phénomène, prétextant qu’il est en constante diminution. Plusieurs autres sources le démentent pourtant. Les informations les plus récentes et les plus documentées proviennent de l’ONG « Operazione Colomba » qui, depuis 2013, a entamé un travail de monitoring des cas de violences liées à la vendetta, rapportés par les médias albanais et internationaux [1]. Par rapport à la période 2011-2014, Operazione Colomba note une hausse des coups et blessures et une progression des homicides. Le nord du pays reste la région où la pratique est la plus répandue et profondément enracinée, là où vivent la plupart des chrétiens , dont les catholiques (le Kanun a des origines chrétiennes). Néanmoins, la vendetta s’applique au sein de toutes les populations religieuses. Selon les études menées depuis 2010 par Operazione Colomba, les actes de vendetta sont plus nombreux dans les banlieues des grandes villes du nord et du centre du pays. Ce phénomène transversal se produit donc dans toute l’Albanie mais aussi en dehors du pays, en raison de la migration. Ainsi, depuis 2013, 11 cas ont été enregistrés en Italie et dans d’autres pays européens. Le phénomène touche des personnes de tous âges et des deux sexes.
Alors que le Code pénal prévoit des peines plus lourdes en cas de meurtres pour vendetta, dans les faits, les peines sont très souvent inférieures car les autorités policières et judiciaires ont tendance à faire preuve de clémence. Minimisant la portée du phénomène, elles ne mettent pas en place de politique de sensibilisation contre cette pratique, tandis que les possibilités et les moyens de protection sont faibles, voire inexistants, pour les personnes visées par une dette de sang.