L’immigration en France : histoire, réalités et enseignements…

Les apports et les symboles de réussite face aux difficultés

, par ASIAD , M’BODJE Mamadou

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

On ne le dit pas assez, pourtant le processus d’intégration est observable à partir de différents chantiers de la vie en société. Parmi ceux-ci, l’école, l’entrepreneuriat, les réalités socio-démographiques et le sport (notamment le football) se distinguent assurément comme facteurs et/ou symboles de réussite par-delà les obstacles ou les difficultés qui s’y manifestent.

Cependant, on entend beaucoup parler depuis 2007 et pendant la campagne présidentielle de 2012, du coût de l’immigration, suscitant ainsi des polémiques et des déclarations enflammées. Pourtant certaines enquêtes le montrent : les immigrés sont un atout économique et ne creusent pas les déficits sociaux. Raison de plus pour s’attaquer aux véritables causes du blocage de l’intégration à la française.

En réalité, le sujet est au cœur de toutes les polémiques depuis plus de quarante ans, principalement orienté sur le chômage et l’insécurité. Dès que ces deux éléments sont d’actualité, le débat public s’enflamme et la question de l’immigration devient le support pour mettre en avant l’identité nationale.

Plus qu’un fonds de commerce, l’extrême droite en a fait un levier pour soulever l’opinion (dès qu’elle le délaisse, elle baisse dans les sondages). Par ricochet, la droite n’a pas cessé de muscler son discours, des « bruits » et des « odeurs » chiraquiens au « racisme anti-blanc » copéïste. Mais quand elle est au pouvoir, les discours rentrent dans les tiroirs et la politique suivie reste nuancée, car ces partis sont tiraillés entre les entreprises qui ne peuvent pas fonctionner sans les immigrés et certains électeurs qui ne peuvent pas vivre à côté d’eux.

Quant à la Gauche, elle s’aventure aussi sur le terrain du durcissement de son vocabulaire en s’appuyant sur ce qu’elle appelle le « seuil de tolérance ». Pour « les politiques », l’ombre de l’immigration clandestine obscurcit la gestion de l’immigration légale. Régulariser, c’est reconnaître la défaite du droit face au fait accompli ; ne pas régulariser, c’est laisser dans la nature une main-d’œuvre docile et bon marché, concurrente directe et déloyale des immigrés légaux.

Quand on sort de ces discours pour regarder la réalité, les conclusions sont nettes : l’immigration rapporte plus à la France qu’elle ne lui coûte. Économiquement et socialement, elle est une « bonne affaire » à court, moyen et long terme.
A court terme, parce que les immigrés occupent, aujourd’hui encore, des postes dont les Français ne veulent pas, cotisent et consomment. A moyen terme, parce que les étudiants étrangers accueillis- et les rejeter, comme le fit la droite, était une faute- sont un excellent investissement pour le futur rayonnement international de la France. A long terme, parce que le dynamisme démographique du pays, dû en partie aux immigrés, assurera notre puissance en Europe, notamment face à l’Allemagne.

Certes, une partie de ces bénéfices est pour demain, donc aléatoire. Les problèmes comptables posés par l’Aide Médicale d’État (AME), et globalement par les prestations sociales versées aux étrangers (qui cotisent par ailleurs) méritent plus de rigueur (pour tout le monde), mais sans discrimination. De même, si le principe du regroupement familial alimente les discours politiques, c’est parce qu’il est toujours présenté comme une immigration de travail servant à nourrir la famille restée au pays et épargner en vue d’un retour, sans considérer que vivre en famille est un droit auquel rien n’oppose un droit d’installation légitime, d’autant qu’il s’agit d’un droit conditionné (travail, ressources, logement...) qui n’est pas automatique. Le dire et y ajouter le fait que c’est la preuve d’un projet de vie durable, voire définitif qui devrait immédiatement être considéré comme une étape vers une naturalisation, empêchant Jean-Marie Le Pen de comparer l’immigration à une colonisation, comme il le fit encore pendant la dernière campagne présidentielle.

Contre ceux que beaucoup nomment la « désintégration républicaine », il faut une politique ambitieuse de naturalisation des étrangers. Pour cela, il sera nécessaire de restaurer à marche forcée une école des savoirs. L’éducation forme des citoyens français à partir d’une morale laïque certes, mais elle doit tenir compte des différences pour éviter de reproduire les rejets vécus par les premières générations d’immigrés.

L’école

L’école a théoriquement deux rôles : d’une part, la socialisation par laquelle se fait l’apprentissage des règles de vie en société qui conduisent à l’assimilation culturelle et à la citoyenneté et, d’autre part, la transmission des savoirs et des outils qui permettent de s’intégrer notamment au monde du travail. Ces deux rôles sont valables pour tous les jeunes, qu’ils soient « étrangers » ou « français ». La forme de l’enseignement a beaucoup à voir avec le sentiment national de chaque pays et, de manière singulière concernant la querelle scolaire entre l’Église et la République qui a montré combien la formation du citoyen est considérée comme centrale.

En tout état de cause, sans mémoire et cadre communs, il ne peut y avoir de cohésion sociale. Ce processus d’unification ne veut pas nécessairement dire que les différences soient niées. Les cultures basque, bretonne, etc, les cultures italiennes, espagnoles, maghrébines ou africaines, etc, apportent -ou ont apporté pour les immigrations les plus anciennes- chacune leur pierre au creuset, même si compte-tenu des « rapports de force et de nombre », l’apport se fait à des degrés variables. L’ouverture vers l’autre n’est pas l’oubli de la mémoire et l’échange est cumulatif (interculturalité), puisque les immigrés qui ont des relations les plus fortes avec les Français, les ont aussi avec leurs compatriotes. La question serait en réalité encore une fois plus sociale qu’ethnique.

En tout état de cause, on ne saurait nier l’importance particulière du rôle de l’école comme facteur de socialisation surtout pour les enfants de l’immigration (toutes générations confondues) potentiellement soumis à des normes contradictoires d’où l’étape décisive de la maternelle précoce en France. L’exemple paroxysmique est celui des jeunes filles d’origine étrangère qui sont doublement tiraillées : entre deux cultures nationales, mais aussi entre la famille et l’école du point de vue du statut de la femme, ce qu’illustre la question du foulard à une époque.

Bien entendu, tout en acceptant l’idée selon laquelle l’école permet de s’identifier à la France, il n’est pas question d’ignorer les contestations voire les révoltes « contre » le système scolaire. Mais de toute façon, outre qu’elles ne datent pas d’aujourd’hui, celles-ci ne sont pas l’apanage des enfants de l’immigration. Elles concernent plutôt les classes populaires en général, même si elles vont parfois bien au-delà. Sans introduire des comparaisons avec la situation dans d’autres pays, il est juste question de montrer ici, que malgré des obstacles, il est de bonnes raisons de penser que l’école -surtout publique en l’occurrence- a été et reste le vecteur principal de « l’intégration » en France.

Dans les années 1920, à ce propos l’optimisme est de rigueur, s’agissant au moins de l’école primaire. On y loue l’intelligence des enfants d’immigrés -qui réussissent un peu mieux que les Français de condition égale- et on en conclut à l’efficacité assimilatrice du système scolaire malgré les angoisses sur l’identité de la France. A l’époque il est vrai, on envisage pour ces enfants le même avenir que leurs pères : ouvriers, ils iront jusqu’au certificat d’études primaires. En revanche, dès qu’ils vont au lycée, certains parents, des enseignants et des chefs d’établissements, soulignent (déjà) les problèmes de niveau, de discipline, d’afflux. Les fortes concentrations d’étrangers ne sont pourtant pas courantes, même si les Polonais sont majoritaires dans certaines écoles du Nord.

Aujourd’hui, une telle inquiétude commence à s’exprimer dès le plus jeune âge, car c’est l’ensemble du système scolaire qui est perçu comme une voie de promotion sociale ou au moins une bouée de sauvetage : d’où la nécessité d’inscrire ses enfants dans les établissements perçus comme « bien fréquentés », c’est-à-dire sans trop « d’étrangers ». Même si ce jugement est souvent très subjectif, il n’en contribue pas moins, de façon auto-réalisante et cumulative, à « ghettoïser » les écoles délaissées par ceux qui le peuvent, des Français mais aussi des étrangers, souvent les plus anciennement installés ou les mieux lotis.

Il n’empêche que l’intégration et l’assimilation par l’école sont à considérer comme globalement réussies. Certes, il est des enfants de l’immigration qui préfèrent ou doivent entrer tôt dans la vie active, mais la stratégie scolaire de mobilité sociale et professionnelle est, hier comme aujourd’hui largement majoritaire. Par le passé, notamment dans les années 1930, beaucoup d’immigrés Italiens et Portugais arrêtaient l’école une fois le certificat d’études primaire réussi, alors que leurs camarades français préféraient continuer car leur capital social et familial permettaient de s’insérer plus facilement par l’emploi, à la différence de la situation actuelle. A l’époque, on n’était alors pas encore obsédé par la réussite face aux angoisses sociales et l’on n’attendait pas comme aujourd’hui de l’école qu’elle détermine en grande partie l’avenir social des enfants.

Pour autant, l’école est peut-être aujourd’hui, contrairement aux idées reçues, encore plus intégratrice. Dans l’école primaire, la présence d’enfants étrangers n’est pas une nouvelle question. Il faut cependant préciser que les chiffres de l’Éducation nationale considèrent comme étranger ceux qui n’ont pas (encore ?) la nationalité française, et il faudrait donc réévaluer les pourcentages (18% aujourd’hui), compte tenu des différents indices, pour y inclure les enfants d’étrangers qui ont la nationalité française.

Quoi qu’il en soit, et malgré les difficultés, l’école est donc le lieu privilégié d’apprentissage des nouvelles normes. Mais, si elle continue à faire des hommes libres, elle ne le fait pas sans difficultés, ni sans susciter un grand nombre de questions. Comment concilier la laïcité et les différences ? Quelle culture l’école enseigne-t-elle ? La culture légitime ? La même dans tous les établissements et pour tous les élèves ? Comment l’école gère-t-elle ses propres mutations par rapport à celles de la société ? Les valeurs républicaines qui y sont enseignées concordent-elles avec celles que les élèves voient dans la société ? L’avenir concrétise-t-il les éventuelles promesses scolaires ? On ne peut ignorer ces questions de fond.

Les chefs d’entreprise et la main-d’œuvre étrangère

Guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations
Illustration de Claire Robert

Dans un pays qui compte aujourd’hui (novembre 2012) plus de trois millions de chômeurs, les chefs d’entreprise et leurs représentants sont-ils toujours à l’aise pour avouer qu’ils emploient des travailleurs immigrés, même lorsque ces derniers sont en situation régulière, quand on sait que 17,6% des Français ont voté pour la candidate du Front national à la présidentielle de 2012 ? Peuvent-ils craindre d’être stigmatisés par certains responsables politiques qui, à dessein ou non, ne distinguent pas toujours ceux qui sont parfaitement en règle, ceux qui n’ont pas de papiers mais travaillent et paient des impôts et des cotisations, et ceux qui ont un titre de séjour, mais ne sont pas déclarés par leur patron ?

Selon l’INSEE, on sait aujourd’hui, que plus de 2,2 millions d’immigrés -dont 790 000 originaires de l’UE- appartiennent à la première catégorie. S’y ajoutent, chaque année, 17 700 entrées pour motif professionnel. Cette main-d’œuvre est indispensable dans plusieurs secteurs d’activités, comme le souligne le Centre d’analyse stratégique dans son document de travail daté de mars 2012, sur cette question. Les immigrés représentent plus de 30% des effectifs dans les métiers du nettoyage, des employés de l’hôtellerie, et un peu plus pour les secteurs de la sécurité, du bâtiment, des travaux publics et de la restauration. Les informaticiens étrangers sont également très prisés, faute d’un nombre suffisant d’étudiants français formés.

« Il faut absolument dépassionner le débat sur la rivalité entre autochtones et immigrés. Si nous fermons les robinets de l’immigration professionnelle, il y a des pans entiers de l’économie qui ne pourront plus fonctionner. Je ne crois pas que nous ayons besoin de ça dans la conjoncture actuelle », insiste Dominique Paillé (UMP), ancien président de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII).«  Dans les métiers de la sécurité, nous avons 40 000 employeurs qui cherchent des salariés. Alors oui, les travailleurs étrangers permettent aux entreprises de tourner... », confirme Michel Ferrero, président du Syndicat national des entreprises de sécurité.

Ceux qui contestent cette position disent qu’il s’agit d’emplois précaires et que l’immigration permet de baisser le coût du travail. Évidemment, certaines professions pourraient être plus attractives si elles amélioraient les conditions de travail et les niveaux de salaire qu’elles proposent ou si elles mettaient en place de véritables formations. « En tout cas, la rivalité entre autochtones et immigrés reste marginale. Il y a peu de concurrence, car les uns et les autres n’évoluent pas tout à fait sur les mêmes marchés du travail. Surtout lorsqu’il s’agit de vagues d’immigration récentes », indique Cécile Jolly, économiste au centre d’analyse stratégique.

Dès lors, tous les opposants de l’immigration se tournent vers les travailleurs sans papiers : combien sont-ils ? Les employeurs se servent-ils de ces clandestins comme d’un instrument de dumping social ? Dans certains cas, sans doute. Le mouvement de grève lancé en 2009 avec les syndicats a donné une visibilité au phénomène. D’ailleurs Manuel Valls, actuel Ministre de l’Intérieur a promis, pour la fin novembre 2012, une actualisation de la circulaire négociée alors. L’objectif est d’harmoniser les critères de régularisation sans accroître le nombre de régularisés (entre 3 000 et 4 000 par an). Il reste cependant difficile de mesurer l’impact économique de ces clandestins.

Les apports économiques/financiers, face aux clichés

L’idée selon laquelle l’immigration coûte cher à la France est très répandue depuis plusieurs années. Elle s’est accentuée au cours des dix dernières années par l’exagération dans les discours, des droits dont bénéficient les étrangers sans pour autant respecter les devoirs.

En réalité, les étrangers présents sur le territoire français ont accès à la plupart des prestations sociales, à condition de remplir des conditions variables d’une aide à l’autre. Pour percevoir des allocations familiales, il faut justifier d’un titre de séjour en cours de validité et d’une résidence habituelle en France. Si les enfants pour lesquels est demandée l’allocation sont, eux aussi étrangers, il faut pouvoir attester de la régularité de leur entrée et de leur séjour sur le territoire.

De même, l’Aide Personnalisée au Logement (APL) et la Couverture Maladie Universelle (CMU), en matière de santé, sont soumises aux mêmes exigences : titre de séjour en cours de validité et présence stable sur le territoire.
Pour le Revenu de Solidarité Active (RSA), les critères sont plus stricts, puisque les étrangers extra-communautaires doivent justifier d’un titre de séjour les autorisant à travailler en France depuis plus de cinq ans ou d’une carte de résident valable dix ans. Pour percevoir le minimum vieillesse une preuve de résidence d’au moins cinq ans sur le territoire est également obligatoire. La régularité de séjour est indispensable pour le versement d’allocations chômage ou d’une pension de retraite (plus souple), qui sont par ailleurs liés, avant tout, à un degré minimal d’activité professionnelle.

Une seule prestation est ouverte aux étranges sans titre de séjour : l’AME. Sous réserve de justifier d’une présence en France depuis trois mois, les dépenses de santé sont prises en charge par l’État. Pourtant, en regardant de plus près les chiffres de 2005 concernant ce que la population immigrée apportait aux finances publiques et ce qu’elle représentait en termes de dépenses, on constate une contribution nette de l’immigration de 3,9 milliards d’euros. Soit 0,5% du produit intérieur brut (PIB), ce qui, au demeurant, reste faible, mais très significatif face aux clichés. Il est vrai cependant, que les immigrés non communautaires recourent plus aux allocations familiales (35% au lieu de 24,3%) et à l’assurance chômage (19%, au lieu de 11,7%). Mais, d’un autre côté, ils perçoivent moins de prestations liées à la santé ou à la retraiter. Et ils paient des cotisations sociales et des impôts sur le revenu, les taxes sur la consommation (TVA) et les impôts locaux entre autres taxes.

D’ailleurs, quelle que soit l’année retenue, l’impact financier de l’immigration est toujours relativement neutre. Parfois un peu positif, parfois un peu négatif mais toujours autour de l’équilibre. Nous sommes loin du fardeau pour les finances publiques décrit parfois. Selon les économistes, supprimer l’immigration ne résoudrait en rien la crise actuelle.

Autrement dit, comme tous les discours simplistes recherchant des boucs émissaires, celui affirmant que les étrangers passe très bien dans des sociétés, des groupes sociaux ou des individus inquiets, surtout quand certains médias, et souvent les « politiques », servent de caisses de résonance, notamment concernant les clandestins assimilés à des délinquants responsables de tous nos maux, souvent responsables des décadences et des difficultés.

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Références bibliographiques :
 MEMMI (A.) : Les fluctuations de l’identité culturelle ; in la France identitaire, Esprit N° 1, Janv. 1997. 
 BARBIER (C) : Le vrai coût de l’immigration, L’Express n° 3202 du 14-20 novembre 2012.
 CHOJNICK (X), RAGOT (L) : On entend dire que l’immigration coûte cher à la France. Qu’en pensent les économistes ?, Eyrolles-Les Echos éd., 2012.
 INSEE (Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques) : www.insee.fr (données locales) : Thèmes : Popuklation ou Travail-Emploi ou Conditions de vie-Société.
 INED : Institut National d’Etudes Démographiques : www.ined.fr
 TAIEB E. : Immigrés : l’effet générations, Ed de l’Atelier, 1988.
 Centre d’analyse stratégique : L’emploi et les métiers des immigrés, Document de travail du 13 mars 2012. Site : www.strategie.gouv.fr
 Haut Conseil à l’Intégration (HCI), Rapports : www.hci.gouv.fr