Les Peuples Autochtones Wayana au Suriname et les ONG de conservation : une « Histoire d’Amour » sans Lendemain ?

, par WRM

Les ONG de conservation ont accru les pressions qui s’exercent sur les peuples autochtones Wayana. Après avoir subi pendant des années les manières directives et paternalistes de traiter avec les communautés forestières, les Wayana ont décidé de suivre leur propre voie, celle qui correspond à leur propre façon de penser et de vivre.

Rivière Suriname. Photo de JvL, prise le 24 octobre 2016 (CC BY 2.0)

Les peuples autochtones Wayana vivent principalement dans le sud du Suriname (ils vivent également à la frontière avec la Guyane française et dans une petite région du nord du Brésil) dans environ 30 000 km2 de forêt tropicale humide. Le groupe autochtone Wayana comprend au total environ 2 500 personnes. Au Suriname, ils vivent dans trois petites colonies près du fleuve Suriname, notamment à Kawemhakan, Apetina et Palumeu. En Guyane française, ils vivent dans huit petits villages et, dans le nord du Brésil, ils vivent de façon plus dispersée avec d’autres peuples autochtones. Les fouilles récentes montrent que les peuples autochtones ont vécu dans cette région pendant plus de 4 000 ans. Leurs moyens d’existence dépendent de l’agriculture et de la pêche.

En raison du faible nombre des infrastructures dans cette région et de la densité de la jungle du nord de l’Amazonie, les Wayana n’ont jamais été colonisés. Au début du XXe siècle, quelques aventuriers et employés des colonisateurs néerlandais ont parcouru la zone Wayana à la recherche d’or. Mais ils n’ont (presque) jamais entretenu de relations avec le peuple Wayana. Bien que le contact ait été limité, les Européens ont apporté de nombreuses maladies comme la grippe et la tuberculose. Chacune de ces maladies a entraîné un cortège de destructions lors d’épidémies de grande ampleur. La situation a empiré lorsque les Wayana ont décidé de se rendre dans la capitale du Suriname pour acheter/échanger, directement à la source, les outils de fer tant recherchés, en évitant les intermédiaires, les Marrons du Suriname [1]. Les Wayana ont été décimés jusqu’à frôler l’extinction. Vers 1960, il ne restait que 500 à 600 Wayana (nous estimons qu’il devait y en avoir plus de 4 000 au début du siècle dernier). La seule raison pour laquelle les Wayana existent encore est l’intervention de l’Église dans les décennies 1950-1960. Les missionnaires leur ont donné des médicaments pour lutter contre les nouvelles maladies. Le problème a été, bien sûr, que l’Église a également introduit de nouvelles règles et interdit certaines expressions culturelles. Aujourd’hui, l’Église est toujours présente, mais il existe une sorte de croyance syncrétique associant des traditions de l’Église et des connaissances/cultures traditionnelles.

L’existence isolée (jusqu’à récemment) des Wayana présente certains avantages : nous parlons toujours notre propre langue, nous avons conservé une grande partie de notre patrimoine culturel et nous sommes très conscients de nos racines. L’inconvénient est que l’éducation scolaire est très limitée et donc que presque personne ne parle une langue étrangère. Malheureusement, aussi bien le gouvernement que les ONG de « conservation » ont profité de cette situation. Beaucoup de promesses ont été faites et de nombreux Wayana ont signé des documents en langues étrangères (qu’elles ne pouvaient pas lire), mais rien n’a vraiment changé à notre avantage. Au contraire, la situation sur notre territoire n’a fait que s’aggraver.

Les nouveaux colons : conservation et spoliation

Les pressions sur les communautés Wayana ont récemment commencé à s’intensifier, avec les activités de soi-disant ONG de conservation dans notre région : le WWF, Conservation International (CI) et Amazon Conservation Team (ACT). Ces organisations arrivent dans notre région comme de « nouveaux colons » qui prétendent vouloir nous aider à nous « développer ». C’est plutôt le contraire qui est vrai. Alors que nous vivions initialement sans problèmes et dans une coexistence durable avec notre forêt, nous devons maintenant composer avec de nouvelles règles. Nous ne pouvons plus pratiquer certaines de nos activités traditionnelles. Pour ces ONG, il ne s’agit que d’une affaire lucrative, mais pour nous, c’est notre vie !

La manière dont ces ONG communiquent avec les communautés autochtones est dépourvue de tout respect. Notre droit à un consentement libre, informé et préalable (CLIP) n’est pas mis en œuvre, même si elles prétendent le contraire. Elles mettent effectivement en œuvre la partie « information », mais pas le reste. Elles adoptent une approche descendante. Elles partent toujours du principe que nous, les peuples autochtones, ne comprendrons rien à cela de toute façon, alors elles prennent les décisions. Elles considèrent qu’elles savent ce qui est bon pour les peuples autochtones (mais elles ne pensent qu’à leurs propres profits).

Avec de belles photos de réunions et en racontant des histoires fantastiques à leurs donateurs, elles veulent prouver que toutes les populations autochtones ont accepté leurs projets. Le protocole d’accord signé par ACT pour la création du parc amazonien de Guyane offre un bon exemple de cette situation. Ce parc est une zone de conservation située à la frontière entre la Guyane française et le Suriname. Parce que les Wayana vivent des deux côtés de la rivière, une partie de la population vit désormais dans ce parc. Il existe à l’intérieur du parc toutes sortes de restrictions, des zones spéciales de chasse et d’agriculture, etc. Les Wayana qui vivent du côté du Suriname ne veulent pas vivre dans une zone réglementée, contrôlée par le gouvernement et les ONG.

Le protocole d’accord a été signé dans mon village, qui est situé à la frontière du Suriname et de la Guyane française. Ils ont pris une photo de groupe où figure mon chef suprême, Ipomadi Pelenapin, le jour où les organisations ont signé le protocole d’accord. La photo donne l’impression qu’il avait également signé et accepté le protocole, ce qui n’était pas le cas. Jusqu’à ce jour, nous ne connaissons pas le contenu de ce protocole d’accord, même si nous leur avons demandé une copie à plusieurs reprises. Nous savons seulement que le protocole porte sur des activités dans la région de mon chef suprême, mais nous ne savons pas ce que les ONG vont faire ni à quoi nous attendre.

Inégalités de pouvoir

Depuis 2015, CI, ACT et le WWF collaborent au « sauvetage » du sud du Suriname dans le cadre du projet SSCC : le corridor de conservation du Suriname du Sud (South Suriname Conservation Corridor). Cette zone protégée couvre environ 70 000 km2. Seuls 3 500 autochtones vivent dans cette région (Wayana et Trio), mais il nous est interdit de couper des arbres pour fabriquer nos maisons ou nos canoës. Il n’y a pas d’infrastructures et la région est uniquement accessible par avion ou après plusieurs jours de voyage en bateau. La communication avec les 9 villages de cette grande région représente donc un énorme défi. Ces organisations ont créé, sur le papier, une organisation qui semble montrer que nous, les autochtones, avons la maîtrise du projet. Cependant, dans la pratique, ce n’est pas le cas. Les populations autochtones participant à l’organisation du projet n’ont ni outils ni capacité de communiquer entre eux. Les seuls moments où elles se rencontrent (quelques fois par an), c’est lorsque les ONG organisent des réunions. Et ainsi, les ONG sont toujours présentes, elles déterminent l’ordre du jour, animent les réunions et surtout, elles déterminent la rapidité avec laquelle se prennent les décisions.

Il n’y a jamais assez de temps pour discuter entre nous afin de comprendre les différents sujets. En raison de la barrière de la langue, la traduction et l’explication détaillée des sujets prennent beaucoup de temps. Les dirigeants autochtones Trio et Wayana actuels parlent leurs langues maternelles, mais seuls quelques-uns d’entre eux comprennent un peu le néerlandais ou le surinamais. On pourrait s’attendre à ce que les ONG tiennent compte de cela, mais cela n’a pas été le cas. Des interprètes sont présents, mais ils ne reçoivent pas d’informations sur le sujet à l’avance. Comment un interprète peut-il traduire ou expliquer des mots de jargon tels que « gestion durable des forêts » ou « biodiversité culturelle » lors des réunions ? Récemment, les dirigeants autochtones ont découvert que le mot « développement », utilisé très souvent par les ONG, était littéralement traduit dans la langue de Wayana par « aidez-moi ». Lorsque j’ai entendu parler de cela, j’ai commencé à dresser une liste afin de normaliser la traduction des mots de jargon utilisés lors de ces réunions.

Les ONG et les peuples autochtones ne communiquent pas au même niveau. Et les ONG ne sont pas disposées à consacrer du temps et des efforts à une formation adéquate des interprètes. Elles le font vraisemblablement exprès, car c’est moins cher et plus rapide de cette façon. Nous sommes des personnes autochtones fières et nous ne voulons pas toujours dire aux ONG que nous ne les comprenons pas.

Protéger les forêts ou protéger un modèle ?

Nous avons récemment vécu une expérience négative avec le WWF. Au début de 2018, nous avons demandé au WWF de nous aider à cartographier notre territoire. Pendant 6 mois, toutes les communautés Wayana ont travaillé de manière intensive avec le WWF à la préparation du lancement du projet de cartographie (avec le logiciel SIG et la technologie LiDAR). Nous avions également prévu de lancer une étude sur le terrain pour valider les données et vérifier les témoignages, principalement faits par les aînés.

Ce dont les Wayana ont le plus besoin, ce sont des droits fonciers légaux et la démarcation de notre territoire. Jusqu’à présent, le gouvernement du Suriname ne reconnaissait pas nos droits, bien que l’Organisation des États américains (OEA) ait à plusieurs reprises condamné l’État du Suriname. Nous avons estimé que le projet avec le WWF était un moyen idéal d’obtenir la preuve (y compris par des recherches et des découvertes archéologiques) que les Wayana vivent dans cette région depuis des milliers d’années afin de pouvoir engager un dialogue avec le gouvernement. Nous voulions également utiliser ces données contre l’extraction d’or illégale dans notre région. L’interdiction de l’exploitation aurifère illégale est l’une de nos priorités. Cette activité entraîne toutes sortes de conséquences, comme la pollution au mercure dans les rivières, la surpêche, la déforestation et l’intensification des violences principalement à l’égard des femmes en raison de la présence des « Garimpeiros » (des mineurs d’or brésiliens qui exploitent des mines illégalement). Cependant, à notre grande surprise, le gouvernement et les ONG de conservation n’ont manifesté aucun intérêt pour la résolution de ce problème.

Une fois tous les préparatifs effectués, en consultation avec le WWF (formation des jeunes à l’utilisation de l’ordinateur et du logiciel de cartographie, etc.), le projet a été rédigé. À notre grande surprise, au bout de 2 mois, nous avons reçu un courrier électronique qui se résumait à une seule phrase : « Nous ne financerons pas cette activité, car elle ne rentre pas dans le cadre du programme forestier du WWF. » Aucune information complémentaire. Une réflexion plus approfondie nous a amenés à conclure que nous sommes trop critiques vis-à-vis du programme SSCC (qui est également un projet du WWF sur notre territoire) et qu’ils pensent que nous ne sommes pas suffisamment responsables. Mon chef suprême a indiqué que le WWF ainsi que ACT et CI ne sont plus les bienvenus sur ce territoire. « Qu’ils s’occupent de protéger la forêt à Paramaribo [la capitale du Suriname] », a-t-il dit.

Par ailleurs, aucune des ONG ne semble s’inquiéter du fait que certains villages Wayana n’ont aucune école. La seule solution consiste à envoyer les enfants en Guyane française (tous les jours en bateau), mais le gouvernement français ne tolère cela que jusqu’à la fin de l’école primaire. Ensuite, seuls les parents de nationalité française (ou qui ont la double nationalité) peuvent envoyer leurs enfants dans une école éloignée du foyer, dans un internat. Les coûts représentent plus de 4 fois le revenu moyen au Suriname (pour les personnes vivant en ville), tandis qu’il n’y a pratiquement pas d’économie monétaire dans les villages. En outre, les enfants reçoivent une éducation dans le système scolaire français et non dans le système néerlandais (le néerlandais est la langue officielle du Suriname). Il est pratiquement impossible pour les enfants de réussir à poursuivre leurs études au Suriname dans une langue qu’ils ne savent ni parler ni écrire. De plus, les parents peuvent difficilement en supporter le coût.

« Nous allons le faire nous-mêmes »

En avril 2018, notre chef suprême a créé la Fondation Mulokot. Il en avait assez de toutes ces déceptions et ces insultes envers le peuple Wayana. La Fondation – créée par et pour le peuple Wayana – permet la participation des leaders traditionnels. Au travers de cette fondation, il veut apporter notre propre « développement » et décider quels projets sont prioritaires et lesquels ne doivent pas être mis en œuvre. Les ONG et, dans une moindre mesure, le gouvernement, ne prennent pas cela au sérieux, mais nous, si ! Elles remettent également ouvertement en question la qualité et le niveau des membres de la Fondation.

Avec les leaders traditionnels, nous avons développé une vision stratégique avec trois objectifs principaux :

  • Une gestion territoriale durable par les populations Wayana qui commence par la cartographie de notre territoire (afin de définir nos limites, nos droits et notre autonomie) ;
  • La création d’un Institut d’éducation autochtone (combinaison de connaissances occidentales et autochtones, de collecte de données et de documentation sur notre patrimoine et notre culture) pour nos jeunes et notre avenir ;
  • La souveraineté alimentaire avec différents modes d’agriculture, de domestication de la faune, etc.

L’aspect le plus remarquable est que la plupart des ONG ne veulent pas soutenir notre Institut d’éducation autochtone. L’argument qui nous est opposé est que pour construire un bâtiment – et aider à fournir une éducation qui utilise nos connaissances autochtones – il faut utiliser du bois de la région, ce qui semble être pire que le manque d’éducation dans nos communautés. Nous comprenons que notre forêt est essentielle pour l’avenir, voire pour l’avenir de tous. Cependant, notre peuple vit dans cette forêt depuis des générations et la forêt est toujours florissante, de quoi ont-ils si peur ?

Maintenant, notre chef suprême a décidé de mettre fin à la présence de toutes les ONG de « conservation » dans notre région. Nous allons faire les choses par nous-mêmes et nous allons rechercher des partenaires qui partagent notre façon de penser et de vivre. Ce ne sera pas facile, mais l’ensemble de notre existence ne l’a jamais été.

Notre devise est la suivante : rien de ce qui nous concerne ne doit être fait sans nous !

Voir l’article original sur wrm.org

Notes

[1Les Marrons désignent les descendants africains en Amérique qui se sont établis dans les forêts pour échapper à l’esclavage

Commentaires

Article de Mlle Jupta Itoewaki (mulokotkawemhakan@gmail.com), Présidente de la Fondation Mulokot, publié le 12 Mars, 2019 dans le Bulletin 242 du WRM.