La lutte des Amérindiens pour la récupération de leurs terres

Les Mapuches, ces gens de la terre…

, par CIIP

Les Mapuches, ces « gens de la terre », sont présents en Argentine (environ 200 000) et surtout au Chili (1 200 000).

Une histoire héroïque et tragique : le peuple mapuche fut l’un des seuls peuples amérindiens, sinon le seul, à résister victorieusement au moins partiellement, aux colons espagnols, au point de contraindre la Couronne espagnole à signer avec eux des Traités, appelés Parlements, dont le plus célèbre est le Parlement ou Traité de Quilin (1641).
Traité par lequel la couronne espagnole a reconnu un territoire autonome allant du fleuve Bio Bio, à la hauteur de Concepcion, jusqu’à Valdivia, à 600 km au sud).

Par ailleurs, ces Mapuches avaient arrêté victorieusement, avant l’arrivée des Espagnols, les Incas, à 150 km au sud de Santiago.
Mais ils furent, à partir de l’indépendance du Chili (1818), continûment persécutés, chassés de leurs terres, massacrés par l’État chilien, excepté durant la très brève période de l’Unité populaire de Salvador Allende (1970-1973).

Carte : http://patagonia-under-siege.blogspot.com/

Bref historique

L’origine même des Mapuches est incertaine. Hypothèse la plus probable : les Mapuches auraient émigré au Chili à partir de la pampa argentine, de la forêt amazonienne et des plateaux du Chaco paraguayen. Ils descendraient des Tupi-Guaranis. A l’arrivée des Espagnols (1541), les Mapuches occupaient une partie non négligeable du territoire chilien, et leur organisation communautaire, sociale et économique était bien définie, autour du « Lof » [1], Leur population était en partie sédentarisée et s’élevait à environ un million de personnes. Ce qui contredit radicalement l’histoire officielle encore enseignée au Chili selon laquelle il n’y aurait eu, à l’arrivée des conquistadores, que des « bandes d’aborigènes » éparpillés, nomades, des groupes isolés de chasseurs.

Chronologie

1541  : arrivée des Espagnols au Chili.

1er janvier 1554  : haut fait du chef mapuche Lautaro, mythique s’il en fut, qui défait les troupes espagnoles et fait prisonnier Valdivia, l’un des plus grands chefs militaires espagnols.

6 janvier 1641  : Parlement et Traité de Quilin (à 20 km de Temuco). Reconnaissance du fleuve Bio Bio comme frontière et de l’autonomie du peuple mapuche.

13 février 1726 : Second Parlement et Traité de Negrete. Confirmation du Bio Bio comme frontière. Accords commerciaux. Les Mapuches s’engagent à être « les ennemis des ennemis du roi d’Espagne ». Engagement qui sera lourd de conséquences lors de la lutte des « Criollos » [2].

1818  : indépendance du Chili. Le nouvel État accepte que les Mapuches restent souverains sur leur territoire.

1868-1881 : « Pacification de l’Araucanie », en fait une véritable guerre d’extermination et de dépossession menée avec une sauvagerie inouïe contre le peuple mapuche. Des dizaines de milliers de Mapuches sont massacrés, leur bétail est abattu, leurs communautés incendiées… Le peuple mapuche est désormais, à partir de 1881, confiné dans des « réductions », qui permettent à peine l’autosubsistance… La superficie de leurs terres passe de 11 millions à 500 000 hectares…

1970-1973  : le gouvernement d’unité populaire de Salvador Allende restitue aux Mapuches environ 15 000 hectares, mais les considère seulement comme « citoyens chiliens », et non comme Mapuches ayant leur identité, leur culture, leur langue, et ayant vocation à devenir autonomes.

1973-1989 : longue période de dictature d’Augusto Pinochet, durant laquelle les Mapuches eurent beaucoup à souffrir (restitution des terres données par Salvador Allende à de gros propriétaires, massacres, disparitions…).
Loi du 22 mars 1979, dite de « dissolution des communautés » : la propriété collective des terres est supprimée.
En 1978, Pinochet décide de subventionner les entreprises forestières qui planteraient au sud du Chili pins et eucalyptus en vue d’une exportation massive et rentable de bois, de pâte à papier…, quitte à raser les forêts natives pour leur substituer des « forêts à bois ».

1989 : transition vers la démocratie, avec l’élection de Patricio Aylwin comme nouveau Président. Mais la situation des Mapuches ne change guère…

1992-93 : l’État chilien proclame en 1993 « La loi indigène » (« Ley indigena ») qui ne débouche sur aucune mesure concrète, même si elle reconnaît une « dette historique » envers les Mapuches. Pas de reconnaissance des Mapuches comme peuple. Face à l’inertie de l’État chilien "démocratique", les Mapuches lancent des actions « d’occupations de terres », qui sont suivies d’une répression impitoyable. De nombreux leaders (« longkos ») mapuches sont emprisonnés…

1994-2009 : La loi « anti-terroriste » adoptée par Pinochet en 1978 est de plus en plus appliquée aux Mapuches qui résistent aux expulsions de terres ou qui essaient de récupérer les terres volées. Face à la politique forestière de l’État chilien, politique qui entraîne une expropriation continue des communautés mapuches de leurs terres et de leurs forêts, les Indiens mapuches résistent. Ils s’organisent autour de divers mouvements, dont le plus radical est la Coordinadora Arauco-Malleco, qui revendique la récupération des terres volées, la reconnaissance des Mapuches comme peuple, un territoire autonome… Marches, rassemblements, occupations de terres…
Octobre 2007 : Patricia Troncoso, militante mapuche, entreprend une grève de la faim… qui durera jusqu’au 10 janvier 2008. Trois jeunes Mapuches ont été tués par les Carabiniers : Alex Lemun (17 ans) en 2002, Matias Catrileo (22 ans) en 2008, Jaime Mendoza Collin (24 ans) le 12 août 2009…

Exode vers les villes : suite à ce processus continu d’expulsion, 65% des Mapuches vivent désormais dans les villes, à Santiago, Concepcion, Temuco..., les communautés rurales d’origine, de plus en plus restreintes, ne pouvant plus nourrir la population mapuche. En ville, ils occupent les emplois les plus précaires et se « chilianisent », oubliant leurs racines, même si depuis les années 1990 on voit surgir des centres culturels mapuches et de nouveaux liens de solidarité entre les Mapuches des communautés rurales et ceux des zones urbaines.
Benetton et les Indiens mapuches d’Argentine

Les luttes des Mapuches du Chili ne doivent pas faire oublier celles de leurs frères mapuches d’Argentine (environ 200 000), en particulier ceux de la région d’Esquel (Patagonie) qui ont en face d’eux Benetton, lequel est le plus grand propriétaire terrien d’Argentine avec environ 900 000 hectares s’étendant sur les provinces de Neuquem, Rio Negro, Chubut et Santa Cruz. Début mai 2003, a été créée dans cette région d’Esquel Minera Sud Argentina S.A., une entreprise de prospection aurifère, entreprise propriété de Benetton qui a entraîné entre autre l’expropriation d’un couple mapuche Curinano-Nahuelquir (500 hectares) et suscité, au-delà des démêlés judiciaires à rebondissements, une mobilisation étonnante des Indiens mapuches. Lors d’un plébiscite, ceux-ci ont repoussé dans une très forte proportion (85%) cette exploitation aurifère. La raison principale, outre l’expropriation : le procédé d’extraction utilise le cyanure qui risquait de polluer gravement les cours d’eau et la végétation. En contrepartie de cette exploitation minière Benetton a proposé au couple mapuche un terrain de 2 500 hectares… proposition refusée. La mine a été ouverte dans un contexte d’hostilité générale… A noter par ailleurs qu’une communauté mapuche s’est établie sur une propriété de Benetton et qu’une autre a réussi à faire entendre ses droits à la terre et gère aujourd’hui le premier centre de ski autochtone d’Amérique latine…

Avec la restitution de leurs terres, les Mapuches d’Argentine, avec leurs frères autochtones, notamment les Quechuas du nord du pays, demandent un État plurinational.

Notes

[1Communauté de base de la société indienne mapuche constituée d’un nombre plus ou moins restreint de familles, sur la base d’une propriété collective des terres, et d’une "gestion" démocratique des problèmes et des conflits (dans des assemblées communautaires).

[2Terme utilisé en Amérique Latine pour désigner les descendants des colons espagnols ayant lutté pour la décolonisation et l’indépendance du Chili et qui se sont le plus souvent appropriés les pouvoirs économiques et politiques après l’indépendance.