Écofascisme(s), de quoi parle-t-on ?

Le tournant des attentats écofascistes

, par CIDES , ROUQUETTE-CORIAT Cécile

Mêlant vision romantique et organiciste de la nature, du territoire, de la religion et de l’identité, et prônant parfois un « accelérationnisme [1] », certain·es sont passé·es aux actes. C’est le cas de Brenton Tarrant, à Christchurch, Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019, qui – équipé d’armes de guerre – a tué 51 personnes et blessé 49 autres dans plusieurs mosquées. C’est également le cas de Patrick Crusius à El Paso, Texas, qui, le 3 août de la même année, tua 22 personnes et en blessa 26 dans un supermarché fréquenté par des populations dites latinos. Ou, plus récemment, de Payton Gendron qui tua, à Buffalo, le 14 mai 2022, 10 personnes dans un supermarché fréquenté par des noirs-américains.

Dans leurs manifestes respectifs, ces terroristes ne laissent planer aucun doute sur les motifs qui ont animé leurs actes : l’immigration serait une menace aux équilibres socio-écologiques déjà fragilisés. « Ce sont les deux faces d’un même problème » pour Brenton Tarrant qui se revendique écofasciste.
«  Je me considère comme un écofasciste. [L’immigration et le réchauffement climatique] sont deux faces du même problème. L’environnement est détruit par la surpopulation, et nous, les Européens, sommes les seuls qui ne contribuent pas à la surpopulation.  […] Il faut tuer les envahisseurs, tuer la surpopulation, et ainsi sauver l’environnement. […] L’environnement naturel de nos terres nous a façonnés comme nous l’avons façonné. Nous sommes issus de nos terres et notre propre culture a été façonnée par ces terres. Leur protection et leur préservation est tout aussi importante que la protection et la préservation de nos idéaux et de nos croyances. »
De ces manifestes parfois confus percent des idées et thèmes développés par certain·es penseur·es se revendiquant écofascistes, comme l’écrivain polémiste finlandais Pentti Linkola qui prônait, entre autres, la réduction drastique de la population mondiale pour raison environnementale, mais aussi l’abolition de la démocratie ou la désindustrialisation.

La question écofasciste est internationale et, dans les cultures anglo-saxonnes, l’écofascisme est « une idéologie qui est présente depuis très longtemps. Elle remonte au nazisme mais, dans les années 1980, les extrêmes droites anglaises et américaines se sont beaucoup intéressées à la question écologique. En 1983, Tom Metzger, qui fut le bras droit du chef du Ku Klux Klan, David Duke, et fondateur de la White Aryan Resistance, explique, par exemple, qu’il a décidé de baser son mouvement sur “l’écologisme aryen”. Et dans les années 1990, on trouve quantité d’articles dans la presse d’extrême droite se demandant si “Hitler était un écologiste”  », rappelle Betsy Hartmann, spécialiste des mouvements d’extrême droite et des politiques de natalité, professeure émérite au Hampshire College (Massachusetts) [2].

Avec les attentats de Christchurch, d’El Paso ou de Buffalo, le néologisme « écoterroriste », utilisé par Gérald Darmanin [3] pour (dis)qualifier les militant·es écologistes, prend forme et apparaît aux antipodes des actes de désobéissance civile légitimes menés par des groupes écologistes partout en Europe. Ces actes écoterroristes, par ailleurs écofascistes, soulignent comment la crise profonde du modèle de développement néolibéral, creusée par les effets irréversibles de l’Anthropocène, pourrait faire dériver tant des individus, que des gouvernements vers l’autoritarisme, la violence et le néo-fascisme.
Traversé par une crise structurelle et confronté au nouveau régime climatique et à son cortège de dégradations qu’est l’Anthropocène, le monde occidental va devoir profondément changer – pour le meilleur ou pour le pire.

Notes

[1L’« accélérationnisme » prône l’accélération des tendances autodestructrices de la société (surproduction, exploitation…) pour arriver plus rapidement à l’effondrement de la civilisation capitaliste. Dans le cas des survivalistes, c’est un effondrement de la société thermo-industrielle qui semble visé, tel qu’envisagé et étudié par la collapsologie. L’idée de l’accélérationnisme (qu’il soit de droite ou de gauche) est d’aller plus rapidement vers une transformation sociétale radicale.

[2Citée dans Le Monde 

[3Gérald Darmanin parle d’« écoterrorisme » pour qualifier les manifestants de Sainte-Soline
Beherlet Marie-Sarah. Les surligneurs, 15 novembre 2022