Inde : un pays sur le long chemin de la lutte contre les discriminations

Le système de castes en Inde

, par CID MAHT

Une division quadripartite de la société

La société indienne est organisée selon un système de castes, qui, contrairement au système de « classes sociales » occidental, ne repose pas sur des critères exclusivement matériels. Il s’agit d’une véritable division hiérarchique et inégalitaire de la société dont les fondements sont à la fois socio-professionnels, religieux, moraux et coloniaux. Les castes actuelles sont le résultat des changements sociaux en cours depuis le XIXe siècle renforcé par la colonisation britannique qui, au début, associait certaines classes sociales à certaines tâches dans l’administration coloniale. La société est ainsi divisée, selon les textes fondateurs de l’hindouisme, en quatre grandes catégories qui façonnent encore le quotidien de la population, bien que l’article 15 de la Constitution de l’Inde interdise les discriminations fondées sur les castes.

Pyramide des castes
Schéma Dominique Thomas

Les 4 castes (varna), sont chacune issue d’une partie de l’« être primordial », Purusha [1].
L’appartenance à une caste est héréditaire et ainsi attribuée à chaque individu à sa naissance et ce pour toute sa vie. Les individus doivent traditionnellement se marier entre membres d’une même caste, voire entre membres d’une même « sous-caste ».
Une sous-caste ou jati (naissance) correspond au milieu socioprofessionnel dont chaque hindou·e hérite de ses parents et agit aussi sur les pratiques d’endogamie et la hiérarchie sociale. Il y aurait environ 4 600 jatis en Inde, dont les noms varient et évoluent selon les régions.
Ces castes façonnent la société indienne de sorte que certaines ont donné lieu à des lobbies ou partis politiques.

À ces quatre castes doivent toutefois s’ajouter les intouchables, ou dalits, représentant 17 % de la population et exclu·es du système car exerçant des professions qualifiées d’« impures », telles que les éboueurs, les bouchers qui sont en contact avec le sang des animaux. En sanskrit, le terme « dalit » signifie « brisé, opprimé, tyrannisé, ou oppressé ». Cette exclusion se manifeste dans toutes les sphères de la société.
De nombreux lieux sont interdits d’accès aux dalits, qui font l’objet d’une véritable ségrégation dès leur plus jeune âge. Pour les écolier·ères, par exemple, il convient de relever que 40 % des établissements scolaires pratiquent l’intouchabilité lors des repas du midi, séparant les élèves issu·es de castes inférieures des autres. Cet apartheid est profondément ancré chez les enfants dès la naissance et leur vie d’adulte en est affectée.

L’intouchabilité a été officiellement abolie par la Constitution de l’Inde indépendante en 1947, interdisant les classes supérieures de contraindre les dalits à exercer des activités dégradantes et humiliantes.
Pourtant, la plupart des professions traditionnellement impures telles que le balayage ou le travail du cuir sont toujours presque exclusivement exercées par cette communauté.

D’autres formes de discriminations restent omniprésentes :

  • les espaces réservés dans les restaurants
  • l’interdiction d’entrer dans les temples des villages
  • la séparation des cimetières
  • l’interdiction d’utiliser des chemins communaux
  • la faiblesse des salaires, etc.
    Manifestation pacifique pour défendre le droit à la terre des dalits

    Une rigidité traditionnelle mise à l’épreuve

Cependant l’urbanisation, l’industrialisation, la mobilité géographique et professionnelle ont permis d’assouplir ce système de castes. Bien que les mariages entre membres de castes différentes restent difficilement acceptés et que l’hérédité sur laquelle est fondée l’appartenance aux castes soit toujours en vigueur, il n’existe pas d’adéquation radicale entre le métier et la caste. Aussi, les individus peuvent faire partie d’une caste ou d’une « sous-caste » se rattachant à une profession sans nécessairement l’exercer, et même exercer une profession hiérarchiquement supérieure.
Toutefois, des mouvements sociaux et politiques de discrimination positive ont permis à la communauté dalit d’améliorer sa condition économique, politique et sociale.

La discrimination positive se traduit par des avantages inscrits dans la Constitution concédés alors aux "sections les plus faibles de la population", soit les dalits, classés comme « castes répertoriées » (Scheduled castes ou SC) et les tribus comme « tribus répertoriées » (Scheduled tribes ou ST). Des mesures socio-économiques visent à promouvoir ces catégories défavorisées en leur réservant des quotas d’emplois dans les services publics (système éducatif, administration) et des bourses d’études. En 1990, ce sont à leur tour d’autres castes défavorisées (Other Backward Classes ou OBC, situées entre les hautes castes et les SC) qui se voient attribuer des quotas réservés.

Certains dalits ont par exemple été élu·es à des responsabilités politiques, telles que Mayawati Kumari (élue ministre en chef d’Uttar Pradesh en 2007) ou Meira Kumar (élue présidente du Parlement indien en 2009). La création de partis de castes, tels que le Republic Party of India, puis le Bahujan Samaj Party, a également ’accéléré ce processus. Ces partis ont notamment pu bénéficier d’alliances avec les partis traditionnels, leur permettant de faire entendre leurs revendications.

Si la Constitution indienne protège, en théorie, les catégories sociales défavorisées, dans la pratique, le système des quotas est régulièrement remis en cause et dénigré. « On parle des étudiant·es-quotas comme d’une maladie. Beaucoup d’étudiant·es qui ont droit à ces quotas préfèrent cacher leur identité et ne pas y recourir. La promotion des basses castes est perçue d’un mauvais œil par les groupes dominants, dont l’hégémonie se trouve ainsi contestée [2] ».
En fait, s’il est indéniable que la mobilité sociale progresse en Inde, la société indienne reste profondément inégalitaire. Ainsi, le Bureau national des statistiques sur la criminalité enregistre chaque année plus de 45 000 cas de violence à l’encontre des dalits [3]. Les populations les plus vulnérables sont encore bien loin d’avoir accès aux droits humains les plus élémentaires.