Jutka Szabó explique qu’il est difficile d’être homosexuel dans un pays où la propagande du gouvernement prône l’uniformité - où la différence, que ce soit de couleur de peau, d’habillement ou d’orientation sexuelle est mal vue.
« De là à affirmer que ceux qui ne font pas partie de la catégorie dite « normale » sont inférieurs, il n’y a plus qu’un pas.
Szabó, femme homosexuelle d’une soixante-dizaine d’années, vit en Hongrie. Elle faisait partie de ceux qui se sont sentis soulagés le 4 avril, lorsque le référendum homophobe visant à diviser la population et à renforcer le soutien des politiques anti-LGBTIQ de Viktor Orbán a connu un spectaculaire retournement de situation.
Les critiques ont dit que le référendum était pensé de façon à représenter les personnes LGBTIQ comme une menace potentielle pour les enfants, en mettant sur le même plan homosexualité et pédophilie.
Le gouvernement populiste d’Orbán avait demandé aux électeurs de se prononcer pour ou contre 4 questions : « l’apprentissage de l’orientation sexuelle » à l’école sans accord parental ; la « promotion de thérapie de changement de sexe » destinée aux enfants, l’exposition des enfants à des « contenus médiatiques explicitement sexuels » ; et la présentation aux mineurs « de contenus médiatiques en rapport avec les procédures de changement de sexe ».
Au bout du compte, 1.6 millions de personnes ont exprimé un vote nul, encouragés par une campagne de 16 ONG - la plupart des groupes de défense des droits de l’homme. Le référendum a été déclaré invalide, avec moins de 50 % du corps électoral exprimant un vote valide.
Il s’agissait d’un acte de protestation publique jamais vu contre un référendum absurde ; la législation sur laquelle il portait ayant déjà été adoptée en juillet 2021. Pour le gouvernement, ce vote avait pour seul objectif de faire approuver par le peuple ses politiques de plus en plus orientées contre la communauté LGBTIQ – un plan qui a échoué lamentablement.
Pour Tamás Dombos, le coordinateur de projet de Háttér Társaság, première association hongroise LGBTIQ, le grand nombre de votes invalides est une grande avancée, d’autant plus si l’on considère que le gouvernement a médiatisé le référendum par le biais de tous les canaux possibles, publics comme privés.
« Le gouvernement aimait pouvoir compter sur l’adhésion du peuple pour légitimer ses projets quand il s’agissait de négocier avec des organisations internationales, en particulier les Etats-Unis » a déclaré Dombos à openDemocracy.
Bien que 3.6 millions de personnes aient suivi le gouvernement lors du vote, ce qui compte, finalement, est qu’il n’avait aucune base légale.
Restreindre les droits des LGBTIQ
Un sentiment grandissant d’insécurité s’est propagé parmi les communautés LGBTIQ hongroises ces dernières années, en réaction à la législation répressive et à la propagande hostile.
Le gouvernement d’Orbán n’a jamais été particulièrement accueillant envers les minorités sexuelles, affirmant qu’ils ne correspondent pas à ses idéaux familiaux. Quand, en 2007, le dernier gouvernement libéral de gauche a passé une loi permettant l’officialisation de l’union des couples de même sexe, il a rencontré une vive opposition de la part de Fidesz, le parti d’Orbán.
Trois ans plus tard, quand Fidesz est arrivé au pouvoir, le parti a fait acter dans la constitution hongroise que le mariage n’est possible qu’entre un homme et une femme – anéantissant l’espoir de voir se réaliser l’instauration du mariage de personnes de même sexe dans le pays. Depuis, le gouvernement a œuvré au moyen de plusieurs politiques à restreindre encore davantage les droits des LGBTIQ.
« La tolérance envers les relations homosexuelles est bien meilleure depuis la transition démocratique de 1990, explique Szabó, « mais malheureusement, la tendance s’est inversée durant les trois voire quatre dernières années. »
Par conséquent, Háttér Társaság estime à plusieurs milliers le nombre de jeunes LGBTIQ – surtout de transgenres – ayant quitté le pays. Pour beaucoup, le tournant a eu lieu en mai 2020, quand le gouvernement a retiré aux personnes transgenres le droit de changer leur prénom sur les documents officiels.
« Le gouvernement a promulgué l’interdiction quelques jours avant que mon compagnon puisse enregistrer tous les papiers [pour le changement de nom]. » Nous avons pleuré pendant des jours. Comment peut-on humilier les gens de cette façon ? Interroge Ágnes Sebők, femme transgenre originaire de Tatabánya, une ville située à 60 kilomètres de Budapest.
Sebők est atteinte de dysphorie depuis son plus jeune âge. Son enfance sur fond de solitude l’a mené à la dépression, aux crises de panique et aux complexes d’infériorité. Quand elle a essayé de discuter de son orientation sexuelle avec son père, il l’a battu. Ni sa famille ni ses professeurs n’étaient prêts à l’aider.
Ces dix dernières années, les choses se sont un peu arrangées pour Sebők : elle a un compagnon et travaille pour une entreprise où elle se sent acceptée et soutenue. Mais elle a malgré tout l’impression que la Hongrie régresse.
« Je ne pense pas qu’il puisse y avoir un changement positif tant que Fidesz est au gouvernement », a-t-elle expliqué. « Il leur faut un ennemi, et nous sommes simplement trop faibles pour riposter.
« En fait, je pense que [la Hongrie] se dirige vers un modèle russe, c’est-à-dire plus de discrimination ».
Il est vrai qu’en décembre 2020, des mois après que l’interdiction pour les personnes transgenres de changer de prénom sur les documents officiels prenne effet, le gouvernement a interdit l’adoption pour les couples de même sexe. Par le passé, c’était possible dans le cas où un père ou une mère célibataire demander l’adoption en son nom, mais maintenant cela requiert l’accord du ministre chargé de la famille. La constitution a même été modifiée pour y inclure la phrase : « La mère est une femme, et le père est un homme ».
Ensuite, l’été dernier, le gouvernement a passé les lois au sujet desquelles le référendum s’est tenu plus tard ; interdire la diffusion d’informations sur les personnes LGBTIQ et ce qui est qualifié de « promotion » de l’homosexualité auprès des mineurs, ne laissant presque aucune option aux médias et à l’édition. Cela a suscité une forte critique de la communauté internationale et poussé la Communauté européenne à engager des actions en justice qui sont toujours en cours actuellement.
Malgré la croisade du gouvernement contre la communauté LGBTIQ, Donbos a affirmé que la majorité des citoyens hongrois est tolérante. « Mais il existe une minorité homophobe, qui se sent maintenant encouragée par les médias publics à s’en prendre aux homosexuels.
Récemment, Háttér Társaság a reçu des signalements d’un couple lesbien auquel on a lancé des œufs, d’un homme menacé au couteau dans un bus pour des raisons homophobes, et de violences verbales commises dans la rue.
« Il ne fait aucun doute que le nombre d’attaque est en augmentation », a constaté Dombos.
Une désinformation qui empire
Ni Szabó ni Dombos n’ont fait l’objet d’attaque. Ils estiment avoir de la chance.
"Je suis né dans une famille très tolérante, je n’ai pas eu de problème à la fac ou sur mon lieu de travail, explique Dombos « Je vis à Budapest. Mais je suis sûr que dans des communautés plus petites, où il y a moins d’informations, les gens sont plus touchés par la discrimination".
Bien que Szabó soit d’une autre génération, elle dit qu’elle n’a pas non plus été la cible de discrimination ouverte. Avant la transition démocratique, a-t-elle expliqué, l’homosexualité était un tabou, mais était plus ou moins tolérée – simplement, les gens n’en parlaient pas beaucoup.
Sebők a connu des expériences moins agréables – elle s’est sentie régulièrement discriminée et humiliée dans le secteur médical hongrois, le plus souvent par des médecins.
Szabó, Dombos and Sebők sont tous les trois d’accord pour dire que, malgré l’échec du référendum, la législation récente orientée anti-LGBTIQ conduira à moins d’informations sur leur communauté, plus de désinformation, et à un important manque de soutien de la part des générations les plus jeunes.
Les organisations qui par le passé étaient en capacité d’offrir aide et conseils aux adolescents ont en effet été exclues des écoles. Parallèlement, les professeurs sont de plus en plus réticents à aborder les questions LGBTIQ, car cette responsabilité incombe selon la loi uniquement aux parents.
Cependant, comme le prouve le cas de Sebők, les adolescents ne peuvent pas tous chercher du soutien auprès de leurs parents. En réalité, une enquête de 2017 a montré que 44% des hongrois auraient honte d’avoir une personne appartenant à la communauté LGBTIQ dans leur famille. En Europe, de tous ceux étudiés, la Hongrie est le troisième pays le plus touché, après la Russie et la Lituanie.
De nombreux hongrois pensent encore que se contenter de discuter d’homosexualité est suffisant pour que les enfants et les adolescents remettent en question leur orientation sexuelle. C’est sous couvert de ce risque, explique Dumbos, « que le gouvernement essaie de laisser les gens dans l’ignorance et évite ces sujets. »
Mais pour Sebők, la réalité est pire encore : « Ce régime manque sciemment à son devoir d’information pour pouvoir manipuler le peuple ».