Le pouvoir transformateur de l’ECSI et du théâtre d’improvisation

, par ritimo , DUVAL Virginie

L’ECSI est, en quelque sorte, la branche de l’éducation populaire développée par les associations de solidarité internationale. Elle permet de déconstruire les représentations sur les relations internationales, économiques, environnementales, mais aussi de genre... De penser le monde dans son ensemble.

Chaque année, ritimo co-organise la seule formation des animateur·rices professionnelles en ECSI, la « semaine de formation à l’animation en éducation à la citoyenneté et la solidarité internationale » (SECSI).

Échange avec Charlotte, nouvelle chargée de mission « ECSI » pour l’association Avenir en héritage et stagiaire lors de la dernière session de la SECSI.

Semaine de formation à l’animation en ECSI (SECSI). Image ritimo.

En août dernier, tu es « montée » à Paris pour participer à la « Semaine de formation à l’animation en ECSI ». Pour quelle raison ?

Quand j’ai pris mon poste à Avenir en héritage, je ne savais pas ce qu’était l’ECSI. J’ai réalisé que les activités que j’y menais pouvaient avoir un pouvoir transformateur sur les gens, les communautés. Je faisais déjà tout ça avec conviction, mais sans théorie, sans quelque chose qui me permette de prendre du recul sur ma pratique d’éducation populaire. Je voulais voir comment on fait pour construire une séance qui a de l’impact sur les gens, comment on met en débat, comment on lance la réflexion… J’arrive facilement à initier des animations, à mettre des ateliers en place. Mais j’avais vraiment besoin d’avoir du fond.

Tu peux nous dire comment tu pratiquais « avant » ?
Avant d’arriver à Avenir en héritage, j’ai travaillé au Mexique et en Colombie, où je proposais, pour le PNUD [1], des ateliers de théâtre d’improvisation, pour faire du lien entre français et internationaux, entre migrant·es, expatrié·es, volontaires… J’ai participé, par exemple, à l’organisation d’une « feria del conocimiento » [2] sur la gestion des conflits autour des hydrocarbures. Ca a réuni plein de personnes : des bénéficiaires des programmes de l’ONU, des gens de terrain, des collectivités... On a regardé collectivement les pratiques, les violences vécues.. et on s’est posé la question de comment accompagner cette transformation du conflit. J’ai aussi fait du théâtre forum avec une association colombienne qui souhaite construire une « culture de la paix ». Au Mexique, j’animais avec une association des séances de théâtre d’improvisation pour des enfants dont les parents travaillent dans la rue et qui ne peuvent pas aller à l’école (la classe est organisée par demi-journée, le matin ou l’après-midi. Comme souvent l’école est loin, ils·elles ne peuvent pas y aller et en revenir tou·tes seul·es. Donc ils·elles se retrouvent dans la rue, à vendre du chewing gum, à nettoyer les voitures..). Les thématiques étaient beaucoup axées sur les violences, notamment de genre, de rue… Le théâtre d’improvisation permettait d’avoir un espace d’expression.
Avec les valeurs d‘écoute, de partage, l’acceptation, la proposition…, ça ressemble à l’ECSI.

Tu peux nous raconter une séance de théâtre d’improvisation ?
Fin 2019, orientée par le CDIJ17 et en co-animation avec Avenir en héritage, j’ai proposé une séance d’improvisation à un groupe de jeunes qui revenaient d’une mobilité internationale. L’idée, c’était de partager un aspect qui avait marqué leur voyage, la corruption, mais aussi de revenir sur ce qu’ils·elles avaient pu sentir et ce qu’ils·elles voulaient faire après leur voyage.
Avant mon intervention, Jean Christophe d’Avenir en Héritage avait fait émerger leurs coups de coeur, coups de gueule et leurs émotions. J’avais pris plein de notes pour leur proposer des séquences d‘impro.
Et puis on a démarré avec un échauffement physique pour avoir le corps engagé. Ensuite, on a enchainé avec un de mes exercices préférés , « le guide et l’aveugle » : une personne guide l’autre, qui a les yeux fermés. Elle lui raconte un voyage comme si la personne avec les yeux fermés était en train de le vivre. « Tu viens d’arriver à Mexico, tu montes dans un pick up, tu lèves le pied, tu mets tes pieds dans l’eau… » Ca permet de partager des récits de voyage mais aussi des émotions.
C’est un exercice délicat, parce que certaines choses sont très intimes dans les voyages. Selon la confiance dans les binômes ou la confiance que tu as sur le moment, cet exercice est très différent. Ca a été très fort avec des personnes qui venaient d’arriver en France et qui racontaient leur parcours migratoire.
Ca peut aussi être bien plus léger. C’est selon ce que tu as envie de raconter.

Est-ce que tu donnes des consignes pour les amener sur les sujets qu’il y a besoin de déconstruire, qui vont permettre au groupe d’avancer ?
La consigne, c’est juste « prends la 1e idée qui te vient ». En impro, ça se construit au fur et à mesure. Il ne faut pas que les participant·es aient tout dans la tête. Parfois quand tu dis « là, c’est très froid », c’est juste parce que la fenêtre est ouverte. Dans le théâtre d’improvisation, il faut que tu prennes en compte ton environnement, et que tu t’adaptes constamment à ce qui est en train de se passer. D’où la spontanéité comme première qualité de cette discipline artistique.

Tu mentionnais le théâtre d’improvisation auprès de personnes migrantes, qui racontent leur parcours migratoire. Comment fais-tu pour gérer le fait que certain·es peuvent raconter des choses difficiles ?
Je précise bien qu’ils·elles doivent raconter l’histoire qu’ils·elles veulent raconter. Bien sûr, certain·es n’arrivent parfois pas à se mettre dedans, ni en racontant un voyage ni à en recevoir un.
C’est aussi un outil que j’anime pour pratiquer les langues étrangères, pour vivre une certaine immersion dans les souvenirs.

Est-ce que cette pratique d’éducation populaire pourrait s’adapter à une session de déconstruction des stéréotypes ?
Oui, mais il faut faire attention. Si tu demandes « racontez un moment où il y a eu un gros cliché sur *telle nationalité*... » et que ça prend en charge 100 % de l’expérience d’une personne, elle peut se sentir vulnérable. Il faut rester dans l’improvisation.
Les clichés n’arrivent souvent qu’à la fin, au moment du debrief du « voyage », quand tu leur demandes ce qu’ils·elles ont appris du voyage, ce que l’autre leur a fait faire, s’il y avait des choses faussées... D’où l’importance du débat et du débrief qui suit la séance et dont on a pu explorer différentes techniques à la SECSI !

Après une semaine de formation à l’ECSI, qu’est-ce qui, selon toi, est ressemblant entre l’ECSI et le théâtre d’improvisation ?
Déjà, la question de la réunion des personnes et le fait que ces pratiques s’adressent à tou·tes. C’est souvent les personnes les plus timides qui deviennent les meilleures improvisatrices. On peut retrouver des personnes d’origine sociale et de nationalités vraiment différentes.
Dans tous les pays où j’ai pu faire des ateliers d’improvisation, il y avait aussi bien des étudiant-es, des travailleurs-ses, des plus âgé·es et des plus jeunes. Cette union de personnes qui ne se seraient pas rencontrées ailleurs. C’est ce que j’associe à l’ECSI et au théâtre d’improvisation. Le fait de pouvoir s’adresser à tou·tes.
Le fait d’être vraiment aussi dans une technique de « représentation », d’analyse systémique, avec des problématiques sociales importantes. Et puis l’idée de se poser la question de « comment on peut agir dessus » : on va essayer d’aller expérimenter (même si dans ce cas, on est plus dans le théâtre forum), pour pouvoir avoir un impact. Les deux ont un pouvoir transformateur, et un pouvoir d’explication important sur des situations complexes.
Avec l’improvisation théâtrale, on gravit des marches importantes dans la prise de parole, la confiance en soi, les relations avec les autres. C’est un outil transformateur hyper fort aussi dans la communication avec les gens : tu proposes, l’autre doit accepter et ajouter quelque chose. Il·elle doit donc accorder de l’importance à ce que tu dis. A partir du moment où tu dis quelque chose, ça existe, tu dois le prendre en compte dans ton histoire. C’est pareil pour l’ECSI : la parole doit être écoutée, même si il y a bien sûr des débats .

Tu peux nous préciser la différence entre théâtre forum et théâtre d’improvisation ?
Le théâtre d’improvisation, c’est du théâtre sans texte. C’est une discipline artistique, mais dans l’optique un peu « ludique » (même si ce n’est pas toujours le cas). Le théâtre-forum, c’est une branche du « théâtre des opprimés » (théorisé par Augusto Boal, au Brésil, dans les années 1960-70) et qui est là pour analyser des situations. Pour mettre en valeur les relations entre opprimé·es et oppresseurs. Donner la parole à ceux·celles qui ne l’ont pas. On peut travailler, par exemple, sur la violence de genre dans l’espace public : une femme se fait insulter dans la rue, qu’est-ce qui aurait pu changer ? Les comédien·nes s’adaptent. « Viens, on essaye de faire autre chose ». On est là surtout pour débattre et essayer de chercher une solution. Donc le théâtre-forum utilise le théâtre d’improvisation, mais pas forcément l’inverse. Le théâtre forum est très ritualisé : les saynètes ont déjà été scénarisées et on demande au public d’intervenir. Moi, je fais de l’improvisation. Pour faire émerger la parole des jeunes. Comme en ECSI.

Qu’est-ce qui a changé dans ta pratique d’éducation populaire depuis ta semaine de formation à l’animation en ECSI ?
Ma vision de l’éducation populaire a évolué. Ca m’a fait beaucoup de bien de la resituer en termes d’objectifs, de voir d’où elle venait (pourquoi elle est née) et de mesurer le pouvoir qu’elle peut avoir dans son engagement aujourd’hui.
A chacune de mes interventions après la SECSI, j’ai fait un pont sur l’histoire de l’éducation populaire et sur la solidarité internationale. J’ai été obsédée pendant plusieurs semaines par la SECSI. J’en ai parlé aux jeunes auprès desquels·les je suis intervenue. On a parlé de volontariat, de mobilité internationale. Pour qu’ils·elles connaissent cette histoire. C’est vraiment intégré maintenant dans ma présentation sur le volontariat et la solidarité internationale.
J’utilise aussi cette approche de l’ECSI dans les interventions que je fais pour Avenir en héritage en école de commerce sur « l’éthique du tourisme ». C’est souvent des jeunes qui parlent de « Tiers-monde », de « charité ». J’avais envie de pouvoir être outillée pour être en mesure de leur répondre. Maintenant, je peux clarifier l’usage de ces mots, je reprends l’historique : à quel moment, on parlait de « Tiers monde » et pourquoi on a changé. Pareil pour le mot « développement ». On travaille le vocabulaire. On essaye de leur montrer que ce sont des questions de représentation du monde. J’avais été marquée par mes amis d’Amérique latine qui parlaient de la France et de l’Europe comme « primer mundo », « premier monde ». C’est dès mon introduction au cours que je remets ça à plat. Les étudiant·es réagissent plutôt bien. Ils·elles expriment qu’ils·elles n’avaient pas du tout cette vision là, que ça leur fait du bien de remettre du sens derrière le vocabulaire. On parle aussi souvent du « volontourisme ». En fin de cours, je vois, entre les premières présentations et les dernières, un changement dans les exemples choisis et le vocabulaire utilisé, ce qu’ils·elles choisissent de montrer. Je sens que même si ce n’est pas les mêmes élèves, il y a une progression dans le groupe. On échange aussi en fin de cours sur ce qui les a le plus marqué·es : souvent, ce sont des exemples assez précis. Ils·elles doivent imaginer un voyage, avec un passeport différent. Ça les marque souvent, comme une prise de conscience des discriminations dans le monde.