Birmanie : à qui profite le gaz ?

Le point en 2013

, par CRISLA

Selon les chiffres de la CIA américaine, la Birmanie disposerait de réserves de 50 millions de barils de pétrole et de 283,2 milliards de m3 de gaz naturel, dont une grande partie offshore. (évaluation de janvier 2011)

La transparence ? [1]

La Birmanie, où les revenus du pétrole et du gaz ont été confisqués par les militaires pendant des décennies, a promis la plus grande transparence aux investisseurs étrangers, réunis à Rangoun lors d’une conférence internationale.

Le régime de Naypyidaw a expliqué avoir souscrit à l’ITIE - Initiative pour la transparence des industries extractives - une norme de référence soutenue par des entreprises, des institutions et des organisations de la société civile et visant à distribuer équitablement les revenus des hydrocarbures aux populations.
"Avec les réformes politiques et économiques, la transparence est le mot le plus important", a expliqué Aung Kyaw Htoo, un directeur adjoint du ministère. "C’est pour ça que le gouvernement a adhéré au process ITIE". Depuis la levée des sanctions internationales et au gré des réformes politiques menées par le nouveau régime, au pouvoir depuis deux ans, les majors s’intéressent à ce pays niché entre Chine et Inde.

Le mois dernier, Naypyidaw a lancé des appels d’offre pour 18 blocs "onshore", avant que ne suivent une cinquantaine de blocs situés au large des côtes du pays. La conférence est sponsorisée par les groupes français Total et américain Chevron, qui avaient investi en Birmanie avant que les sanctions internationales soient imposées sur la junte. Elles avaient ensuite été accusées de servir les intérêts de celle-ci tout en fermant les yeux sur le travail forcé, ce dont elles s’étaient défendues.

Le pays jouit désormais d’une image très différente et plusieurs sociétés étrangères ont signé des contrats d’exploration et recommencé à investir. Mais les craintes demeurent dans un pays toujours considéré comme très corrompu. Le gouvernement s’est engagé à assurer des procédures propres non seulement dans l’énergie "mais aussi dans d’autres secteurs comme la forêt, l’industrie et les mines", a précisé Aung Kyaw Htoo.

Dans son discours d’ouverture, le ministre de l’Energie Than Htay a promis de tout faire pour que "le peuple bénéficie directement d’une gestion efficace des ressources naturelles".

Le gazoduc et l’oléoduc Swe-Yunnan

Un gazoduc et un oléoduc de la Birmanie vers la Chine devraient entrer en service au mois de juin 2013, si les travaux avancent comme prévu, selon la China National Petroleum Corporation (CNPC). Ces deux tuyaux permettront notamment d’acheminer du pétrole brut du Moyen-Orient vers la Chine sans passer par le détroit de Malacca, qui est risqué selon l’agence officielle. Les actes de piraterie sont nombreux dans cette voie maritime très fréquentée. D’autre part, ces moyens d’acheminement vont considérablement augmenter l’approvisionnement en énergie des régions sous-développées du sud-ouest de la Chine.
L’oléoduc et le gazoduc relieront sur 1.100 km le port birman de Kyaukpyu depuis la ville frontalière chinoise de Ruili, dans la province du Yunnan (sud-ouest). (AFP, 21 janvier 2013). Le pipeline doit transporter 400 000 barils/jour en provenance du Moyen-Orient.

Les terres sont confisquées en masse pour laisser place au pipeline. Les paysans se retrouvent sans emploi, et les réserves de pêche leur sont désormais inaccessibles, ce qui contribue au déplacement croissant de personnes. La population locale se voit obligée de travailler sur le chantier du pipeline qui n’offre que des emplois risqués, précaires et faiblement rétribués. Il leur est impossible de revendiquer leurs droits sans représailles de la part de leurs employeurs. Ces travaux peuvent expliquer la reprise des offensives de l’armée birmane, depuis mars 2011, à l’encontre des groupes ethniques armés dans les Etats Kachin et Shan, au nord de la Birmanie, (Info Birmanie, septembre 2011).
Ils ont nécessité la création du port en eaux profondes de Kyaukpyu, sans nomes ni sociales, ni environnementales, malgré les plaintes des habitants et des travailleurs, mais au plus grand profit de riches hommes d’affaire birmans.

La construction d’une ligne ferroviaire à double voie de 330 km a été lancée entre le sud de la Chine et la frontière birmane, à travers un terrain montagneux. Longue de 196 km, la première section de cette ligne reliera la ville frontière de Ruili à Baoshan. La poursuite de cette infrastructure côté birman et sa connexion au réseau ferré du pays pose encore des questions. Déjà, le point le plus au nord atteint par le rail en Birmanie se situe à une centaine de kilomètres de la frontière… Mais surtout, l’écartement n’est pas le même en Birmanie (voie métrique) et en Chine (voie normale).
Voir les cartes http://www.shwe.org/

Le Projet Dawei avec la Thaïlande

Les Thaïlandais ont entamé la construction à Dawei, dans le sud du pays, d’un projet intégré estimé à 13 Mds USD, comprenant un port en eau profonde, une zone industrielle (raffinerie, centrale électrique, complexe pétrochimique) et une autoroute et chemin de fer Dawei-Bangkok, ainsi qu’un pipeline le long de l’autoroute et du chemin de fer. Le port en eau profonde de Dawei, sur la côte de la mer Andaman, est une partie essentielle des plans de développement de la Birmanie et ouvre à son voisin thaïlandais le chemin vers l’Europe en évitant Singapour et le détroit de Malacca. Le principal investisseur est ITD (Italian-Thai Development Company)
Mais la colère gronde dans des villages du sud du pays qui risquent d’être rasés par ce projet industriel tentaculaire qui pourrait obliger 20.000 personnes à partir. Le gouvernement a promis de renoncer à la centrale à charbon projetée et donne ainsi des gages aux écologistes birmans. Voir : http://www.terraeco.net/Le-printemps-birman-rimerait-il,42955.html
D’autre part la rébellion Karen (KNU) est un obstacle sur la route de Kanchanaburi (Thaïlande). En janvier 2012, des accords ont été conclus entre les représentants de mfiget (KNU) dont l’un sur l’arrêt des hostilités entre le KNLA et les forces gouvernementales, l’autre sur l’ouverture de discussions en vue d’un règlement politique de ce conflit et une autonomie progressive de la région.

Madame Yingluck Shinawatra, chef du gouvernement thaïlandais, en visite d’Etat sur le site en décembre 2012, tient à rassurer en cherchant un troisième partenaire de poids qui pourrait bien être le Japon. Côté birman, certains redoutent les ambitions thaïlandaises comme cet homme d’affaires de Rangoon pour qui "le projet profitera bien plus à la Thaïlande qu’à la Birmanie". Et alors que le coût de la main-d’œuvre est actuellement quatre fois moins élevé en Birmanie, il ajoute : "Nous devrons payer des salaires comparables à ceux pratiqués en Thaïlande". Dawei pourrait devenir le cheval de Troie d’une Thaïlande lorgnant sur un potentiel de croissance d’autant plus important en Birmanie qu’une dictature militaire inepte l’a inhibé pendant 40 ans.

Et où en est Total ?

Vingt ans après s’être installé en Birmanie dans des conditions très critiquées, le géant pétrolier français Total va y étendre ses activités, comme l’y avait invité la prix Nobel Aung San Suu Kyi. Total a annoncé le 3 septembre 2012 avoir acquis 40% d’un permis d’exploration au large de la Birmanie auprès du groupe pétrolier thaïlandais PTTEP, réalisant ainsi son premier investissement d’envergure dans le pays depuis 1998. Voir http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/total-etend-ses-activite-en-birmanie_330796.html
Pour avoir le point de vue de la multinationale sur ses activités et sa responsabilité sociale et environnementale, on peut consulter http://birmanie.total.com/