Le plan de l’UNESCO et du gouvernement tanzanien menace la survie des Massaï

, par Oakland Institute , MITTAL Anuradha

La proposition de partage de l’aire de conservation du Ngorongoro ne doit pas aboutir

Oakland, Californie — De manière inattendue, le gouvernement tanzanien a annoncé, à la demande de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et d’organisations internationales de conservation, un plan de partage de l’Aire de Conservation du Ngorongoro (ACN) [1] en quatre zones distinctes [2], remettant ainsi davantage en question les droits à la terre des communautés autochtones [3]. Le plan de réinstallation et de gestion, lequel doit s’étendre sur les sept prochaines années, est le dernier chapitre de l’histoire d’un pays marqué par les expulsions du peuple Massaï hors de leurs terres ancestrales, déterminantes pour leur survie. Environ 90 000 personnes risquent de voir leurs revenus menacés par ce nouveau plan, notamment par la création de nouvelles zones réglementées, au sein de l’ACN, dans lesquelles les Massaï ne peuvent plus accéder au logement, aux champs de culture et de pâturage. [4]

En mars 2019, un rapport de mission conjoint du Centre du patrimoine mondial de l’UNESCO, de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS) demande au gouvernement tanzanien de « réaliser l’examen du modèle d’utilisation multiple des terres et de transmettre les résultats au Centre du patrimoine mondial et à ses organes consultatifs pour que ces derniers conseillent le modèle d’utilisation des terres le plus approprié, y compris en matière d’établissement de communautés locales dans des zones protégées. » [5] Le gouvernement tanzanien a répliqué avec le plan de réinstallation et de gestion des quatre zones.

S’il est exécuté, ce plan ne fera que perpétuer des décennies d’injustice envers les Massaï. Au cours du siècle passé, au nom de la conservation et de vaines promesses de développement du tourisme, les droits des Massaï sur leurs terres ancestrales n’ont cessé d’être bafoués, d’abord par les forces coloniales puis par les lois tanzaniennes sur le territoire, sous la pression d’organisations internationales de conservation et de sociétés étrangères de safari.

Un homme Massaï fait un feu au bord du boma, la barrière d’arbustes épineux. @musicfiend (CC BY-ND 2.0)

Considérant la catastrophe imminente, l’Oakland Institute demande au gouvernement de Tanzanie de mettre fin aux déplacements de villageois Massaï et à leur expulsion hors de leurs terres ; des mesures initiées par l’UNESCO et des organisations de conservation. De plus, ce projet néfaste pour les peuples autocthones est contraire à la raison d’être de l’UNESCO, soit la préservation de la paix par une coopération internationale en matière d’éducation, de sciences et de culture.

« Le plan de l’UNESCO et du gouvernement tanzanien n’est pas préjudiciable uniquement pour le peuple Massaï mais également pour la sauvegarde de la faune et de la flore. La partition de l’écosystème n’est pas une solution valable à long terme. Ce n’est que la reproduction des mesures prises par un gouvernement colonial britannique étroit d’esprit. Nos défis demeurent. »
— Déclaration d’un chef Massaï (anonyme pour des raisons de sécurité) le 9 octobre 2019

La proposition de plan de réinstallation et de gestion des quatre zones

Le nouveau plan de réinstallation et de gestion des zones est supposé symboliser l’effort du gouvernement tanzanien pour « trouver un juste équilibre entre la préservation des ressources naturelles et culturelles, le développement communautaire et le développement du tourisme. » Le plan proposé créerait quatre zones : une zone de conservation principale, une sous-zone de conservation, une zone de relocalisation et de développement ainsi qu’une zone de transition. [6]

Le plan fait passer l’ACN de 8 100 km2 à 12 083 km2 en y intégrant la zone de chasse contrôlée du lac Natron [7] et celle de Loliondo, une décision déjà contestée devant la Cour de justice de l’Afrique de l’Est. Cette expansion de l’ACN réduit de manière significative les terres exploitables par les Massaï pour l’élevage, l’établissement de leur résidence ainsi que pour l’agriculture, laquelle est déterminante pour leur subsistance. Ce plan est particulièrement inquiétant étant donné la grave insécurité alimentaire à laquelle font face les Massaï du fait des restrictions déjà en place. [8]

Ce nouveau plan limite toutes installations et tous développements humains à un secteur de 2 140 km2, soit seulement 18 % de la superficie totale de la zone [9]. Toute activité humaine est strictement interdite au sein de la « zone de conservation principale » alors que les activités de tourisme liées à la chasse sont autorisées dans la « sous-zone de conservation ». [10] Certaines activités économiques peuvent être mises en place dans les zones de transition, cependant, la construction d’habitations est interdite à cause d’une « forte inquiétude » ressortant des conclusions de l’UNESCO, concernant « l’impact visuel » de ces maisons dans l’ACN. [11]

« Les terres destinées à être exploitées malgré leur petite superficie ne disposent pas d’un seul cours d’eau et ne sont pas adaptées pour l’élevage. Si ce plan devait aboutir, le bétail de l’ACN périrait avant 2038 ; cela marquerait la fin de la communauté Massaï en tant que site inscrit au célèbre patrimoine mondial. »
— Déclaration d’un sage Massaï (anonyme pour des raisons de sécurité) le 9 octobre 2019

Récemment, dans un article de journal, le Dr Freddy Manongi, responsable de l’Autorité de l’Aire de Conversation du Ngorongoro (AACN), a expliqué la logique derrière ce projet dévastateur. « Il faut redistribuer les terres pour surmonter ces défis car même si ces communautés sont déplacées en échange d’une faible compensation, notre pays reste vaste. Il y a assez de terres en dehors de la réserve », a-t-il déclaré. [12] Ignorant des décennies d’injustice envers les Massaï, le Dr Manongi a justifié l’action violente du gouvernement : « Je sais que ce ne sera pas une tâche facile, qu’il y aura beaucoup de controverses, mais nous éduquerons le public et notamment les communautés autochtones de la vallée du Ngorongoro pour qu’ils prennent conscience des avantages et comprennent que la conservation profitera à tous les Tanzaniens. » [13]

Bien que présenté comme une stratégie permettant de trouver un équilibre entre les différentes utilisations des terres, le plan est manifestement influencé par des motivations financières. Même le rapport du gouvernement a relevé que « maintenir le statu quo ou laisser l’ACN aux éleveurs autochtones signifierait pour le gouvernement une perte de 50 % des revenus prévus d’ici 2038. » [14]

La participation scandaleuse de l’UNESCO à ce nouveau plan ne peut pas être passée sous silence. Durant la consultation des parties prenantes pour le rapport sur l’examen du modèle d’utilisation multiple des terres, la commission de l’UNESCO a réclamé l’abandon total de ce modèle ainsi que l’éviction de toutes les populations afin de créer une réserve naturelle, tout en conservant les bomas [15] intacts en vue d’un « tourisme culturel ». [16] De plus, l’UNESCO déclare que « le déplacement des Massaï ne sera pas une première en Tanzanie. » Cette position, adoptée par une agence des Nations Unies dont l’objectif est de « construire la paix dans l’esprit des hommes et des femmes », démontre son mépris flagrant pour les maux infligés aux Massaï par le passé et pour les droits internationalement reconnus aux peuples autochtones.

La marginalisation perpétuelle des autochtones

« Si nous pouvons creuser la terre pour y enterrer un corps, pourquoi ne pouvons-nous pas la creuser pour la cultiver ? »
— Un habitant du village de Nainokanoka, le 27 septembre 2018 [17]

Le plan proposé par le gouvernement tanzanien repose sur la perpétuation historique de l’expropriation des Massaï dans le pays. Au cours du siècle passé, de nombreuses lois territoriales votées d’abord par le gouvernement colonial britannique puis par le gouvernement tanzanien, souvent avec le soutien d’organisations internationales de conservation, ont forcé les Massaï à s’installer sur des parcelles de plus en plus petites, étouffant ainsi leurs moyens de subsistance et menaçant jusqu’à leur survie.

À la fin des années 1950, les Massaï ont accepté de se déplacer et de quitter le parc national du Serengeti pour s’installer dans l’ACN nouvellement créée en échange du développement de meilleures ressources en eau, d’une participation à la gestion de l’aire de conservation et plus encore. Malgré les promesses, la représentation du peuple Massaï au sein de l’Autorité de l’Aire de Conservation du Ngorongoro (AACN) n’a pas duré longtemps. [18] Au contraire, une série de lois votées au fil des années a déchu les Massaï de leur droit de cultiver les terres et d’élever des troupeaux. Ils se sont ainsi vus retirer leur droit à leur héritage culturel, leur moyen même de subsistance et de survie. [19]

Au cours des dernières années, le gouvernement tanzanien a violemment expulsé des populations Massaï en brûlant des bomas, en détruisant de la nourriture, en réquisitionnant le bétail et en déplaçant par la force des dizaines de milliers de villageois de leurs terres ; tout ceci au nom de la « préservation des écosystèmes pour le tourisme ». [20]

La restriction des moyens de subsistance comme les jardins a eu un effet dévastateur pour les Massaï. Comme décrit dans le rapport Perdre le Serengeti de 2018, les communautés Massaï sont ravagées par l’insécurité alimentaire et la malnutrition et dépendent d’aides alimentaires inadaptées. [21] Les communautés autochtones consultées pour l’examen du modèle d’utilisation multiple des terres ont manifesté leur désir d’être autorisées à cultiver les terres et à construire des habitations décentes tout en préservant le reste des terres pour la conservation et le tourisme. [22] Cette requête a été de nouveau ignorée par le gouvernement tanzanien.

À de nombreuses reprises, les Massaï ont été expulsé·es et déplacé·es par la force. Ils ont su rester forts face à ces épreuves et sont déterminé·es à défendre leurs droits. La communauté internationale doit soutenir leur lutte contre de futurs déplacements initiés par l’UNESCO et le gouvernement tanzanien. La colonisation des terres autochtones au nom de la conservation doit cesser.

Lire l’article en anglais sur le site de Oakland Institute

Notes

[1Pour plus d’information sur le contexte histoire de la création du ACN, voir Mittal A. et E.Fraser. Losing the Serengeti : The Masaai Land that was to Run Forever. The Oakland Institute, 2018. pp. 22-25. https://www.oaklandinstitute.org/sites/oaklandinstitute.org/files/losing-the-serengeti.pdf Consulté le 3 Octobre 2019

[2La proposition de zones de gestion et le plan de réinstallation proposé contiendra 4 zones : la Zone de Conservation centrale (29%), Sous-zone de conservation (9%), Installation et Développement (18%) et la Zone de Transition (45%). Ministère des Ressources Naturelles et du Tourisme, République Unie de Tanzanie. The Multiple Land Use Model of Ngorongoro Conservation Area : Achievements and Lessons Learnt, Challenges and Options for the Future. Août 2019

[3Le Modèle d’Usage Multiple de la Terre du gouvernement tanzanien définit les peuples autochtones comme les Masaaï, les Tatoga et les Hadzabe

[4Ministère des Ressources Naturelles et du Tourisme, République Unie de Tanzanie. The Multiple Land Use Model of Ngorongoro Conservation Area : Achievements and Lessons Learnt, Challenges and Options for the Future. Opus cité Pour un panorama détaillé du contexte historique de la dépossession des Massaï, voir Mittal A. et E.Fraser Losing the Serengeti. Op. Cit. pp. 22-25

[5Moukala, E., Taruvinga, P., Zulu, T. Rapport conjoint de l’OMC/ICOMOS/IUCN Mission to Ngorongoro Conservation Area, United Republic of Tanzania. Centre du Patrimoine Mondial de l’UNESCO, Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), Mars 2019. p. 39

[6Ministère des Ressources Naturelles et du Tourisme, République Unie de Tanzanie. The Multiple Land Use Model of Ngorongoro Conservation Area : Achievements and Lessons Learnt, Challenges and Options for the Future. Opus cité p.10

[7Ibid p.9

[8Ibid, p. 8. Pour un examen plus approfondi de l’insécurité alimentaire et la famine au sein des communautés Massaï —avec entre autres plusieurs témoignages personnel, voir Mittal A. et E.Fraser. Losing the Serengeti. Op. Cit. pp. 26 ; 28-32

[9Ministère des Ressources Naturelles et du Tourisme, République Unie de Tanzanie. The Multiple Land Use Model of Ngorongoro Conservation Area. Op. Cit. p.10

[10Gwandu, A. "Ngorongoro kugawanywa" RAI. 26 septembre 2019 http://www.rai.co.tz/ngorongoro-kugawanywa/ Consulté le 3 octobre 2019

[11Moukala, E., Taruvinga, P., Zulu, T. Rapport conjoint de l’OMC/ICOMOS/IUCN Mission to Ngorongoro Conservation Area, United Republic of Tanzania. Op. Cit. p.8

[12Gwandu, A. "Ngorongoro kugawanywa" Op. Cit.

[13Ibid

[14Ministère des Ressources Naturelles et du Tourisme, République Unie de Tanzanie. The Multiple Land Use Model of Ngorongoro Conservation Area. Op. Cit. p.12

[15Les bomas sont des barrières d’arbustes épineux qui entourent des petites huttes dans lesquelles vivent les Massaï

[16Ministère des Ressources Naturelles et du Tourisme, République Unie de Tanzanie. The Multiple Land Use Model of Ngorongoro Conservation Area. Op. Cit. p.8

[17Mittal A. et E.Fraser. Losing the Serengeti. Op. Cit. p.28

[18Shivji, I. G. & W.B. Kapinga. 1998 Les Droits des Massaï au Ngorongoro, Tanzanie. Londres/ IIED/HEKIQRDHI ; Mittal A. et E.Fraser. Losing the Serengeti. Op. Cit. p.23

[19Pour l’histoire détaillée de la législation sur les droits fonciers en Tanzanie, voir [Mittal A. et E.Fraser. Losing the Serengeti. Op. Cit. p. 25

[20The Oakland Institute. The Dangerous Legacy of Fortress Conservation. 18 Avril 2019 https://www.oaklandinstitute.org/dangerous-legacy-fortress-conservation Consulté le 3 octobre 2019

[21Mittal A. et E.Fraser. Losing the Serengeti. Op. Cit.

[22Ministère des Ressources Naturelles et du Tourisme, République Unie de Tanzanie. The Multiple Land Use Model of Ngorongoro Conservation Area : Achievements and Lessons Learnt, Challenges and Options for the Future. Opus cité p.8

Commentaires

Cet article, initialement paru sur le site de Oakland Institute le 10 octobre 2019, a été traduit de l’anglais vers le français par Pauline Rezé et relu par Vanessa Mula, toutes deux traductrices bénévoles pour ritimo.